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La gouvernance algérienne renforce la menace liée à l’exploitation du gaz de schiste

par Abed Charef

Exploiter le gaz de schiste nécessite des institutions performantes et de vrais contre-pouvoirs. L’Algérie ne possède ni l’un ni l’autre.

Et si l’Algérie devait se détourner du gaz de schiste tout simplement parce qu’il n’est pas rentable ? C’est ce qu’affirment certains économistes hostiles à l’exploitation du gaz non conventionnel. A l’heure actuelle, le gaz de schiste est vendu autour de 3-4 dollars le million de BTU aux Etats-Unis. L’exploitation coûte entre sept et douze dollars. Le déficit est évident, et il risque de s’aggraver, car l’abondance du gaz de schiste a dangereusement poussé les prix vers le bas. En l’état actuel des choses, produire du gaz de schiste, c’est donc perdre de l’argent. Le simple bon sens devrait faire réfléchir avant d’engager les sommes colossales exigées par cette activité.

Le coût d’un forage est de 15 à 25 millions de dollars, et il faut en creuser des centaines chaque année pour espérer une production conséquente.

Dès lors, une question s’impose : mais comment font donc les Américains, eux qui sont les premiers producteurs au monde d’hydrocarbures non conventionnels ? Ils ont un modèle économique qui permet de rentabiliser le gaz de schiste, grâce à une série de subventions indirectes, compensées par les gains énormes de l’économie américaine, qui a pu relocaliser toute une série d’activités consommatrices d’énergie bon marché, ou liées à la pétrochimie, grâce à un réseau de gazoducs très dense.
Ce modèle n’est pas complètement transposable à l’Algérie, où il n’y a pas d’activité industrielle, et pas de réseau de transport de gaz avec la densité souhaitée. Mais est-ce suffisant pour décréter de manière définitive que le gaz de schiste n’est pas rentable ?

LE MARCHE N’EST PAS UNIFORME

En fait, le marché du gaz n’est pas uniforme. Le prix du gaz en Asie est déjà près de deux fois plus élevé qu’aux Etats-Unis. En outre, un gaz à bas prix associé à un pétrole vendu à un prix très élevé offre une excellente opportunité : l’exploitant fait déjà du bénéfice s’il trouve du pétrole, le gaz représente pour lui un plus.

Enfin, rien ne dit que le prix du gaz restera longtemps aussi bas. Si les Etats-Unis ont besoin de relancer les prix vers le haut pour encourager leur production, ils manipuleront les prix pour y arriver. Après tout, rien ne justifie un pétrole à plus de 100 dollars si on s’en tient aux strictes lois de l’offre et de la demande.

Opter pour le gaz de schiste peut donc économiquement se justifier. Mais en Algérie, c’est un choix qui sert à conforter un modèle économique qui a échoué, celui de la rente. Il permet d’éviter les décisions courageuses qui s’imposent pour rationaliser l’économie, encourager la production, et aller vers les énergies renouvelables. Chemseddine Chitour, professeur à l’école polytechnique, affirme ainsi que le plus grand gisement serait celui de l’économie d’énergie, qui impose la définition d’un nouveau modèle économique et énergétique.

LA POLLUTION, C’EST L’ABSENCE DE BONNE GOUVERNANCE

Mabrouk Aïb, lui aussi professeur à l’école polytechnique et ancien cadre de l’Energie, rappelle que des démarches alternatives sont possibles pour encourager la consommation de gaz, moins polluant, en vue d’économiser du gasoil, qui pourrait être exporté. En tout état de cause, dit-il, au plan économique, l'impact des gaz de schistes sera «extrêmement plus faible que l'impact réel de la faible diversification économique et de la faiblesse de la régulation économique et environnementale, liée à la crise de gouvernance».

Mabrouk Aïb va plus loin. Il conteste la manière de contester l’exploitation du gaz de schiste. Celui-ci aura, sur l’environnement, «un impact réel infiniment inférieur aux vrais problèmes de notre environnement et des effets de la pollution». Il note que les vrais problèmes liés à «la pollution de l'air par un parc de véhicules totalement hors contrôle, les rejets industriels dans les cours d'eau et les nappes, la destruction de la biodiversité dans plusieurs régions du pays», mobilisent peu, alors que «le buzz des gaz de schiste a mobilisé beaucoup d’Algériens».

PAS D’INSTITUTIONS CREDIBLES POUR UN DOSSIER AUSSI SENSIBLE

Ceci renvoie au volet politique, et notamment au manque de crédibilité des institutions algériennes. Celles-ci ne sont pas suffisamment fiables pour gérer un dossier aussi sensible. Les règles de protection de l’environnement ne sont pas suffisamment claires. Les institutions chargées de veiller à leur respect n’ont aucun pouvoir.

Exemple : si demain, en exploitant un gisement de gaz de schiste, une entreprise provoque une pollution de la nappe, quel organisme aura la compétence technique et juridique pour le signaler, poursuivre la compagnie, et exiger réparation ? Ni le premier ministère, ni le ministère de l’Energie, ni Alnaft, ni le wali du coin, ne donnent les garanties nécessaires sur le sujet. Il est fort probable que le dossier soit géré par le… DRS !

Autre exemple : un permis d’exploitation du gaz de schiste sera toujours suspect. Depuis l’affaire Chakib Khelil, le doute s’est incrusté : qui prouve que le permis d’exploiter a été accordé pour le bien de l’Algérie, et non parce qu’un haut responsable algérien a perçu une commission ? Ceci montre clairement que l’exploitation du gaz de schiste exige, certes, des compagnies techniquement performantes, mais surtout des institutions transparentes, efficaces, ainsi que des contre-pouvoirs en mesure d’imposer le respect des règles.