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LE DESTIN
D'ISABELLE EBERHARDT EN ALGÉRIE. Amour, mystique,
espionnage et mort violente. Biographie, par Khelifa Benamara. Editions
Dalimen. 252 pages, 700 dinars, Alger 2013.
Une «découvreuse» de continent et de civilisation ? Une aventurière ? Une espionne au service de la colonisation? Une assoiffée de sensations fortes ? Une femme inaccomplie ? Un garçon raté ? Une chercheuse de nouveaux sens? physiques et intellectuels ? Une croqueuse d' «Indigènes» ? Un peu de tout, de tout un peu. Et, en fin de compte, en terminant l'ouvrage, on commence à peine à «saisir» la personnalité de l'héroïne. On la découvre.On l'admire. On la plaint. On l'envie. Pourquoi ? C'est assez simple : sans être une anarchiste, sans être une colonialiste, elle a «osé» s'affranchir de tous les tabous. D'origine russe, elle est partie à la découverte de l'Islam, elle s'est convertie (elle a même dit, mais que n'a-t-elle dit, entre autres qu'elle est née «fille de père sujet russe musulman, de mère russe chrétienne, je suis née musulmane et n'ai jamais changé de religion»), elle est devenue membre de l'ordre des Qadiria (une exception), elle a vécu avec un «Indigène» puis elle l'a prise comme époux, elle aimait se déguiser (s'habiller est le terme le plus exact, puisque c'était continuel) en homme, pour mieux pénétrer, et vivre avec et comme elle, la société musulmane, elle a affronté les autorités coloniales et des populations européennes assez «racistes» et peu enclines à laisser leur statut détérioré par le comportement «déplacé» d'une des leurs, elle a (presque ) tout vu de l'Algérie, à une époque où une bonne partie du territoire était sous contrôle (sévère ) des autorités militaires... Et, suprême joie au milieu d'aventures multiples, elle a vécu un grand amour, entourée, encerclée par deux sociétés (européenne et musulmane) assez intolérantes en ce domaine? surtout lorsqu'il est trop visible. Isabelle Eberhardt : une «découvreuse» de continent et de civilisation. Une aventurière. Une espionne (en fin de vie) au service plus de Lyautey que de la colonisation. Une assoiffée de sensations fortes. Une femme inaccomplie. Un garçon raté. Une chercheuse de nouveaux sens? physiques et intellectuels. Un peu de tout, de tout un peu. Bien que brutalement morte bien jeune, elle a laissé son nom dans la mémoire de notre pays. La preuve ! Que d'écrits sur elle, aujourd'hui encore. Elle y a vécu. Elle y est morte le 21 octobre 1904 (à Ain Sefra, des suites d'une crue d'oued qui avait fait une trentaine de victimes, moitié Algériens, moitié Européens) revêtue de son costume de cavalier arabe. Elle y est enterrée. Une de nos héroïnes, une «déchirée», pourquoi pas à récupérer totalement et à faire découvrir à découvrir. Le dialogue des cultures et des civilisations, c'est un peu ça? sauf pour les bigots. Avis : Difficile à lire car trop de détails, mais chaque page est une «découverte» d'un personnage doté d'une très forte personnalité Extraits : «Un esprit obtus ne peut s'élargir du jour au lendemain. Ils (les militaires? de la coloniale) veulent absolument voir de l'espionnage dans ce qui n'est qu'un journalisme d'investigation brouillon» (p 96 à 97), «Ô toi qui est devant ma tombe. Ne t'étonne pas de mon sort : Fut un temps où j'étais comme toi, Viendra le temps où tu seras comme moi» (p 250. Extrait d'une complainte rapportée par Isabelle E.) YAOULED ! PARCOURS D'UN INDIGENE. Biographie, par Rachid Sidi Boumedine. Apic Editions .236 pages, 600 dinars, Alger 2013. « Parcours d'un citoyen? des villes? tout à fait ordinaire». Un bien meilleur titre? représentatif de la vie de bien des citoyens algériens ayant la vingtaine, ou un tout petit plus, ou un tout petit moins, à la fin de la lutte de libération nationale et au début de l'Indépendance. Trop jeunes pour «monter au maquis», trop jeunes pour accéder aux postes de décision, trop jeunes donc avec des idées progressistes ou avant-gardistes bien «dérangeantes». Et, pourtant, ils ont tout vu, tout vécu, tout subi? de la part des populations européennes, colonialistes, lors de la scolarité ou dans le travail, de la part d'une vie faite d'efforts, de labeur et de misère, de la part des dirigeants assoiffés de «pouvoir», de la part d'une société incompréhensive des idées modernistes, de «profiteurs»? Des parties bien intéressantes, dont celles ayant trait à «l'Etat et ses cadres, l'Etat des cadres», à la fonction de DG («Un siège éjectable, un emploi de vacataire») à l'expérience du fameux Comedor, dirigé alors par le Dr Amir (qui s'en souvient ?), chargé par le président Houari Boumediène (qui en parle ?) de l'aménagement de la ville d'Alger (projets enterrés puis largement repris par la suite sans référence au Comedor), à la «médiocrisation» de la vie professionnelle, à l'expérience du gouvernorat d'Alger,? et, après en avoir eu assez d'être «licencié pour un oui ou pour un non», le départ à la retraite? avec, au final, la «seconde (belle ) bulle»....travailler comme consultant : avec l'Unesco, avec?. A la clé, du surmenage? mais quelles satisfactions morales et professionnelles. Dommage pour le pays, car notre auteur n'est qu'un cas parmi des milliers de compétences, au «j'nane» encore fertile, perdus ou gaspillés? et que la maladie actuelle du «jeunisme» a enfoncé encore plus. Ne restent plus que les souvenirs ! Avis : Un livre beau car racontant avec simplicité une vie simple mais difficile. Un livre émouvant qui, en filigrane, raconte la vie réelle de tout un pays durant plus d'un demi-siècle. Un livre à lire... et, surtout ne vous découragez pas. De page en page, vous irez de découverte en découverte? de l'Algérie d'hier? et d'avant-hier. Extraits : «Je me suis souvent «mis à la place de l'autre», pour modérer mes ardeurs et reconsidérer mon jugement sur cet autre, comme s'il était des miens, comme s'il était moi» (p 36), «l'émigration, fruit de cette misère absolue, est restée longtemps le signe d'un déchirement et d'une perte irrémédiable, avant de devenir récemment réussite sociale, par l'argent sans doute, mais de plus en plus par les «papiers», qui signifient un statut» (p 55), «La détresse est une chose impalpable et pernicieuse ; comme le cancer, on la décèle parfois trop tard» (p 142), «Finalement, toute mon expérience n'est, au mieux, qu'un dépôt de brocante, dont on pourrait, à la rigueur, tirer quelque chose pour qui aime les vieilleries, les choses passées, les choses sans utilisation» (p236) DANS LE SOULEVEMENT. ALGERIE ET RETOURS. Essai de Habib Tengour. Apic Editions.138 pages, 600 dinars, Alger 2013. Une trentaine de «papiers», les uns assez courts, très courts même, d'autres assez consistants. Mais, tous aussi intéressants les uns que les autres. Sur Sénac, Feraoun, Pellegri, Kateb, Djaout, Rushdie, Jacqueline Arnaud? mais aussi sur le Maghreb, l'écriture poétique, l'exil, la langue, la littérature, le terrorisme, l'islamisme. Bien sûr, certains, tout en retenant l'attention, obligent à un «retour sur lecture» pour mieux savourer et surtout pour mieux décrypter les mots et les phrases dont chacun est à sa place et chacune a son poids. Un texte a tout de suite retenu l'attention. Bien sûr, le lecteur peut en apprécier d'autres. Celui qui raconte «une furieuse histoire» avec une phrase introductive qui résume toute une période de l'Histoire du pays et, pourquoi pas, toute notre Histoire tant il est vrai que notre peuple, depuis les temps immémoriaux, n'a jamais connu de vraie paix. Quand ce ne sont pas les invasions coloniales, ce sont les luttes intestines pour le pouvoir : «Est-il dans le destin de l'Algérie de sombrer dans l'horreur ?». L'auteur n'est pas loin d'y croire? et il rappelle qu' «un des premiers livres de poche épuisé en Algérie, dans les années fastes du livre, a été Le Prince de Machiavel !»? Il a été édité et ré-édité maintes et maintes fois. Toujours avec succès. Laissant bien loin derrière Le Petit Prince de Saint Exupéry. Autre texte, bien émouvant, «Avec Jean Sénac», le poète Algérien, libre (dans ses écrites et ses actes) et révolutionnaire, l'auteur de «Matinale de mon peuple», assassiné en septembre 1973? et qui avait toujours, dans la cave qui lui servait de domicile, en réserve, une bouteille de limonade : «Cette gazouze, disait-il, je la garde pour Boumediène s'il se décide à venir me rendre visite. C'est à lui de faire le premier pas?» Un autre texte. Pour la route : Celui consacré à la langue? nationale (p 131). Question d'actualité, les contempteurs des langues dites étrangères s'étant subitement réveillés. Un texte à la gloire de l' «universel»... Une projection «qui ne signifie pas pour autant abandon de la quête identitaire». Un peu sévère pour Malek Haddad? qui «se condamna au silence en jetant le discrédit sur tous ceux qui perpétuaient l'aliénation coloniale par l'utilisation du français». «Un choix du silence pour résoudre le problème de «l'exil linguistique» qui «a servi de prétexte pour nous stigmatiser» Avis : Je ne l'avais jamais lu. Voilà, c'est fait? et je ne le regrette pas. J'ai même énormément appris. L'écriture. Les idées. Les réflexions. Sur la vie. Sur l'actualité. Un essai? en miettes, mais un essai réussi. A savourer Extraits : «Le rai est désir-cri de ce qui ne peut jamais être : la fulgurance de l'instant qui ne laisse nulle trace à contempler plus tard dans le dévoilement nostalgique de l'âme (p 14), «L'enfant est un métaphysicien inquiet» (p17), «Le poète doit s'effacer. pour ne pas étouffer le poème (p35), «Les musulmans, les Arabes notamment, n'ont pas fait le deuil de leur grandeur passée. Beaucoup attribuent leur décadence à l'abandon des valeurs de l'Islam. Ce ne sont que fantasmes, mais l'imaginaire est d'un poids considérable dans l'affirmation de l'identité» (p 37), «Le peuple est certes démuni, mais il a une arme redoutable : cette mémoire vive qui ne cesse de marteler des noms. Le ressassement est une forme de résistance. Il écrase le discours des militaires au pouvoir» (p 58), «La poésie est le regard sans rancune du pauvre. Elle est aussi son poing» (p 69), «Nul d'entre-nous n'ignore, au fond de lui, le noeud de l'appartenance. Tel qui dénoue, s'expose ! L'islamisme n'a guère le sens de l'humour «(p. 113), «Il existe, en effet, un espace divisé appelé Maghreb mais le Maghrébin est toujours ailleurs. Et, c'est là qu'il se réalise» (p119), «Le récit du politique est un discours qui voile le réel ; le récit poétique est le réel même» (p134) |
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