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«La force dont
jouit notre peuple, et à laquelle il reste attaché, doit être préservée,
consolidée et défendue en permanence par les meilleurs de ses fils où qu'ils se
trouvent.» Président Abdelaziz Bouteflika
Lors du dernier mois sacré du ramadhan, plus de vingt personnes mourraient à Ghardaïa suite à ce que les médias ont présenté comme des affrontements inter-communautaires. Quelques jours après, lors du deuxième jour de l'Aïd el-Fitr, vingt-deux soldats étaient tués après être tombés dans un attentat perpétré par des terroristes dans la région de Aïn-Defla. Suite à ces dramatiques événements, de nombreuses questions étaient posées, débouchant sur de non moins nombreuses analyses soulignant la corruption qui gangrène le pays, le ras-le-bol des populations locales devant leurs difficultés socio-économiques ainsi que la main de l'étranger, voire même du voisin. Ainsi, pour l'ancien gouverneur de la Banque centrale d'Algérie, Abderrahmane Hadj-Nacer, il ne faut surtout pas se restreindre à parler d'un conflit entre les Mozabites et les Arabes mais plutôt se demander « qui a intérêt à quoi ? ». Pour Hadj-Nacer, l'hypothèse de la main de l'étranger n'est pas à exclure, des Etats tels que la France, les Etats-Unis, Israël et l'Arabie saoudite ayant de par leurs propres intérêts, tous, des légitimités à intervenir en Algérie. Dans une même logique analytique, l'ancien Premier ministre et actuel secrétaire général du RND, Ahmed Ouyahia, accrédite lui aussi la thèse d'un possible complot en attirant l'attention que l'Algérie est la cible de visées étrangères qui ne lui feront pas de cadeau, lui faisant payer ainsi ses positions sur l'échiquier international, tel son refus de ne toujours pas reconnaitre Israël. Cette analyse pointant du doigt la main de l'étranger est balayée d'un revers de la main par certains analystes et membres de l'opposition pour qui le gouvernement en place à Alger se cache derrière un tel argument afin de cacher son incurie à gouverner et répondre aux nombres questions et doléances des Algériens. Si rien ne permet à ce jour d'affirmer que l'étranger est responsable de la triste situation qui prévaut dans la vallée du M'zab, il est néanmoins important de ne pas se focaliser uniquement sur les dimensions ethno-régionales, mais bien au contraire, d'élargir le champ analytique de la Cité algérienne dans sa globalité, nationale et régionale, empruntant une approche holistique et multi-factorielle. Contexte régional explosif Il suffit de se pencher sur une carte géographique pour comprendre immédiatement que dans cette configuration régionale l'Algérie se trouve prise en tenaille au milieu de cette dangereuse poudrière qu'est l'espace maghrébo-sahélien. Au sud, le Sahel, qui s'étend de l'Océan Atlantique aux côtes somaliennes et la Mer Rouge, et qui, à travers l'histoire et les époques, a été le théâtre de différentes luttes et rivalités, est incontestablement devenu l'un des points chauds de la politique internationale en Afrique. Depuis plusieurs années maintenant, cette vaste région désertique est progressivement passée de celle d'une région menacée et en proie à des problèmes environnementaux et socioéconomiques à celle d'une «région-menaçante» et instable où se rencontrent le terrorisme d'Aqmi, d'Ansar Eddine ou de Boko Haram et le crime organisé, facilité en cela par l'extrême porosité des frontières. Le Mali étant sans nul doute l'archétype de cette situation sécuritaire alarmante. A l'est, la Tunisie, en proie à d'énormes difficultés économiques, est de plus en plus sujette à de régulières attaques émanant de terroristes que certains médias étrangers et Etats s'évertuent encore à qualifier d'extrémistes violents, voire même «militants». Quant à la Libye disloquée, devenue depuis l'intervention de l'OTAN un sanctuaire pour les terroristes de Daesh, elle est plongée dans un chaos, nul ne sait quand elle en sortira et dans quel état. Enfin, à l'ouest, le Maroc qui jouit d'un support et d'une mansuétude internationale inébranlable au sujet de la colonisation du Sahara occidental, les violations des droits de l'homme ainsi que du trafic de drogue, poursuit son activisme politique et diplomatique afin de s'imposer comme l'interlocuteur régional privilégié des puissances occidentales et éventuellement, devenir le leader politico-économique de l'ensemble de la région maghrébo-sahélienne. Ruée vers l'Afrique L'actuelle situation sécuritaire de la région est rendue plus complexe encore par les intérêts économiques et stratégiques des puissances occidentales. Pour ces dernières, le continent africain est considéré comme l'une des dernières frontières à exploiter afin de garder la mainmise sur ses ressources énergétiques et naturelles telles que le pétrole et le gaz, le gaz de schiste, le cuivre, l'uranium, le cacao, le diamant, et beaucoup d'autres matières premières dont le sol africain regorge en abondance. Cette agressive politique énergétique occidentale ressemble à s'y méprendre à l'expédition européenne de la fin du 19ème siècle, décidée suite à la Conférence de Berlin sur l'Afrique de 1884-1885. A l'époque, alors confrontées à de grands défis et difficultés économiques dus à la longue dépression de 1873-1896, les puissances qu'étaient la Grande-Bretagne, le Portugal, la Belgique, l'Allemagne et la France décidèrent de s'engager dans une quête de « sauver les Africains » de la situation dans laquelle ils étaient. Comme l'Histoire nous l'a enseigné, le résultat de cette expédition ne fut que la consolidation d'une colonisation brutale des Africains dont les blessures profondes n'ont pas encore cicatrisé. Depuis, d'autres challengers que sont les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) sont entrés dans cette course aux ressources naturelles, rendant plus complexe encore cette donne géostratégique et économique. Dans cette ère de mondialisation et redistribution des cartes géo-politico-économiques, ni l'Afrique dans son ensemble ni les Etats de l'espace maghrébo-sahélien ne sont en mesure de lutter à armes égales avec les autres puissances afin de contrebalancer cette dynamique vertigineuse et dangereuse. En effet, se trouvant dans une transition dominée par les puissances occidentales traditionnelles d'une part, et les puissances émergentes d'Asie et d'Amérique du Sud de l'autre, les changements politiques de la fin des années 1980 [en Europe] ne font aucune différence pour les problèmes de sécurité économique de la périphérie [l'Afrique] dans un marché mondial dont les prix, le commerce, les finances et l'évolution technique sont tous contrôlés à partir du centre [Occident]. Cette situation de faiblesse est d'autant plus exacerbée que les Occidentaux sont confrontés à un certain nombre d'autres défis sécuritaires et militaires externes et internes, incarnés par la montée en puissance de la Chine. Tenant compte de ces éléments, les conditions permettant à une intervention étrangère en Afrique ne diminuent pas mais au contraire augmentent, le continent noir étant devenue aujourd'hui le terrain d'une discorde croissante entre les puissances mondiales dominantes et les nouveaux. Car comme l'écrit Noam Chomsky, ne pas contrôler la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) ainsi que l'Afrique, serait une position intolérable et insupportable pour Washington et ses alliés. Dans cette configuration de l'échiquier économique et géostratégique régional, les dirigeants algériens, jaloux de leur indépendance et celle de leur pays, sont perçus par beaucoup comme un barrage à la mondialisation économique libérale, sauvage et mafieuse. Alger, qui revendique sa souveraineté sur le plan politique et régional et qui défend toujours le concept d'Etat-nation fort et indépendant, demeure un obstacle gênant comme l'ont été la Syrie, l'Irak et les rares Etats-nations arabes qui ne sont pas tombés dans l'escarcelle géostratégique des Américains et de leurs alliés, tels les Européens, Israël ou l'Arabie saoudite. Unité et confiance aux institutions algériennes Les tristes évènements de Ghardaïa ainsi que les attaques terroristes de Aïn-Defla nous enseignent deux choses essentielles. Tout d'abord, le malaise des habitants de la vallée du M'zab ?qui n'est rien d'autre qu'un microcosme du malaise des Algériens dans leur ensemble- ne date pas de 2015. Aussi, est-il urgent pour le gouvernement algérien non seulement de se pencher sérieusement et intelligemment sur les causes profondes et multiples de la situation explosive qui prévaut en Algérie, mais surtout qu'il propose des solutions pérennes à tous ces maux et ce mal-être qui gangrènent la société algérienne dans sa globalité. Le deuxième point est que cela ne relève nullement de la théorie du complot que de dire que l'Algérie, qui gêne par sa tradition de la défense du nationalisme, notamment sur la Palestine ou la Syrie, est aujourd'hui mise sous pression internationale. Après avoir détruit la Libye et semé ainsi le chaos dans la région sahélo-maghébine, mis à genoux l'Irak et à feu et à sang la Syrie, l'occasion pour certains Etats et gouvernements serait trop belle de faire rentrer dans les rangs l'Algérie, ce redoutable animateur d'empêcher de tourner en rond, comme l'avait déjà dit en son temps l'ancien secrétaire d'Etat américain, Henry Kissinger. Aussi, comme l'a si bien rappelé Saïd Boucetta, «des signaux forts doivent être envoyés à la société par les leaders des partis au pouvoir et ceux de l'opposition. L'attentat de Aïn-Defla vient rappeler à l'opinion nationale la complexité de la situation sécuritaire qui prévaut dans le pays. L'activité terroriste de ce jour d'Aïd el-Fitr impose une conjoncture exceptionnelle au double plan sécuritaire et économique qui appelle la plus grande vigilance de tous les acteurs de la société. Que ce soit les partis politiques, les syndicats ou encore le patronat, l'ensemble des organisations doivent montrer une solidarité sans faille pour affronter les quatre ou cinq prochaines années, inscrites sous le signe de la déprime économique et de la menace terroriste permanente [?]». Malgré cette complexité sécuritaire et les différentes menaces qui pèsent sur l'Etat-nation, il demeure pourtant en Algérie des hommes et des femmes prêts à mettre sur l'autel du sacrifice la maison Algérie, à piétiner les idéaux de la Révolution jusqu'à faire imploser le pays pour peu que l'on leur garantisse un moment de gloire sur la scène politique internationale. Mais le moment venu, le peuple se souvient toutefois de ceux qui jouent les Ponce Pilate alors que le feu est dans la maison. A cet égard, il est tout autant important de se souvenir que sans le patriotisme, la vigilance et la présence d'esprit de l'armée algérienne et de tous ces hommes et femmes qui n'ont jamais abandonné le navire Algérie, l'empêchant ainsi de sombrer sous les coups de boutoir d'illuminés aux accoutrements d'un autre âge, d'une autre époque, et évoquant une religion de terreur et d'ignorance qu'eux seuls pratiquent, l'Algérie sous ses frontières actuelles n'existerait sans doute plus aujourd'hui ou dans le meilleur des cas, ressemblerait comme deux gouttes d'eau à l'Afghanistan ou la Somalie. Ceci démontre s'il en est que les institutions de l'Etat algérien et de son armée demeurent solides et fonctionnement très bien. Elles l'ont prouvé lorsque pendant toute une décennie, l'Algérie a fait face et [quasi-défait] le terrorisme international toute seule, sans l'aide de quiconque, et continue de le faire à ce jour, déployant tous les moyens diplomatiques et militaires pour la sécurité et l'unité du pays mais aussi celle de toute la région maghrébo-sahélienne. Quand la prudence fait défaut, le peuple tombe C'est un secret de Polichinelle que de dire qu'un profond manque de confiance et une perte de légitimité prévalent aujourd'hui entre les citoyens algériens et le politique, mais aussi de plus en plus vis-à-vis de la police et la gendarmerie. Les Algériens ont tout loisir et tous les droits de critiquer, fustiger et même détester leurs présidents actuel, passés ainsi que les suivants. Ils peuvent honnir les gouvernements précédents, présents et futurs aussi s'ils le souhaitent. Les Algériens peuvent même crier haut et fort s'ils le désirent que leurs dirigeants actuels et passés ont trahi l'essence même du Congrès de la Soummam et de ce fait, les idéaux de la Révolution. Une [grande ?] partie de leurs sentiments répulsifs envers ceux qui les gouvernent et gouvernaient est sans doute fondée. Mais il y a une chose que les Algériens ne peuvent remettre en cause : c'est la constante hantise des gouvernants de préserver en totale symbiose avec l'ANP, l'unité de l'Algérie et des Algériens. Ceci, aucun Algérien, aucune Algérienne ne doit en douter. Comme l'atteste l'attaque terroriste de Aïn-Defla, les heurts de Ghardaïa et bien d'autres encore, le risque sécuritaire en Algérie est omniprésent. Et si aucune preuve tangible ne vient à ce jour étayer la responsabilité de « la main de l'étranger », son ombre, elle, plane bel et bien au-dessus de l'Algérie. Et il serait bien naïf de ne pas prendre en compte ce paramètre dans toute analyse géopolitique et sécuritaire de la Cité algérienne. Car, comme disait le pragmatique Premier ministre britannique, Winston Churchill, « l'Angleterre n'a pas d'amis ou d'ennemis, elle n'a que des intérêts permanents ». Cela s'applique sans nul doute à l'Algérie à ceci près qu'elle n'a ni les moyens politiques et militaires ni les alliés des Anglais. Aussi, si l'Algérie est toujours debout, mazel wakfa, c'est sans aucun doute grâce à ceux et celles qui gouvernent l'Algérie, son armée et ses diplomates qui œuvrent sans relâche à sa sécurité, sa stabilité et son unité. Cependant, il est primordial de se souvenir que l'unité et la sécurité du territoire national est aussi du ressort de tous les Algériens et Algériennes où qu'ils se trouvent et sans exception, qui, tout en se battant et revendiquant leur droits et proposant leur propre vision pour l'avenir de leur pays, de ne jamais permettre à quiconque de semer la discorde entre eux. Fitna qui conduirait irrémédiablement à l'implosion de l'Algérie. La nature ayant horreur du vide, ses ennemis potentiels ne manqueront pas une occasion de s'engouffrer dans toute fissure ou brèche laissée par les Algériens, gouvernants et citoyens confondus. Car, comme le rappelle la devise du Mossad, elle-même empruntée à l'Ancien Testament, « quand la prudence fait défaut, le peuple tombe ». A méditer. Interview de Abderrahmane Hadj-Nacer (" Je ne me sens pas Mozabite dans cette affaire, ni Chaâmbi. Mais je sens qu'il y a véritable danger sur l'Algérie "), le Quotidien d'Algérie, disponible sous http://lequotidienalgerie.org/2015/07/10/abderrahmane-hadj-nacer-je-ne-me-sens-pas-mozabite-dans-cette-affaire-ni-chaambis-mais-je-sens-quil-y-a-veritable-danger-sur-lalgerie/ A. Abderrahmane, Maroc : la culture du cannabis est-elle (vraiment) partie en fumée ? Disponible sous http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/07/09/maroc-la-culture-du-cannabis-est-elle-vraiment-partie-en-fumee_4676345_3212.html A. Abderrahmane, Morocco, UN myopia and the Libyan crisis, disponible sous https://www.opendemocracy.net/opensecurity/abdelkader-abderrahmane/morocco-un-myopia-and-libyan-crisis H. Green, Africa: NATO, AFRICOM and the New White Man's Burden, disponible sous (http://indepthafrica.com/magazine/headlines/africa-nato-africom-and-the-new-white-mans-burden/) B. Buzan, States, People and Fear, (USA, Lynne Rienners Publishers, Inc., 1997), p. 219 J. H. 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Chitour, Plaidoyer pour un pays uni et fasciné par le savoir, disponible sous http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_chitour/221177-plaidoyer-pour-un-pays-uni-et-fascine-par-le-savoir.html *Analyste et consultant géopolitique |