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De temps à autre, les échos des rixes entre Africains et Algériens, tous
des «porteurs», parviennent à briser le black-out observé autour de tout ce qui
se rapporte à ces «réfugiés» de la misère et des guerres civiles.
Acculés, ils se découvrent et investissent le marché de travail informel. Là, ils se heurtent au racisme ordinaire, dont nos grands-pères et encore nos jeunes en pâtissent sous d'autres cieux. Depuis des semaines, des nouveaux arrivants sont venus grossir les rangs des journaliers, des porteurs, cette «armée de réserve» tant décrite dans la littérature marxiste du dix-neuvième siècle, avec cette particularité : la couleur sombre de leur peau. Pareille aux Algériens, dont la plupart viennent des autres wilayas, ils se dispersent en petits groupes aux alentours du rond-point dit «Bouchikhi». Ils attendant un éventuel recruteur pour charger et décharger les camions de ciment ou autres matériaux de construction. Certains ne daignent pas effectuer des petits travaux de maçonnerie ou autres. Ils ont déjà assimilé les techniques de l'emploi : dès qu'un engin s'arrête, ils accourent vers lui pour proposer leurs bars. Dans cet univers, la volonté de survivre prend le dessus sur d'autres sentiments et valeurs humaines. En tout cas, il est presque indécent d'évoquer la solidarité entre déclassés sociaux. L'attente peut durer des heures ou des jours. Steve, un Camerounais qui a occupé des postes de travail valorisant dans son pays, reconnaît que, certains jours, «je mange grâce à la charité de certains bienfaiteurs». Comparativement aux Algériens, ces travailleurs ne bénéficiant d'aucune attache dans leur pays hôte tiennent à leur apparence. Ils sont tous munis d'un sac ou d'un sachet plastique où ils conservent leur tenue de corvée. Malgré leur dénuement, ils apparaissent moins débrayés que ceux venus des alentours et dont certains ont des foyers et des épouses pour veiller à leur entretien. Quand ils peuvent se permettre un soda ou une quelconque consommation, ils s'attablent sur la terrasse d'un café pas loin de ce rond-point, ressuscitant le fameux «maoukaf» de l'époque coloniale où les colons venaient sélectionner les bras à embaucher dans leurs fermes. Ils sont facilement abordables et reconnaissent qu'ils se trouvent dans une situation irrégulière en Algérie. Ce qui les fragilise davantage, explique un Subsaharien. Ils souffrent aussi des préjugés faisant d'eux des experts presque nés dans le trafic des faux billets qui leur collent à la peau. «Croyez-vous que je serais ici si j'étais un faux-monnayeur ?», nous lance l'un d'eux. Certains n'éprouvent aucune gêne à évoquer des sujets de nature politique. Ils sont très préoccupés quant à la stabilité de l'Algérie. «Avec toutes les difficultés que nous rencontrons ici, l'Algérie est finalement le seul pays où nous pouvons fuir». Fuir, veut dire dans leur bouche, un pays en proie à la guerre civile et aux coups de force répétitifs. A cause du handicap de la langue, ils n'ont aucun contact avec ceux qui les considèrent comme des concurrents et qui les observent de loin avec un œil malveillant. C'est vrai que leur situation ne leur permet pas de négocier correctement leur embauche. Un chauffeur de taxi qui a fait appel à leurs bras nous dira qu'il les a payés 2.000 DA, alors que des concitoyens à lui ont exigé pour la même tâche 5.000 DA. Ces Subsahariens sont conscients qu'ils sont perçus comme des «casseurs» des prix. «Que peut-on faire dans un marché informel où l'offre de travail est rarissime?», s'interrogera Steve. Notre interlocuteur se défend que lui et ses semblables «ramassent» les restes de ce que les Algériens n'acceptent pas. «Des fois, devant leur hargne, nous sommes obligés de se retirer et attendre qu'ils soient servis», ajoute-t-il. L'image est digne des documentaires sur le règne animal que diffusent certaines chaînes de télévision. Du côté algérien, on admet que ces Subsahariens, exactement comme eux, sont obligés de gagner de cette manière ingrate leur pitance. Ceux avec qui nous avons pu avoir des brins de discussion se réfugient dans le discours religieux. «Finalement, celui qui nous a créé est en mesure de nous assurer à nous et à eux notre pain quotidien». Mais, vite, on verse dans les clichés et les accusations. «Les Noirs sont là aussi pour voler», nous lance un homme dans la quarantaine, bruni par le soleil. «L'autre jour, un Chinois venu chercher la main-d'œuvre a été délesté de son téléphone mobile et son porte-monnaie», ajoute-t-il sur un ton de défi. Un autre n'ira pas par trente-six chemins : «Déjà ici nous, enfants du pays, nous avons du mal à trouver du travail pour pouvoir nourrir nos enfants, et là nous sommes concurrencés par les autres». Par «les autres», il entend les Subsahariens et même les Marocains. Il refuse nos comparaisons avec «les clandestins algériens» en Espagne et ailleurs qu'eux aussi sont mal perçus par les chômeurs espagnols, portugais ou français. En tout cas, l'arrivée de ces nouveaux porteurs sur ce marché réjouit plus d'un. «Les nôtres ne travaillent pas», nous lance un camionneur. «Désormais, quand j'ai une charge, je ne fais appel qu'aux Africains. Ils s'interdisent même de fumer une cigarette quand ils travaillent, alors que les nôtres réclament une pause au bout de la première heure de labeur», estime-t-il. Encore un cliché qui a de beaux jours devant lui. |
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