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La plupart des
lecteurs sont sans doute conscients du rôle constructif des entreprises privées
dans le développement et dans la lutte contre la pauvreté. Ils conviendront
qu'il ne peut y avoir, à longue échéance, de développement économique sans
entreprises privées dynamiques, et qu'une gestion publique saine et une
administration efficace sont tout aussi nécessaires.
L'influence des sociétés privées sur le développement est un sujet controversé, qui soulève les passions, mais les études réalisées à ce jour sont cloisonnées, généralement circonscrites à un seul des nombreux aspects de la question - les entreprises multinationales, les petites et moyennes entreprises, les micro-entreprises, la performance des sociétés privatisées, l'investissement direct étranger, l'infrastructure privée, le gouvernement d'entreprise, pour n'en citer que quelques-uns -, et n'examinent pas la situation dans son ensemble. La manière dont les statistiques économiques fondamentales - matière première d'une étude empirique à l'échelle d'une nation - sont organisées peut expliquer en partie ce cloisonnement. Le Système de comptabilité nationale des Nations Unies, qui régit la collecte et le regroupement des statistiques économiques fondamentales des États membres de l'ONU, ne distingue pas le secteur public du secteur privé; il les regroupe au sein de «secteurs productifs» ? industries manufacturières, exploitation minière et services, par exemple. Il est donc impossible, dans la plupart des pays, de suivre l'évolution de l'apport des entreprises privées à la valeur ajoutée, à l'investissement et aux revenus. Les montants investis par les entreprises privées sont connus pour une cinquantaine de pays sur plus de deux cents, mais, dans la plupart des cas, on ignore la valeur ajoutée et les revenus qu'ils génèrent. Il ne fait aucun doute que la pauvreté est bien moins répandue à notre époque dans les pays riches qu'elle ne l'était auparavant. En 1820, le revenu moyen par habitant en Finlande, en Norvège et en Suède était inférieur à 1.000 dollars (prix de 1990);des centaines de milliers de personnes émigrèrent pour les Etats-Unis, où le revenu par habitant s'élevait à 1.300 dollars. Aujourd'hui, ces trois pays comptent parmi les plus riches de la planète. Il convient également de tenir compte de l'évolution intergénérationnelle, car la mobilité des revenus peut être forte d'une génération à l'autre. Au Brésil, par exemple, plus de la moitié des personnes sondées récemment, qui avaient grandi dans des familles pauvres, avaient pu sortir de leur condition. La plupart de ceux qui ont commencé à travailler dans l'agriculture, comme aide familiale non rémunérée, ou à l'âge de 10 ans ou moins, vivent aujourd'hui au-dessus du seuil de pauvreté Ce qui s'est produit au Brésil se retrouve dans l'ensemble des pays en développement. La mobilité des revenus est élevée, mais ce phénomène n'a pas suscité une grande attention. D'après les enquêtes sur les revenus et les dépenses des ménages, le nombre total de personnes dont les revenus sont inférieurs à 365 dollars par an dans le monde ? ceux que la Banque mondiale appelle les «victimes de la pauvreté absolue» ? n'a guère varié depuis 1987. Compte tenu des efforts des gouvernements et des organisations humanitaires, la stagnation des revenus les plus faibles est décevante et semble indiquer qu'aucun progrès n'a été accompli dans la lutte contre la pauvreté. Depuis 1987, toutefois, la population des pays en développement a augmenté d'un milliard d'habitants environ. Le nombre de personnes vivant au-dessus du seuil de pauvreté absolue a donc augmenté très substantiellement au cours des quinze dernières années; ces personnes n'avaient jamais fait partie des «pauvres absolus» ou sont parvenues, d'une façon ou d'une autre, à s'arracher à cette condition. La manière dont un milliard d'habitants des pays en développement ont pu éviter la pauvreté ou en sortir devrait nous en dire long sur les mesures nécessaires pour résorber la pauvreté à grande échelle. Comment parvient-on à sortir de l'extrême pauvreté? Les enquêtes auprès des ménages montrent que la réponse réside en grande partie dans le taux de croissance économique global des pays. Des études récentes confirment que la croissance économique est une condition nécessaire à la lutte contre la pauvreté La croissance nationale a à peu près la même incidence sur les revenus des 20 % les plus pauvres de la population que sur l'ensemble de la société. En d'autres termes, le doublement du PIB en vingt-cinq ans ? croissance annuelle de 2,9 % ? est allé de pair avec le doublement des revenus des pauvres. Cette constatation ressort de l'étude de 80 pays sur une période de quarante ans. Elle a pour corollaire peu réjouissant que la répartition des revenus dans ces pays, extrêmement asymétrique, n'a guère évolué en quarante ans. Les chiffres montrent par ailleurs que les pauvres ne sont pas ceux dont les revenus baissent le plus pendant les crises économiques, et que l'ouverture au commerce extérieur leur profite autant qu'aux autres groupes économiques, de même que la primauté du droit et la discipline budgétaire. Il est intéressant de noter, d'après les chiffres, que la maîtrise de l'inflation semble profiter davantage aux pauvres qu'au reste de la société. En outre, contrairement à l'idée selon laquelle les pauvres ont pu bénéficier de la croissance par le passé, mais que ce n'est plus le cas dans l'économie «mondialisée» d'aujourd'hui, l'analyse montre que la relation positive entre croissance et réduction de la pauvreté n'a pas changé. Le rôle des entreprises privées L'obtention d'un emploi ou d'un meilleur emploi fait partie des changements le plus étroitement liés à l'amélioration de la situation économique. La création d'emplois est un élément crucial de la lutte contre la pauvreté. Ce sont les entreprises, qu'il s'agisse de sociétés nouvelles, très petites, ou de plus grandes entreprises qui se développent dans une économie en expansion, qui créent le plus d'emplois durables. Dans quasiment tous les pays en développement, Chine comprise, les entreprises privées sont à l'origine de la plupart des emplois nouveaux Ces sociétés, grandes et petites, nationales et étrangères, opèrent dans tous les secteurs d'activité. Même si les emplois du secteur public contribuent également à la mobilité des revenus, les tentatives délibérées de créer des emplois, qu'elles soient le fait des administrations centrales ou des entreprises publiques, ont presque toujours été vouées à l'échec. Les entreprises publiques sont généralement déficitaires; à terme, beaucoup font faillite ou ponctionnent les finances publiques. Les entreprises privées contribuent également au développement par d'autres moyens indispensables à l'expansion économique et à la lutte contre la pauvreté : ? Dans la plupart des pays en développement, elles produisent une grande partie des recettes fiscales de l'État, sans lesquelles il serait impossible d'assurer le financement public des soins de santé, de l'éducation, de la protection sociale, de la recherche agricole et d'autres dépenses essentielles. ? Dans les économies concurrentielles, les sociétés privées les plus en vue sont constamment à l'affût d'informations pouvant faire l'objet d'applications pratiques à l'échelle locale; pour rester compétitives, d'autres leur emboîteront le pas. Ainsi, les cadres et les employés améliorent leur capital humain, leur productivité et leurs revenus, et contribuent à la diffusion d'un savoir et de techniques utiles. ? À la longue, les entreprises compétitives améliorent la qualité des produits et en diminuent les prix, augmentant ainsi le pouvoir d'achat des consommateurs, y compris des pauvres. Dans des pays comme l'Inde et le Brésil, certaines entreprises privées ciblent désormais les segments les plus démunis de la population, dans lesquels elles voient de nouveaux marchés prometteurs. Néanmoins, les entreprises pri vées ne créent pas toutes, dans tous les environnements, des emplois, des investissements et du capital humain. Les monopoles et les oligopoles, les barrières aux importations de produits concurrents et les subventions publiques empêchent les sociétés privées de lutter contre la pauvreté. Les mesures gouvernementales qui favorisent la concurrence sont le meilleur moyen de lutter contre la concentration du pouvoir, l'oligarchie, le monopole, la corruption et les autres distorsions qui réduisent à néant les efforts visant à aider les pauvres. L'affaiblissement des régimes de faveur, la simplification des formalités administratives, la réglementation des monopoles naturels et l'encouragement à la libéralisation s'allient contre les privilèges fermement enracinés qui perpétuent la pauvreté. L'élargissement des marchés par le biais d'accords commerciaux et monétaires régionaux, la mondialisation croissante et la libéralisation concomitante mettent en péril ces arrangements confortables. Le contexte de l'entreprise : Que peuvent faire les gouvernements pour appuyer la création et l'expansion de sociétés qui soient viables sur le plan financier, économique, social et environnemental? Outre l'amélioration des soins de santé, de l'éducation et des conditions macro-écomiques et l'ouverture à la concurrence, les États peuvent entreprendre des réformes institutionnelles qui, à la longue, diminuent les coûts liés à l'activité commerciale et créent ainsi un environnement plus favorable aux affaires. Ces réformes encouragent non seulement les investisseurs étrangers mais, surtout, les milliers d'entrepreneurs locaux désireux de créer ou d'agrandir de petites entreprises dans les domaines de l'agriculture, des services et des industries manufacturières. Plusieurs enquêtes et analyses portant sur les entreprises et les liens entre facteurs institutionnels et résultats économiques ont été réalisées ces dernières années. Elles mettent en lumière les domaines où, dans de nombreux pays en développement, il est urgent d'entreprendre des réformes. Les conclusions qui s'en dégagent sont notamment les suivantes : ? Il existe un lien étroit entre la qualité du contexte commercial et la performance économique nationale sur le long terme, notamment en ce qui concerne le rythme de la réduction de la pauvreté. ? La primauté du droit ? notamment la mesure dans laquelle les autorités publiques assurent le respect des contrats entre parties privées (et entre des parties privées et l'État) ? est indispensable au développement à long terme et, comme on l'a déjà dit, concerne aussi bien les pauvres que les riches. ? Le respect des droits de propriété (surtout ceux des pauvres) est étroitement lié au progrès économique et social à long terme. ? L'efficacité des services publics est également associée au progrès économique. Une enquête récente, portant sur 10.000 entreprises et menée à l'échelle mondiale, en 1999 et 2000, sous l'égide du Groupe de la Banque mondiale, identifie les principaux obstacles à la conduite des affaires mentionnés par les chefs d'entreprise dans les pays en développement. Les obstacles ont été classés en fonction de leur importance perçue sur une échelle comprise entre : («Pas d'obstacle») et («obstacle majeur»).On constate sans surprise qu'en moyenne les obstacles perçus sont plus importants dans les pays en développement que dans les pays industrialisés. Quatre éléments figurent en tête de la liste établie pour les pays en développement, avec une moyenne de 2,9: impôts et réglementations, difficultés de financement, inflation et instabilité ou incertitude politiques. Suivent la corruption, les problèmes relatifs aux taux de change et «la délinquance, les troubles et le vol», avec une moyenne de 2,6. L'analyse de ces données pour tous les pays semble indiquer que l'investissement et la croissance économique sont liés à certains indicateurs essentiels de la qualité du climat de l'investissement. On constate, par exemple, que les flux d'investissement direct étranger augmentent avec la prévisibilité du contexte économique et juridique, et diminuent en fonction des contraintes fiscales et réglementaires et de l'instabilité des taux de change. De même, la croissance du PIB dans les différents de pays présente une corrélation négative avec les contraintes fiscales et réglementaires en général, notamment les taux d'imposition élevés, l'administration de l'impôt et les procédures d'inscription au registre du commerce. Plus généralement, le rythme de la croissance économique à long terme est étroitement lié aux coûts. Les petites entreprises ? les jeunes entreprises notamment ?, qui sont un élément essentiel du développement économique et social à long terme, sont particulièrement vulnérables à une mauvaise gestion publique .Elles souffrent plus que d'autres de politiques inadaptées et d'institutions inefficaces. Les sociétés plus importantes peuvent mieux se protéger, même si cette protection est onéreuse. Les petites entreprises n'ont souvent pas d'autre choix que de se réfugier dans l'économie informelle. Ainsi, les gouvernements qui découragent la création d'entreprises et obligent les PME à entrer dans la clandestinité économique freinent la création d'emplois et la mobilité sociale. Par ailleurs, les jeunes entreprises et les petites sociétés sont le vivier des classes moyennes; la fragilité de ces classes, dans la plupart des pays à faible revenu, est une entrave au progrès économique et social. Curieusement, les gouvernements et les organisations internationales n'ont commencé que récemment à recourir systématiquement aux enquêtes sur l'environnement commercial qui, pourtant, donnent un diagnostic détaillé des problèmes et montrent clairement quelles mesures permettraient de renforcer l'effet favorable des entreprises privées sur le développement et la réduction de la pauvreté. Les institutions internationales qui apportent une assistance financière aux pays en développement pourraient utiliser des prêts à l'ajustement sectoriels conçus de manière à améliorer la conjoncture commerciale pour combattre la pauvreté. Ces prêts aideraient les gouvernements désireux et capables d'insuffler une vigueur nouvelle à leurs économies en s'attaquant aux intérêts catégoriels et en offrant ainsi aux gens davantage de possibilités de sortir de la pauvreté. Les mesures nécessaires à l'amélioration du contexte commercial offrent un cadre pratique à l'étude des problèmes de développement qu'affronte chaque pays. Elles constituent donc une composante essentielle d'une approche intégrale du développement, parallèlement aux programmes macroéconomiques et sociaux. En tout état de cause, la relance de l'économie passe en priorité par la réhabilitation du travail comme valeur, comme outil d'amélioration du pouvoir d'achat et comme instrument de lutte contre le chômage et la pauvreté. Cet objectif suppose de lutter contre la pauvreté au travail. Il nécessite également une adaptation du système des prélèvements obligatoires, afin de le rendre plus incitatif et plus équitable et de l'adapter aux nécessités d'une économie ouverte et aux besoins des Algériens, qui doivent pouvoir transmettre le fruit de leur travail et souhaitent légitimement que celui-ci ait pour contrepartie une amélioration de leur pouvoir d'achat, y compris dans le domaine du logement. Telle est l'ambition de toute une population qui vise à donner corps aux engagements clairs pris devant elle par tous nos responsables. |