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«
Ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent». Je pensais à cette phrase
d'Edgar Faure -ancien beaucoup de choses, au curriculum vitæ long comme un
bras- en écoutant l'ancien Premier ministre Ouyahia répondre au duo de
journalistes d'une télévision privée. La girouette n'a pas de mémoire. Et si
elle en a une, elle est bien courte. C'est bien connu. En fait, à force
d'observer, de l'endroit où elle est perchée, le paysage, à en reconnaître chaque
parcelle, elle finit par faire du panoramique sa vision, sa raison d'être. Avec
un regard perçant, cependant. Il faut bien le reconnaître.
Début juin 2012, déjà, Premier ministre en fin de course et secrétaire général du RND, il baissait les bras : «l'argent commande en Algérie, il commence à gouverner et à devenir un argent mafieux». Reconnaissant «l'échec du gouvernement», un «échec collectif» - on ne partage que les échecs, jamais les succès- il ajoutait, avec juste raison -un moment d'égarement sans doute - «si vous pensez que le fait de changer de gouvernement, ferait que ça irait mieux, je voterais avec dix doigts, mais je vous signalerais que le train a mal commencé en 1990 lorsque l'Algérie a opté pour l'économie libérale basée sur l'importation qui a pris le dessus sur la production». Et puis, à ce point, il tranche : le spectre de la décennie noire «peut revenir dans un monde impitoyable si on ne construit pas le pays». Conclusion, le changement de gouvernement, depuis, n'aurait pas et n'a pas pu redresser la barre ou freiner la course vers l'abîme. Paradoxalement, il déclarait, au cours de cette longue interview à la télévision Ennahar, que son départ était dû à la fatigue -au bout de quatre ans d'exercice- mais que le président sortant, malade, confesse-t-il, dispose toujours, après quinze années à la tête de l'Etat, de tous ses moyens. Moyens limités, depuis toujours puisque, ni durant son mandat en tant que Premier ministre ni pendant le dernier mandat, il n'a pu orienter la politique du pays clairement pour redresser la conduite du gouvernement qui est sa responsabilité. Signe patent de cette absence d'orientation, après quinze ans de pouvoir, le programme du prochain quinquennat sera élaboré dans le futur proche -comment le pourrait-il ? En un si court laps de temps- d'autant plus aisément, disait-il, en d'autres termes, que le président-candidat dispose d'experts et de conseillers pour en tracer les lignes. Est-ce à dire, donc, qu'après tant d'années, il n'existe pas de vision du devenir du pays ? Que nous en sommes là ? Que le pays est piloté à vue ? Que le président s'est présenté sans programme arrêté ? Je vois d'ici le deal : si vous voulez tout savoir sur ce que vous allez devenir, élisez-moi et je vous révèlerai mes intentions. Un chèque en blanc, en somme. Le bilan, nous l'attendrons patiemment. Pour le moment, on ne retiendra que la réconciliation nationale, les scandales de la Sonatrach, l'autoroute dont l'asphalte se déchire comme une feuille de papier. Ah ! Si ! Les projets immobiliers se sont multipliés ? C'est vrai. Mais nous ne sommes plus dans l'ère du «quand le bâtiment va, tout va». C'est loin derrière, d'un autre âge géologique. Panique-t-on au sein du pouvoir ? Du tout. Puisqu'il y a M. Amar Saïdani : « Je suis le théoricien et le stratège de la campagne de Bouteflika», affirme-t-il. Le journaliste du site d'information arabophone alhadath-dz.com a dû en avaler sa langue de surprise. Il ajouta : «Ma mission (?) concerne la meilleure façon de vendre l'image médiatique du président et son programme à travers une stratégie de marketing et une réflexion sur les méthodes optimales pour atteindre les électeurs». Idéologue et maître en marketing. Grave, non ? Quel était donc la durée de la performance de M. Ouyahia ? Cinquante-cinq minutes. Il a parlé au passé composé. Le candidat Benflis, lui, aura droit à dix minutes supplémentaires. Des bonds entre l'imparfait, dans tous les sens du terme, et le futur. Un exercice de grammaire et de concordance des temps. Lui aussi fut Premier ministre. Qui disait avoir rencontré ses soutiens durant toute la période où il n'avait pas de charge gouvernementale. Lui n'a pas eu droit à deux journalistes pour l'interviewer. Un seul lui a suffi qu'il somma, d'entrée, de le laisser terminer ses interventions. Il ne lui laissa aucune chance pour rebondir sur ses propos. Style FLN pur jus. Le journaliste, terrorisé, arriva cependant à placer quelques questions «soft». J'ai tenu le coup. Stoïque, cherchant ce qui différencie celui-ci parlant au nom du président sortant, et celui-là, parlant pour soi. Et j'ai fini par trouver. Rien. En dehors du ton. Les deux hommes ont été en charge du pays. Sous le même président. Les deux ont travaillé à la situation courante. Les deux ont subi des pressions identiques. Les deux sont les produits du système. Leurs angoisse est différente, cependant. L'angoisse de l'un est la démobilisation des électeurs. L'angoisse du second est la manipulation des résultats le 17 avril, sinon, selon lui, rien n'arrêterait sa marche vers la plus haute marche. Il est permis de rêver. Si les deux intervenants ont la mémoire courte, les électeurs, eux, se souviennent des mesures qu'ils ont prises et ne se gênent pas de les rappeler à travers les réseaux sociaux. Ils peuvent même sérier toutes les décisions prises quand ils étaient en fonction. Les gâteaux sortaient tout chaud du moule du pouvoir. Un pâtissier pourrait dire, «démoulé à chaud». Ce qui les déforme. Ce pouvoir n'a pas changé de mains. Si la girouette ne tourne pas aussi vite pour faire face au vent, ce n'est pas parce qu'elle résiste à la force du souffle. Non. C'est simplement parce que ses rouages, depuis le temps, sont usés et, surtout, rouillés. Heureusement. Sinon, elle se serait affolée. Du coup, sa vision s'est rétrécie. De 360 degrés, elle n'observe que les 45 degrés rendus possible par le mécanisme. Ce qui se passe ailleurs, elle ne le voit pas. La rue et ses risques? quelle rue ? Ca grince salement. Décidément, une girouette -qui lui emprunte pourtant les formes - ne sera jamais un coq. |
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