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PRINTEMPS. Roman de Rachid Boudjedra. Editions Barzakh, (Grasset &
Fasquelle,2014), 267 pages, 1 050 dinars, Alger 2014.
Quel livre ! Du Boudjedra comme on n'en avait pas lu depuis bien longtemps. Décidemment, le talent littéraire (prouvé, cela s'entend) se bonifie avec le temps? et «flamboie» quand il retombe ? en jeunesse. Une histoire boudjedréenne comme il se doit. La femme, des femmes, l'indépendance, la solitude, l'amour, le sexe, encore du sexe, l' angoisse, la liberté, la vie, la mort? Déjà, rien que le corps de l'histoire est, en lui-même, toute une philosophie de vie : Une jeune femme, universitaire (donc autonome financièrement) , intellectuelle (car elle pense), libre (elle n'aime pas les hommes ? qui, dans son enfance, ont tenté de la violer) et libérée (elle aime les femmes, jeunes et mignonnes de préférence), sportive, ancienne championne olympique du 400 m haies (un parcours d'obstacles très difficile en raison des haies multiples et de la nécessaire précision des gestes, conjuguée à la rapidité) avec, aussi, pour autre spécialité, la course de vitesse. Pas facile de la rattraper et encore moins de l'attraper ! L'auteur ne manque pas de multiplier des digressions explicatives parfois pour ce qui concerne les personnalités ou les périodes historiques citées ? et des digressions critiques pour expliquer, à sa manière et selon ses idées politiques (qui ne les connaît, tant sa franchise est proverbiale et claire, défenseur d'une révolution collective et pourfendeur des «printemps arabes» - dont l'Octobre 88 d' Algérie- derrière lesquels il n'y voit que complots et autres manip'extérieurs ) le pays, le système, l'actualité nationale et internationale, la gouvernance, les gouvernants, les dérives ? , ce qui rend parfois difficile le suivi et compréhension de l'histoire principale. Dans tout cela, ne mâchant pas ses mots, l'islamisme, le terrorisme, le capitalisme, le «système, tous en prennent pour leur grade ! Boudjedra ? Romancier, bien sûr. Mais aussi, sociologue, psy', historien, politologue ... Une véritable Encyclopédie vivante et en perpétuel mouvement. Ça va, ça vient, ça repart, ça revient. La jouissance littéraire, la vraie, la grande, c'est ça. Avis : Surtout ne le manquez pas. Difficile à lire (c'est du Boudjedra, pardi ! avec ses mots, ses petites (ou très longues) phrases qui se mélangent, s'enlacent, se pénètrent, ses échappées, ses mots excessifs et ses jugements tranchants) mais à lire, car c'est une de ses plus belles œuvres, peut-être la plus aboutie, qui montre aussi que Rachid Boudjedra reste le plus grand, le plus fort de la littérature nationale ? et plus (+). Avec la Répudiation, on a eu les mémoires romancées d'un jeune homme, d'un homme en devenir. Aujourd'hui, on a les mémoires (sous forme de roman et une histoire-alibi) d'un homme-citoyen accompli. Extraits : «L'Histoire est répétitive, têtue et incorrigible» (p 73), «Mon pays est si douloureux? mon pays c'est une histoire effroyable et une géographie interminable. Mon pays souffre de la malédiction coloniale, cinquante ans après son indépendance. Encore aujourd'hui,?Mon pays, c'est une plaie ouverte ! Une malédiction post-coloniale» (p 104), «Un homme qui s'immole c'est horrible ! Mais pas suffisant» (p 105), «L'Histoire est une saloperie (?). Faite plus par des salauds qui la confisquent que par les peuples qui la paient de leur vie? Les peuples sont pauvres. Les peuples sont naifs. Les peuples sont souvent trop dociles, trop passifs ! Incultes. Crédules. Veules aussi ! Lâches aussi !» ( p 106), «Une dépression individuelle ne fait pas une révolution collective» (p 106), «Lorsque ce sont les autres qui fabriquent vos propres concepts, c'en est fini. Foutu. C'est la mort. Ce que nous sommes : des non-êtres. Des absents. Des fantômes» (p 146), « Il arrive toujours un moment dans l'Histoire des hommes où tout devient crucial, essentiel, vital, indispensable; et qu'il n'y a alors qu'une seule façon de s'en sortir : la mort. C'est-à-dire une sorte de mort dans les deux sens: que l'on donne et que l'on reçoit» (p 246), «Il n'y a pas un peuple, un pays, un Etat, une nation qui n'ait été un jour raciste, guerrier, colonialiste, esclavagiste et impérialiste ! Cruellement. Sadiquement. A commencer par les Arabes et les musulmans» (p 272). UN BRIN DE MENTHE A L'OREILLE.Roman de Abderrahmane Mekhlef. Apic Editions, 428 page, 880 dinars, Alger 2014. Il a la Casbah (d'Alger) dans les tripes et il le prouve tout au long des pages. Il la raconte, en s'étalant bien souvent sur le tout Alger, sur plus de douze années - des années qui ont accéléré l'Histoire du mouvement national - de novembre 1942 (entre autres avec le débarquement des Américains, des sortes d'«extra-terrestres»? une véritable révolution civilisationnelle ? et alimentaire qui n'est pas allée sans heurts, les Gi's de l'époque prenant la Casbah pour autre chose que ce qu'elle était !) au déclenchement de la guerre de libération nationale, en novembre 1954. Des détails, des détails et encore de détails. De la vie. Au quotidien. Des noms, des lieux, des évènements politiques, sportifs, culturels, cultuels, sociaux, petits et grands ; à travers les activités des petites gens, des femmes, des enfants, leurs propos, leurs comportements, leurs résistances politiques, leur nif et leur redjla, leurs us et coutumes, la musique, le foot et la boxe, leurs combats parfois ouverts et sanglants; à travers les amitiés sincères et progressistes (si !si ! et il y en avait même parmi la population européenne) entre personnes de communautés différentes, cohabitant dans la paix des cœurs et l'échange fraternel, du moins en apparence, la misère étant l'ennemi commun (tout particulièrement la communauté juive d'origine berbère : voir de belles pages, 103 à 109) ; à travers la vie parallèle des pieds noirs ; à travers la presse (intéressante approche littéraire que de -bien - utiliser les informations parues dans la presse de l'époque . Pas mieux pour «rendre» l'atmosphère), à travers les compétitions sportives ; à travers les «activités» de la pègre avec des surnoms incroyables qui sont encore inscrits dans les mémoires et les murs : le frères Hammiche, H'sen El Annabi, Petit Boxeur, Moh Nigro,Yeux Bleus, Ali Salembier, Rabah Deuxième, Al Capone, Moh Seghir, But Abbot, ? Ali la Pointe dans sa première vie. Quoi de mieux, pour déchiffrer un monde difficile, à l'apparence paisible en même temps, dans une Cité toujours en éveil, mais un monde en ébullition «intérieure», annonciateur de grands bouleversements politiques et sociétaux, que les yeux d'un enfant (Dahmane? l'auteur ? sachant combien notre homme aime la Casbah et ses habitants? lui y compris), un peu insouciant mais qui s'éveille à la vie au milieu d'adultes trop longtemps opprimés mais cherchant les voies de la libération. Il y a même des histoires d'amour qui n'iront pas très loin (Akli, l'apprenti pâtissier et Salima, la fille du patron pâtissier, encore lycéenne, une «tchi-tchi» de l'époque) qui s'ébauchent? ou dérapent, des corps qui fusionnent . Ainsi donc, tout n'était pas noir à la Casbah, mais tout n'était pas rose, pardi ! Ajoutez - y un peu de menthe dans votre thé et vous y reviendrez. Nostalgie, nostalgie, «guetl'tna» ! Avis : Livre intéressant à lire (en vacances et pour tout savoir sur les années algéroises 40- début 50) bien que difficile. Car, trop de détails, et caractères trop serrés pour une pagination assez fournie. Extraits : «La Casbah recèle tant de magie, de légendes, d'épopées et de destins extraordinaires qu'il y a du pain sur la planche pour tous ceux qu'intéresse cette merveilleuse cité » (p 8), «Les chahuts rassemblent toujours petits blancs et indigènes ;et le bref instant d'exaltation juvénile passé, chacun rentre dans sa coquille communautaire» (p 412) DOCTEUR AROUA, MON AMI. Biographie, par Dr Messaoud Djennas. Casbah Editions, 206 pages, 780 dinars, Alger 2001 C'est le récit d'une longue, fidèle et émouvante amitié. Une amitié qui a pris naissance à la Fac', s'est consolidée en camp de détention (Bossuet) durant la guerre de libération nationale et a continué après l'Indépendance jusqu'au décès du Dr. Ahmed Aroua le 27 février 1992 à l'âge de 66 ans. Elle continue encore et ce livre en est le témoignage vivant, son titre étant on ne peut plus clair. Un livre d'«amitié» inusée et inusable . Mais ouvrage qui intéresserait aussi ? des historiens car bien des passages sont révélateurs de la vie politique, assez heurtée, du pays. Exemples : Les vues expansionnistes de H. Bourguiba sur l'Est du pays/ Problématique (encore insoluble) des préceptes de l'Islam, qui, pouvant être appliqués à la cellule familiale avec plus ou moins de bonheur le seraient difficilement pour tout un Etat/ La crise de l'été 62 avec sa confusion, et le «pouvoir régalien » de la Zaa ( «La plupart des responsables étaient marxistes» (sic !)?selon l'auteur) / Y. Ben Khedda en juillet 62, à Alger? et fin des années 80 avec Kiouane, Aroua, Ben H'mida, Boulahrouf, B. Bourouiba, T. Gaid, Kaddache et d'autres, décidant de créer un mouvement islamiste (El Oumma) avec le Coran comme unique source de la future Constitution? certainement pour «contrer» la montée des mouvements islamistes radicaux. Comment , malgré tout, peut-on ne pas s'attacher à Ahmed Aroua et aux principes qu'il défendait, du moins dans leurs grandes largeurs, et quelles que soient les différences d'approche politique des situations et, surtout de l'interprétation du fait religieux dans le domaine de la vie politique, l'auteur étant, à mon avis, bien plus sceptique que son ami? un être trop idéaliste ou trop optimiste, peut-être et certainement très sûr de la force de la «morale islamique» dont il était totalement et globalement imprégné sans pour autant se couper du monde dit moderne. Un être de grande morale et de grande culture. Un poète. Un écrivain. Un universitaire (il a été recteur de l'Université islamique de Constantine). Un humaniste vrai qui s'investissait dans tout ce qui lui semblait bon pour la société et l'humain, un militant de la lutte pour l'indépendance du pays (il a même composé le futur hymne de l'Ugta, en sa prison de Bossuet) , un médecin du petit peuple engagé dans la lutte pour une plus grande hygiène sociale? Respect , Doc' ! Merci, Prof' ! Avis : Ouvrage émouvant par l'amitié qu'il a su faire revivre avec des mots et des phrases simples, clairs et francs. Extraits : «L'homme peut, en effet, être très sérieux, très productif, tout en se distrayant, en se défoulant parfois. On peut même dire que ceci favorise cela et la nature, on le sait, a horreur des déséquilibres» (p 38), «Les plus heureux parmi les mortels sont ceux qui ont trouvé un sens à la vie et qui, dans l'art, la science, la religion ou l'amour, vivent en conformité avec leurs idées» (Pensée de Ahmed Aroua, p 49). |
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