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A l'approche du
mois sacré du Ramadhan 2010, où les personnes aisées doivent sentir elles aussi
les souffrances physiques et morales qu'endurent les pauvres à longueur
d'année, et qui en principe devrait nous inciter à plus de solidarité - sans
calculs - et d'ardeur dans le travail, je lance un appel fraternel à nos
responsables qui ne doivent pas exploiter la misère humaine à des fins
politiques.
Mesdames, Messieurs nos responsables, de grâce, n'humiliez pas ces pauvres gens, ne les faites plus filmer comme par le passé avec indécence, par la télévision publique ENTV, pour les couffins de Ramadhan ou ces images aussi indécentes au sein de restaurants de gens à l'air hagard. Je connais d'anciens fonctionnaires en retraite avec en charge des enfants dont la majorité ne travaille pas, certains enseignants du primaire et du secondaire, des cadres moyens, des journalistes qui ont tout donné à l'Algérie après plus de 30 ans de carrière avec moins de 20.000 dinars par mois (je ne parlerai pas de ceux qui perçoivent toujours moins de 12.000 dinars par mois comme certains retraités) qui, par la force des choses, sont contraints et pour d'autres se réfugiant soit dans la sphère informelle ou devenant des chauffeurs de taxis clandestins pour boucler les fins de mois. Respectez au moins leur dignité; ils n'ont plus que cela, d'autant plus que les hydrocarbures, à ma connaissance, sont la propriété de tout le peuple algérien. Comme le rappelait un des plus célèbres économistes du XXème siècle, John Maynard KEYNES, je cite : « Certains dirigeants confondent abusivement fonds public avec leurs fonds personnels. S'ils veulent faire œuvre véritablement de bonne charité, qu'ils le fassent sur leur propre compte bancaire ». Que chacun d'entre nous, et sans publicité, fasse un don en ce mois sacré de Ramadan selon ses propres moyens. Certes, le SNMG algérien a doublé en passant de 6.000 à 15.000 dinars mais en dépit de cette augmentation, une interrogation s'impose : comment avec une inflation de retour, est-ce qu'un Algérien, qui vit au SNMG, avec 4 euros par jour, fait face aux dépenses et contraintes incontournables (alimentation, transport, santé, éducation), dégradation du pouvoir d'achat renforcée par la dévaluation cyclique du dinar qui accentue l'inflation interne. En économie de marché concurrentielle, l'Etat régulateur est fort. Or, en l'absence d'une véritable politique hors hydrocarbures de l'offre, d'une véritable politique salariale récompensant l'effort (faible productivité du travail), de mécanismes de régulation, les prix des produits de large consommation connaissent, comme de coutume, notamment à la veille de chaque mois de Ramadhan, des fêtes religieuses ainsi qu'à l'approche des rentrées sociales, des augmentations sans précédent, producteurs, détaillants et grossistes se rejetant chacun la responsabilité. Sur la base du panier de la ménagère que maintient inchangé l'Office national des statistiques (ONS) depuis des années alors que le besoin est historiquement daté, l'inflation serait maîtrisée alors que le vécu de la majorité des Algériens renvoie à une tout autre réalité. L'écart entre l'inflation perçue par l'Algérien et celle calculée par l'ONS témoigne, outre la difficulté de vérifier la véracité d'une donnée officielle, et du pouvoir d'achat de la majorité sans cesse en détérioration et que voile paradoxalement la crise du logement (même marmite) et des redistributions de revenus fictifs au sein d'une même famille (faire et refaire les trottoirs dans la majorité des APC d'Algérie) pour une paix sociale éphémère grâce à la rente des hydrocarbures. QUE SERA L'ALGÉRIE DANS 20 ANS? : DEUX SCENARIOS Que sera l'Algérie en 2030, c'est-à-dire demain, avec une population qui approchera 50 millions d'habitants presque sans hydrocarbures, déflagration sociale ou développement ? Quel sera le poids de l'Algérie dans les relations internationales sans les hydrocarbures en ce monde impitoyable ou toute Nation qui n'avance pas recule ? Telle est la question que doit se poser tout dirigeant soucieux des intérêts supérieurs du pays. Et telle a été la question qui m'a été posée par mes étudiants de doctorat angoissés vis-à-vis de leur avenir : « Professeur, que sera l'Algérie dans 20 ans, l'Algérie étant indépendante depuis 48 ans et malgré tous les discours de nos dirigeants, l'Algérie étant toujours une économie rentière? Quel sera notre avenir et celui de nos enfants si on a la chance de trouver un emploi digne et de nous marier? Nous avons beaucoup d'amis qui aussitôt terminées leurs études se retrouvent des harraga.» L'âge moyen de mes étudiants étant d'environ 25 ans, ils auront alors 45 ans et entre-temps ils auront pour exigence, comme tout Algérien, un emploi, un logement, se marier et avoir des enfants, et donc une demande sociale croissante. Pour ceux qui travaillent actuellement (moyenne d'âge 35/40 ans), ils auront entre 55/60 ans et seront presque en retraite. J'ai essayé de donner une réponse adéquate face à cette angoisse largement justifiée, et ce, par un dialogue fécond contradictoire. Il faut dialoguer et toujours dialoguer, le plus grand ignorant est celui qui prétend tout savoir. Le dialogue n'est-il pas la vertu des grands dirigeants qui ont marqué positivement leurs pays ? 1 - Le premier scénario serait le statu quo actuel suicidaire avec le retour à une gestion administrée autoritaire des années 1970 ignorant les mutations sociales tant internes que mondiales que voile une certaine aisance financière (réserves de change de 150 milliards de dollars), non pas due au génie créateur mais à la rente des hydrocarbures. Un Etat relativement riche mais une population en majorité de plus en plus pauvre, comme en témoigne cet accroissement des couffins pendant le mois de Ramadhan, réalité voilée par les autosatisfactions de certains responsables vivant d'illusions au sein de bureaux, mais étant source de névrose collective car déconnectés des réalités sociales, la facilité étant de pondre des lois face aux difficultés mais que contredisent les pratiques quotidiennes. Si un l'on prend l'hypothèse la plus optimiste, les derniers rapports internationaux pour l'Algérie donnant un pic pour l'Algérie dans 16 ans pour le pétrole (1% des réserves mondiales) et entre 20/25 ans pour le gaz (3% des réserves mondiales) et tenant compte d'une forte consommation intérieure, l'extension du gaz non conventionnel et le nouveau modèle de consommation énergétique qui se mettra en place entre 2015/2020 qui prépare les énergies alternatives qui risquent de raccourcir l'échéance pour le gaz, car on peut découvrir des milliers de gisements non rentables, il n'y aura plus de devises provenant des hydrocarbures, comme cela a été le cas récemment pour l'Indonésie mais qui a préparé l'après pétrole, dans 20 ans. Nous devrions assister à la suppression du ministère des Hydrocarbures et donc de Sonatrach et par là, celui de la Solidarité nationale. Le risque est l'implosion de la caisse de retraite, pas d'attrait de l'investissement, chômage croissant, des tensions sociales de plus en plus criardes avec une instabilité politique, à l'instar des pays les plus pauvres de l'Afrique subsaharienne et risque d'intervention de puissances étrangères en cas d'instabilité du bassin méditerranéen. 2 - Mais évitons la sinistrose: le second scénario se base sur les conditions favorables de développement de l'Algérie, par une gouvernance rénovée grâce à une plus grande moralisation des dirigeants, se basant sur les principes d'un Etat de droit, l'implication de la société, loin des mesures administratives autoritaires, donc des actions démocratiques, corrélativement à la réhabilitation du savoir, du management stratégique de l'entreprise et des institutions, par une libéralisation maîtrisée grâce au rôle central de l'État régulateur. Le défi majeur sera la maîtrise du temps, supposant donc des compétences avérées car en économie, le temps ne se rattrape jamais, contrairement à la mentalité culturelle rentière. Pour cela, il faudra impérativement avoir une vision stratégique afin que l'Algérie ait un rôle actif dans le monde de demain, turbulent et en perpétuel mouvement, en évitant d'agir bureaucratiquement, éviter l'instabilité juridique, le manque de cohérence et de visibilité dans la politique économique, combattre la mauvaise gestion, évitant cette illusion que le développement s'assimilerait à la dépense monétaire via la dépense publique sans se préoccuper des impacts réels à moyen et long termes. Il s'agit également de combattre la corruption qui s'est socialisée en démobilisant toute énergie créatrice, dont la sphère informelle dont l'intégration suppose non des mesures autoritaires mais d'autres mécanismes de régulation transparents, existant des relations dialectiques au niveau des différentes sphères du pouvoir, entre la logique rentière dominée par les hydrocarbures et la logique de cette sphère informelle, produit du dysfonctionnement des structures de l'Etat, reflétant la faiblesse d'un État de non droit, sphère contrôlant 40.% de la masse monétaire en circulation avec une intermédiation financière informelle où tout se traite en cash, rendant inopérant certaines mesures si louables soient-elles comme l'exigence de 500.000 dinars par chèque pour toute transaction, renvoyant d'ailleurs à l'inefficience du système financier, lieu de distribution de la rente. Il faudra favoriser le dialogue économique et social, évitant la concentration excessive du revenu national au profit de rentes spéculatives destructrices de richesses, garder une partie de la rente pour les générations futures, mettre en place un nouveau modèle de consommation énergétique, reposant sur les énergies renouvelables dont le solaire et promouvoir des segments, y compris les services à valeur ajoutée, en réhabilitant l'entreprise, en levant les contraintes d'environnement ( terrorisme bureaucratique central et local, système financier sclérosé, système socioéducatif inadapté, le foncier) et son fondement, le savoir actuellement dévalorisé au profit des rentes. Et ce, dans un environnement concurrentiel, loin de tout monopole public ou privé, dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux car la société algérienne évoluera forcément au sein d'une économie mondiale de plus en plus ouverte. Cette nouvelle approche reposera sur des allocations bien ciblées d'investissement, les infrastructures n'étant qu'un moyen, devant faire un bilan objectif des impacts réels du programme de la dépense publique 2004/2009 afin d'éviter les mêmes erreurs pour le futur programme 2010/2014, du bilan des assainissements des entreprises publiques ainsi que de l'efficacité de la gestion des réserves de change, notamment des montants placés à l'étranger. En conclusion, gouverner étant de prévoir, les défis qui attendent l'Algérie sont immenses du fait de l'important retard accusé dans la réforme globale, les politiques socioéconomiques depuis des décennies s'étant réfugiées dans des actions de replâtrages conjoncturels en misant sur la dépense monétaire et aux réalisations physiques souvent ne répondant pas aux normes internationales, sans se préoccuper des coûts, au lieu d'une vision stratégique tenant compte des mutations mondiales. L'Algérie a déjà 48 années d'indépendance politique. Or 2030, c'est l'Algérie de demain qui peut soit rentrer dans la régression économique et sociale ou devenir un pays pivot au sein de l'espace euro-méditerranéen et arabo-africain. * Professeur d'Université en management stratégique |