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Le gaz de schiste, menace pour l’environnement ou simple effet de buzz ?

par Abed Charef

Les adversaires du gaz de schiste insistent sur le désastre que constituerait la fracturation hydraulique pour l’environnement.

L’opposition à l’exploitation du gaz de schiste en Algérie fédère de larges courants d’opinion, même si elle est, pour l’heure, le fait d’activistes qui ont trouvé un nouveau terrain pour en découdre avec le gouvernement. Cette variété des opposants offre un argumentaire très diversifié, incluant menace contre l’environnement, incertitudes économiques, volonté de dépasser la rente et le gaspillage, ou menaces contre la santé.

Mais au premier rang de la mobilisation contre le gaz de schiste, on trouve les traditionnels militants radicaux qui le font «par principe», par dogmatisme, ou par rejet de tout ce qui vient du gouvernement. Ecologistes, activistes de tous bords, opposants plus ou moins radicaux s’en tiennent à cette ligne. Très présents sur les réseaux sociaux, dans les forums et dans les cercles de réflexion, ils ont représenté, jusque-là, l’expression la plus visible de l’opposition à l’exploitation du gaz de schiste, compensant la défaillance des institutions traditionnelles. Les partis dits d’opposition sont restés assez vagues sur le sujet. Peu d’entre eux ont une position tranchée.

Cette opposition s’appuie parfois sur une expertise très reconnue. Anciens PDG de Sonatrach, experts, parmi lesquels Hocine Malti, ancien numéro deux de Sonatrach et auteur de la fameuse lettre à «Rab edzaïr», tous sont sollicités pour dénoncer le choix du gouvernement.

A l’exception de M. Malti, le discours reste cependant prudent, plutôt réservé. Les autres ne se disent pas hostiles à l’exploitation du gaz de schiste, ils sont plutôt réservés. Ils préfèrent insister sur les risques encourus, ainsi que sur la rentabilité aléatoire de cette ressource, au vu de l’état actuel du marché.

UN CATACLYSME ANNONCE

C’est le volet écologique qui domine l’argumentaire des opposants au gaz de schiste. Sur ce point précis, le discours est rodé, et il produit son effet. Le procédé utilisé pour extraire le gaz de schiste, la fracturation hydraulique, est un thème aussi médiatisé que combattu. Un rejet qui trouve sa justification dans le fait que la plupart des pays européens l’ont refusé. C’est un raccourci curieux : les militants contre le gaz de schiste trouvent normal que certains pays rejettent un procédé qu’ils ne connaissent même pas, mais ils ne veulent pas entendre les arguments des compagnies américaines qui ont expérimenté et utilisent le procédé.

Ce qui ne veut pas dire que le risque n’existe pas, bien au contraire. «La menace est réelle, mais elle semble exagérée». Les adversaires du gaz de schiste ont d’ailleurs recours à des images et des formules qui laissent entrevoir un cataclysme imminent. Mme Sabrina Rahmani, qui a lancé une pétition contre l’exploitation du gaz de schiste, affirme qu’il est «formellement établi que la technique d’exploitation des gaz de schistes par fracturation hydraulique est nocive aussi bien sur les équilibres environnementaux que sur la santé». Elle ajoute qu’une mise en garde a été lancée par «la quasi-unanimité des scientifiques et de nombreux experts nationaux et internationaux quant à la dangerosité de ce procédé». Ces deux affirmations ne sont pas étayées. Il y a des spécialistes qui les appuient, mais il y en d’autres qui les réfutent.

UNE LISTE QUI FAIT PEUR

La liste des produits chimiques utilisés dans la fracturation hydraulique, cités par Mme Rahmani, donne la chair de poule. Les uns sont cancérigènes, d’autres toxiques, neurotoxiques, ou «toxiques pour la reproduction». Certaines substances utilisées sont considérées comme des «perturbateurs endocriniens». Il est aussi question d’une liste de 200 produits chimiques, dont certains sont gardés secrets.

En additionnant tous ces produits et les risques qu’ils comportent, on se demande comment il y a encore des survivants dans certaines villes américaines !

En fait, ces excès des adversaires du gaz de schiste détruisent leur crédibilité, alors que le risque, lui, est bien réel. Il est probable que les lobbies pétroliers, très puissants, ont réussi à occulter certains aspects négatifs de l’exploitation du gaz de schiste. M. Abdelmalek Sellal, dans son style très particulier, a lui aussi joué au lobbyiste, en affirmant que les produits chimiques utilisés dans la fracturation hydraulique sont totalement inoffensifs. Pour preuve, ils sont utilisés dans les produits pour lessive et dans les couches pour bébés, a-t-il dit. Il a aussi tenté de justifier l’utilisation de l’eau en quantités abondantes, en rappelant que l’exploitation des puits conventionnels nécessite, elle aussi, beaucoup d’eau.

AUCUN ACCIDENT D’ENVERGURE

Les opposants au gaz de schiste insistent précisément sur ce volet. Pays aride, avec des ressources en eau rares, l’Algérie doit absolument préserver l’immense nappe albienne du Sahara. En évitant de l’exploiter, ou en prenant les mesures strictes pour diminuer les risques, à défaut de les éliminer complètement ?

Deux faits sont établis. D’une part, le gaz de schiste a bouleversé la carte énergétique du monde, en permettant aux Etats-Unis d’envisager une possible indépendance énergétique, et de redevenir le premier producteur de gaz au monde à l’horizon 2030, selon l’Agence Internationale de l’Energie. Il est difficile d’ignorer une telle ressource, si l’Algérie dispose de réserves aussi importantes qu’on le dit.

D’autre part, l’exploitation du gaz de schiste n’a donné lieu, jusqu’à présent, à aucun accident d’envergure connu. Ce qui atténue considérablement le côté cataclysmique qui lui est attribué. Mabrouk Aïb, professeur à l’école polytechnique, est formel : la pollution induite par le gaz de schiste a fait le buzz, mais elle est «infiniment moins grave» que celle due à la mauvaise gestion au quotidien. Faut-il en déduire qu’il faut encourager l’exploitation du gaz de schiste? C’est une autre histoire.