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Cette année, l’été sera indien ou ne le sera pas… Jusque dans les derniers jours de ce mois d’août finissant, le mercure continue de flirter avec des températures impossibles, avec un taux d’humidité anormalement élevé pour une ville des Hauts Plateaux, plongée dans une profonde torpeur. Ce vendredi 22 août, toute la ville de Tiaret vivait sous couvre-feu, et pour cause : le soleil était presque à portée de main, et la chaleur suffocante. En effet, en cet avant-dernier week-end du mois d’août, il est à peine huit heures du matin et le soleil est déjà à «poil»... ! Plongée dans une lourde torpeur, la ville assoupie paraît comme abandonnée par ses habitants. Beaucoup de personnes âgées et des enfants, surtout en bas âge, sont, de plus en plus, nombreux à venir consulter des suites de l’insolation, troubles respiratoires ou intoxications alimentaires dans les urgences médico-chirurgicales de l’hôpital «Youssef Damerdji» de Tiaret, a-t-on constaté, sur place. En ce vendredi, terriblement chaud, aux quatre coins de la ville, pas âme qui vive, à part une poignée de quidams se dirigeant à la manière des «automates», vers le centre-ville. Au beau milieu de la «place rouge», indémodable bourse à ragots de la cité des Rustumides, des silhouettes avachies glissent d’ombre en ombre à la recherche d’un brin de fraîcheur. Fidèle à sa réputation, la «place rouge» donne l’impression de chuchoter dans l’oreille de la ville pour lui raconter des «histoires» qui ne tiennent jamais debout. Miloud est un jeune de 39 ans qui court après un job depuis... 11 ans. Le visage suintant d’ennui et d’amertume, il nous dit, la voix ferme et le geste sûr, que le pays n’est pas du « bon côté de la barrière ». Cigarette au bec, il s’adresse au journaliste pour lui raconter «son» aventure. Accompagnant son ami qui avait loué une voiture pour se rendre dans une wilaya de l’est, il se fait arrêter et purge de la prison, sans « savoir vraiment de quoi on m’accusait » soupire-t-il. Miloud, faisant bon et gros cœur contre mauvaise fortune, acceptant, presque, ce que la vie a fait de lui, il a toujours un sang d’encre à la vue du mausolée de Sidi M’hamed, transformé en une «décharge à ciel ouvert» ! Autres gens, autres mœurs cet été à Tiaret, tout le monde a la nette impression de devenir «fauché» et pour cause ! Dans une région où il fait bon ou mal vivre, en fonction de la saison agricole, cette année, la terre comme le ciel ont été peu magnanimes, avec des conséquences ressenties par tout un chacun. A commencer par ces commerçants de la prestigieuse rue Bugeaud (aujourd’hui dépréciée), dont certains «gardent le tiroir-caisse fermé pendant plusieurs jours», se plaint ce vendeur de savates ‘made in’. Cette année, les moustiques et les chiens errants se font rares. Un point à mettre à l’actif de la commune reconnaît Bachir, vendeur ambulant de fruits. Même si la vie reste « très sale » soupire Bachir, avec la canicule et le manque d’hygiène, beaucoup de gens sont tombés malades, surtout les enfants et les personnes fragiles, nous dit-il, la main en visière pour se cacher le visage d’un soleil dardant. Au quartier «Volani», de l’autre côté de la ville, les habitants ont le sentiment tenace d’être abandonnés à leur sort. Personne n’a droit au sommeil, dans cette grande cité-dortoir, tant des meutes de molosses passent la nuit à polluer l’air d’horribles aboiements, au pied des immeubles. Les campagnes sporadiques d’abattage des chiens errants n’ont pas donné les résultats escomptés, au grand dam des Tiarétis, se plaint un habitant, un gendarme en retraite. Les malades mentaux «occupant» la ville, ajouté aux nombreux réfugiés subsahariens et syriens, constituent l’autre spectacle affligeant, dans cette partie oubliée de la ville de Tiaret. Alors que des «cars, en provenance d’autres wilayas du pays, débarquent tous les jours des individus avachis faisant de la manche une profession comme toutes les autres», jure par tous les dieux Djillali, un vendeur de poisson à la sauvette. En ce jeudi caniculaire, un malade mental justement, un couteau dansant dans la main droite, «coupe» l’air en livrant un spectacle gratuit aux nombreux badauds stationnés tout autour de la «place rouge», au macadam brûlant. Il est presque dix heures passées et toute la ville n’est pas encore arrachée à son sommeil et pour cause... La veille, une canicule, à faire tituber un dromadaire, a contraint plus d’un Tiaréti à humer l’air frais dehors, jusqu’à très tard dans la nuit. LES «PARADIS ARTIFICIELS» DE LA DROGUE Pris au piège du mal-vivre et du chômage, des «grappes» de jeunes plongent tête la première dans l’enfer de la drogue et de l’alcool. Dans les populeux quartiers du sud de la ville, des jeunes, les yeux bouffis, tirent comme des forcenés sur des joints, gros comme des cigares. D’autres se shootent aux psychotropes pour fuir, un furtif moment, une réalité trop dure à supporter. Cette année, plus de 190 affaires liées aux trafics des stupéfiants ont été traitées par les services de sécurité. Malik est un jeune homme, de 21 ans, qui aurait pu mener une vie comme tous les jeunes de son âge. Actuellement hospitalisé à l’hôpital psychiatrique de Tiaret, il a toutes les difficultés du monde à se débarrasser de son addiction à cette «saloperie» que l’on appelle «kif». Les autres jeunes passent les longues et fastidieuses journées d’été à pratiquer ce sport national qu’est la drague ou le «rince-oeil», comme l’appellent d’aucuns. Au spectacle de ces voitures rutilantes usant leurs pneus neufs sur du macadam brûlant, répond ce «contraste» de groupes de jeunes arpentant les rues de la ville et bavant d’envie à la moindre silhouette féminine. Alors, pour permettre à tout le monde ou presque d’aller faire trempette au bord de la grande bleue, cette année aussi, des navettes sont assurées, tous les week-ends pour acheminer, par bus, des pelotons entiers de familles et autres. En effet, chaque week-end, des groupes de célibataires désœuvrés se ruent vers les plages du littoral mostaganémois. Le prix du voyage est de 400 dinars «seulement» et la somme paraît déjà pour beaucoup encore hors de portée de leurs maigrelets porte-monnaie. Pour les moins veinards, trouver un petit job pour se faire un peu d’argent de poche, reste la principale préoccupation dans une ville où le chômage sévit à l’état endémique. Comme poussés par une irrésistible envie de changer d’air, des jeunes, à peine sortis de l’adolescence, «tirent des plans sur la comète» pour tenter de trouver le moyen d’ «enjamber» la grande bleue, en quête de lointains horizons. Ici, le souvenir est encore vivace de ces enfants qui ont perdu la vie dans les aventureuses tentatives de traversée de la Méditerranée. LA DECHE ET LE MAUVAIS GRAIN Dans une région où la vie économique et commerciale est réglée en fonction d’une bonne ou d’une mauvaise saison agricole, cette année, la terre a été peu généreuse, avec des retombées catastrophiques sur les agriculteurs et autres éleveurs, mais aussi un impact des plus négatifs sur le pouvoir d’achat des Tiarétis. Cette année, plus d’un Tiaréti file, en effet, du mauvais coton à cause d’une saison agricole des plus mauvaises dans une ville où le fellah n’est pas au mieux de sa forme. «Cette année, il n’y a pas assez de sous, et cela se ressent chez tous, à commencer par les commerçants qui voient leurs chiffres d’affaires se réduire comme peau de chagrin», soupire Djilali, affalé sur une table, dans un café maure, au nord de la ville. Depuis la fermeture du café maure de Ammi El Ayeb, la vie n’est plus la même, au populeux quartier de «Erras Soug». Fréquenté par les petites gens de toute la partie nord de la ville de Djeloul Ould Hamou, la fermeture, pour un satané problème d’héritage, de ce café maure est un « immense gâchis» se prend la tête Khaled qui est né dans ce quartier. Dans ce quartier populaire et populeux de la partie septentrionale de la ville de Tiaret, les «descentes» de la police sont fréquentes, pour traquer les dealers et les vendeurs, à la sauvette, qui pullulent à cet endroit. Comme le «douro se fait rare», selon les termes de Khaled, un «désargenté chronique», nombreux sont ceux qui meublent leurs longues et chaudes journées estivales par des hobbies... de fortune. Pas trop vite le matin, doucement le soir, les Tiarétis semblent se passer le mot pour rester terrés chez eux jusqu’à dix heures passées. Après une brève virée sous un soleil dardant, ils retournent à leurs domiciles flanqués d’une pastèque ou d’un melon pour les plus «chanceux». Vers 17h, lorsque la chaleur se fait moins oppressante, ils ressortent soit pour regarder des cortèges entiers de voitures rutilantes « manger du macadam », soit pour flâner dans les rues et mordre la poussière, dans une ville où la propreté et la salubrité publique ne sont encore que de vains mots. Vers 19h, une foule bigarrée est agglutinée aux alentours de l’ex-place Carnot. Devinez pour quelle raison ?! « Tuer le temps » à regarder les trombes d’eau déverser dans la grand bassin de Aïn El Kerma, dont le réaménagement a redonné un peu d‘attrait à cet endroit, devenu honni depuis la fermeture de la légendaire source de Ain El Djenane, « assassinée » par la main coupable de l’homme. Des jeunes, et même des moins jeunes, viennent, chaque après-midi, se placer au pied de Aïn El Kerma pour profiter de ce climatiseur naturel et se rafraîchir, un tant soit peu avec les «postillons» dégagés par une eau fraîche, provenant, directement, du bassin de la fontaine publique. Jusqu’à une heure tardive de la nuit, des grappes humaines hument l’air frais, occupées à d’interminables palabres, au sujet de tout, de tous et de rien, en même temps. «ROUH, ALLAH YAÂTIK WEEK-END FI TIARET» Excepté le jeudi où l’ambiance est plus colorée, en raison des fêtes de mariage, le reste de la semaine, la ville est comme assommée par un vide sidéral. Interdit de chapitre depuis des lustres, plus personne à Tiaret ne sait ce qu’est une activité culturelle ou artistique. Victime du changement, pourtant annoncé, de l’ordre des priorités, Dame Culture n’est plus «crédible» aux yeux «bandés» de personne, «même pas par ceux-là mêmes censés la sortir de son sarcophage», souffre en silence un artiste plasticien, un écorché-vif pour lequel la vie estivale n’offre plus rien d’intéressant à se mettre sous la dent. Aucune association culturelle ni troupe musicale, jadis fierté de la ville de Ali Mâachi, n’a survécu à la mode terriblement réaliste du «manger avant de songer», susurre du bout des lèvres un ex-mélomane, que les «morsures» de la vie ont transformé en un alcoolique invétéré. Alors, pour tremper l’ennui ambiant, tout le monde se débrouille comme il peut. A commencer par la drague, un sport national qui fait, de plus en plus d’adeptes convaincus. Jusqu’au «rince-oeil», lui aussi, devenu un passe-temps favori de trois personnes sur quatre dans une ville qui transpire l’ennui jusqu’à l’étouffement ! A part quelques brèves virées nocturnes pour les plus téméraires, des sorties le soir pour les fêtards dans les rares tripots de la ville, la plupart des Tiaretis se terrent chez eux dès 20 h tapantes pour se shooter à volonté aux... images venues d’ailleurs. «Ici comme ailleurs, les antennes paraboliques sont autant d’oreilles tendues pour écouter un monde, certes ailleurs, mais sûrement meilleur», nous dit, un rien déprimé, Kaddour, un homme à la force de l’âge que l’envie irrésistible de passer quelques jours avec sa marmaille au bord de la grande bleue démange depuis des années sans qu’il ait la moindre chance, se désespère-t-il, de réaliser son rêve un jour qui ne viendra peut-être jamais... Au fait, qui a dit « rouh alah yaâtik week-end fi Tiaret » nous dit-il, étouffant un rire nerveux. Son alter ego, planté comme un clou, juste en face de lui, nous fusille de son regard torve pour nous balancer à la figure: «S’il vous plaît, monsieur le journaliste, dites et redites-leur (à qui?!) que «l’mout oula août fi Tiaret»...!». Oui, rien que ça ! |