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Révision de la Constitution et «bonne gouvernance» : Une feuille de route et des interrogations

par Ghania Oukazi

Le gouvernement Sellal a confirmé son choix d'assurer la «continuité» que le pouvoir décisionnel a érigé en mode de gouvernance.

Fraîchement nommés par le président de la République, les ministres ont, tout de suite, élaboré une drôle de feuille de route, ceci, pour montrer qu'ils prennent à bras le corps, les problèmes qui minent leurs secteurs respectifs. Du coup, plusieurs d'entre eux annoncent la tenue d'assises nationales, d'autres des conférences nationales, pendant que ceux, quelque peu, pressés, ont déclaré avoir été choisis pour régler un seul dossier.

En fait, l'organisation de ces sortes de fêtes foraines ne semble déranger personne. Il se pourrait même qu'on laisse faire pour gagner encore du temps même si la décision de Bouteflika de faire réviser la Constitution est une des étapes d'un premier temps mort de son 4ème mandat. La concertation autour de ce qui n'est pas encore un avant-projet, dit-on avec insistance du côté de la présidence de la République, prendra, tout le début de l'été. Entre temps, Ramadhan aura fait son entrée. Il sera ponctué par la Coupe du monde de football, une période, à propos de laquelle, les Algériens se donneront à cœur joie aux commentaires. L'été se sera, totalement, installé avec ses folies d'évasion, sous toutes leurs formes. La rentrée sociale viendra, à pas feutrés, avec tout ce qu'elle imposera à toutes les familles comme affairements.

Les ministres ont dû mettre leur « plan d'action » à l'heure de ce calendrier bien chargé. Les assises nationales de la Santé et de l'Education sont les premières qui ramèneront, tous les cadres des 48 wilayas, pour disserter en plein été, sur le diagnostic et l'avenir de leurs secteurs respectifs. Du temps, de l'argent et des énergies seront, encore une fois, dilapidés.

LES IMPOSSIBLES REFORMES

Les ministères devront loger et nourrir tout ce monde qui sera déplacé, à coups de frais de mission et de transport. Pourtant, les deux secteurs n'ont, nullement, besoin de faire dans le tapage médiatique. Le premier a, à maintes reprises, fait l'objet d'évaluation sans qu'aucun de ses établissements n'ait réussi, à ce jour, à, au moins, nettoyer ses couloirs et ses literies. Le second, l'Education, a, lui, bénéficié d'une réforme où « experts, réformateurs et enseignants » avaient tout dit et tout écrit. Une conférence nationale économique et sociale est, par ailleurs, annoncée par le nouveau ministre de l'Industrie pour, a-t-il dit, discuter de la mise en œuvre du pacte national économique et social de croissance. Il doit savoir, cependant, que les signataires de ce pacte ont eu, entre les mains, les textes qui fixent, clairement, les objectifs et les recommandations qu'ils se doivent de respecter, dans ce cadre. Ils devront en rendre compte dans cinq ans.

Le secteur du Commerce semble, à en entendre son nouveau ministre, avoir réglé ses nombreux problèmes. Ne lui reste que la question de l'adhésion de l'Algérie à l'Organisation mondiale du Commerce (OMC). C'est, en tout cas, sa déclaration dès sa prise de son nouveau poste. Il a même pris le soin d'empreindre sa déclaration d'une certaine solennité, en précisant que c'est le président de la République qui l'a chargé, personnellement, de cette mission. Il est connu que l'Algérie ne fait pas de son adhésion à l'OMC une priorité absolue, notamment, dans une conjoncture où les mentors même de cette organisation remettent en cause ses règles de fonctionnement jusqu'à l'utilité de son existence. L'on aura remarqué que c'est le secrétaire général de l'UGTA qui a recadré la question, dans ce sens. Sidi Saïd l'a fait, la semaine dernière, lors de la rencontre des partenaires sociaux, au ministère de l'Industrie. Il avait rappelé, à l'occasion, que l'Algérie n'a rien gagné en signant l'accord d'association avec l'Union européenne.

LA MISE AU POINT DE BOUTEFLIKA

On apprend que cette mise au point, à propos de l'adhésion de l'Algérie à l'OMC, n'a pas été la seule. Il est avancé que lors du Conseil des ministres, le chef de l'Etat aurait reproché aux ministres de parler, en son nom. Il est, en effet, devenu une tradition d'entendre un ministre déclarer agir sur instruction du président de la République. Or, il est évident que Bouteflika ne reçoit aucun membre du gouvernement, particulièrement, après son accident cardio-vasculaire. Ceci, si on place Gaïd Salah comme responsable, « hors pair », au regard de la sensibilité de son secteur. Très rares sont les personnes qui peuvent se targuer d'être dans la proximité familiale du président. Elles peuvent se compter à peine sur les deux ou trois des cinq doigts d'une seule main.

Au-delà de ces contingences, les ministres ne semblent accorder aucun respect ni aucune importance au Premier ministre qui, pourtant, doit être le coordonnateur principal de leurs activités. La présidence de la République veut, quand même, au titre du pouvoir exécutif «assurer une plus grande efficacité de l'action du Premier ministre, par un renforcement de ses prérogatives. » Mais cooptés, en général, sur la base des degrés d'allégeance et d'opportunisme, les membres du gouvernement se moqueraient bien de ce que penserait d'eux, un Premier ministre, puisque ce n'est pas lui qui les choisit ou les propose. Le texte des propositions d'amendements, au titre de la révision de la Constitution, n'apporte, dans ce sens, aucune surprise. Les amendements proposés par l'institution présidentielle sont, tous, tirés des lois en vigueur.

Leur consécration, dans la Constitution, en tant que libertés individuelles et collectives ne les garantit pas comme droits inaliénables. S'il sépare les pouvoirs, il ne dit pas que peut faire un juge lorsqu'il est mis sous les pressions de ceux qui détiennent le pouvoir de l'argent. Ce n'est, certes, pas une Constitution « consensuelle » qui mettra à plat les énormes piles de dossiers qui traînent sur les bureaux des cours et tribunaux de tout le pays. Le nouveau texte n'indique pas les possibilités de recours au profit des justiciables. Mis à part le préambule qui glorifie le peuple, qu'on berne depuis toujours, par le qualificatif de « héros », aucune garantie d'un véritable Etat de droit ne lui est donnée.

L'on rappelle que la Constitution a été piétinée, à plusieurs reprises, par ceux-là mêmes qui avaient fait le serment de veiller à son respect et à son application. Toutes les autres lois en vigueur, régissant les différents domaines le sont, quotidiennement, sans qu'aucune instance ou juridiction n'en soit offusquée. Qui plus est, le nouveau texte manque, terriblement, de garde-fous.

L'IMPERATIF BESOIN D'UNE ELITE QUI CONSTRUIT

Si durant ses quinze années de règne, Bouteflika a eu raison de tous les durs du système et de leurs centres de pouvoir, il aura, par contre, permis l'émergence d'une nouvelle race de prédateurs qui, pour détenir un semblant de pouvoir, ne craint pas de tomber dans le ridicule et considérer l'allégeance et l'opportunisme comme des règles de « bonne gouvernance. » Ils affirment, d'ailleurs, sans vergogne, « prendre la relève pour assurer la continuité ». Les nouveaux ministres ont, d'ores et déjà, annoncé la couleur de cette continuité qui n'est autre que la préservation de pratiques et de réflexes qui maintiennent le pays dans son profond désordre. Une Constitution « consensuelle » n'est jamais la preuve d'une bonne gouvernance et d'un Etat de droit effectif. Si Bouteflika veut faire de son 4ème mandat, la phase-clef pour décréter la fin d'un cycle de pouvoirs, d'un régime ou d'un système politique dont il a été l'un des principaux architectes, il devra s'imposer une règle essentielle, celle du choix des Hommes.

La mise entre parenthèses d'un Premier ministre, par son propre gouvernement, sans aucune gène, pour ne citer que cet exemple, relève, strictement, de la manière dont le pouvoir décisionnel est exercé. C'est de lui que dépend le respect des institutions. Tant qu'il ne fait pas sienne, la règle impérative qui oblige les gouvernants de tous les rangs, à rendre compte et celle de leur sanction en cas de faute, il ne participera, nullement, à l'émergence de ce qu'on veut bien appeler la 2ème République. La réforme de la Justice, celle des missions et des structures de l'Etat, et autres de l'Ecole ou de la Santé dont la loi a été, pourtant, ficelée, depuis longtemps, la stratégie de l'Industrie dont la confection avait mobilisé les meilleurs experts du pays, aucune de ces entreprises n'a eu de suite. Elles ont, toutes, gaspillé des énergies, du temps et de l'argent mais ont, lamentablement, échoué en l'absence d'une réelle volonté politique que ce pouvoir, même, qui veut une Constitution consensuelle, n'a pas jugée utile d'affirmer.

Le déclin de la première République a commencé, dès son instauration, ceci, sous les effets des dérives et des faillites de ses propres gouvernants et de leurs sérails.

Aujourd'hui, il est plus question d'arracher le pays des griffes des mauvais gestionnaires et le mettre entre les mains des compétences que de revoir ses lois. Les quinze années de commandement de Bouteflika ont laissé monter, à la surface, toute la racaille du système. Les voies sont quasiment libres pour l'émergence d'une véritable élite capable de construire, sainement. Elle doit, certainement, exister.