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Kouchet El Djir, le plus ancien bidonville d'El Bahia, adossé au
versant de la montagne Murdjadjo, se propage tel un
feu de brousse grignotant de grandes parcelles de terrains forestiers et seuls
les murs des casernes continuent à lui résister.
Ici on construit de jour comme de nuit des baraques n'importe où et n'importe comment sans se soucier des risques. Des baraques érigées avec des parpaings au bord d'un précipice, d'autres construites dans des grottes ou sous des masses de rochers, Kouchet El Djir demeure ainsi sous la menace permanente des éboulements meurtriers, des inondations ravageuses et de l'insécurité. Ce bidonville est né durant l'occupation coloniale quand des centaines de familles rurales poussées par la misère s'étaient ruées vers Oran en quête d'une «vie meilleure». Depuis le bidonville n'a cessé de grandir. Exode rural, chômage, terrorisme, cherté des logements et des loyers? ont contraint des gens de condition modeste à élire domicile dans ce site précaire. Il est 11h00 du matin quand on pénètre dans ce bidonville érigé loin des regards des visiteurs de la ville. L'endroit nous est familier, mais depuis notre dernière visite qui remonte à quelques années le bidonville s'est tellement étendu que même les natifs n'arrivent plus à connaître ce labyrinthe de baraques. Il y a quelques années, nous nous sommes rendus à ce site précaire pour couvrir la mort atroce d'une vieille dame sous les décombres de sa baraque. Le taudis de la défunte qui vivait avec sa fille unique a été emporté par les torrents et les boues charriées par les eaux pluviales. La réaction des autorités locales a été dans de pareilles circonstances «habituelle». La jeune orpheline, qui venait tout juste d'avoir son bac, a bien sûr bénéficié d'un logement social et c'était tout. Les autres voisins «miraculés» n'ont eu droit à rien. Ils n'ont même pas été recasés dans un endroit plus sûr. Quelques années plus tard, c'est presque la même histoire qui se reproduit ici. Des habitations construites sur le flanc de la montagne sont endommagées par un énième éboulement de grosses pierres. Une fille handicapée décède et ses parents sont évacués vers les urgences où ils sont gardés en soins intensifs. Le drame s'est ainsi répété au même endroit et dans les mêmes circonstances. Il s'agit, pour nous Oranais, d'un banal fait divers qui se répète inlassablement et surtout inutilement dans un bidonville ou parfois dans une construction en ruine. Cette leçon non apprise est condamnée à se répéter indéfiniment et la seule vraie question qui taraude les esprits des occupants des baraques est «à qui le tour ?». Dans les nouvelles baraques construites sur des terrains accidentés au bord du gouffre ou sous des masses de rochers lézardés, les occupants sont des morts en sursis. La mort les guette partout. Dans ces taudis serrés les uns contre les autres, les conditions de vie sont extrêmes : il n'y a pas d'eau courante, pas de gaz, ni électricité, ni même assainissement. Ces baraquements de fortune sont un endroit propice de toutes sortes de maladies : gale, tuberculose, asthme, allergies cutanées, infections? L'insécurité règne dans les parages et il est déconseillé de s'aventurer dans ce labyrinthe sans être accompagné par un guide local sinon c'est l'agression assurée. Kouchet El Djir est aussi un bidonville animé où tout le monde se connaît. Une personne étrangère est rapidement repérée. On est suivi durant notre périple par les regards intrigués. Miloud: une famille disséminée et un rêve de relogement ajourné Après une brève virée dans cet endroit nous avons rencontré Miloud, la quarantaine entamée, il vit ici depuis toujours après que ses parents ont quitté leur lointain village de Zemmoura à la fin des années 70. La silhouette frêle, le regard égaré, Miloud était perdu dans ses pensées. Les traits de son visage étaient cachés par une casquette couleur sombre. La pâleur de son front et de ses joues trahissait les soucis qui rongeaient son cœur. Quand il apprend qu'on est journaliste, Miloud se montre tout à fait disposé à nous parler. On a eu même le sentiment qu'il n'attendait que notre venue pour raconter sa malheureuse vie. Miloud Benhamed, ouvrier boulanger, rentrait de l'hôpital quand nous l'avons rencontré. Sa femme vient de mettre au monde une fille. C'est son quatrième enfant et il risque de ne pas être le dernier. Il insiste pour nous faire visiter sa maisonnette. On le suit dans les venelles du bidonville. Il faut gravir un chemin périlleux pour atteindre la «maison» de Miloud. Quand notre hôte ouvre la porte de son taudis et nous invite à entrer, on est stupéfiés. Le taudis de Miloud est une petite pièce de 3 mètres sur trois qui fait office de chambre à coucher, toilettes, douches et cuisine ! La pièce est mal aérée, mal éclairée et l'odeur persistante de renfermé est présente dans ce taudis de 9 mètres carrés. On a été tellement choqués par ce que nous avons vu que nos questions étaient carrément indiscrètes voire audacieuses : Comment vous faites pour vivre ici ? Et tes enfants, ils sont où ? Comment vous vous êtes retrouvés ici ? Miloud accroche un faux sourire à sa face, mais il est rapidement trahi par ses soupires. «Tu vois sahbi où j'habite ! Les enfants je les ai dispersés entre ma mère et ma belle-famille. J'ai été recensé en 2003 par la commission et depuis j'attends un hypothétique relogement. Je vis du jour le jour avec ma femme. Vous savez pour avoir un taudis décent, il faut débourser entre 60 et 200 millions de cts. Il y a ici des haouchs, sans acte, en bas du ravin qui sont cédés entre 500 et 700 millions de cts. Mon seul rêve est d'être relogé pour rassembler sous un seul toit ma petite famille», raconte, non sans amertume, Miloud. Notre hôte reste toutefois réaliste. Il sait que le relogement n'est pas pour demain. «Le recensement des occupants de ce bidonville n'a pas été fait correctement. Il y a eu une vraie pagaille. La commission ne peut pas connaître toutes les familles sinistrées et il y a des gens qui profitent de notre détresse pour avoir des logements. La commission doit être composée de natifs de ce bidonville qui savent les vrais occupants des intrus», déclare Miloud. Il faut dire que toute la politique du relogement doit être remise en question à Oran et dans d'autres villes du pays. La priorité devrait être accordée aux cas dits en extrême urgence, mais sur le terrain d'autres critères motivent les services concernés par l'opération de relogement des familles sinistrées. Les occupants des baraques solidaires dans leur misère Zoulikha est une autre habitante de ce bidonville. La vieille dame vit dans une baraque avec son mari handicapé. Ses enfants vivent aussi dans ce site précaire. Ils ont aussi érigé leurs propres baraques en attendant le relogement. «Nous vivons l'enfer dans cet endroit. Il n'y a pas d'eau courante, pas de route, pas d'électricité? bref, rien. Il suffit de quelques gouttes de pluie pour inonder les baraques et couper tous les accès», raconte cette vieille dame. Pour vivre dans ce bidonville, les gens se débrouillent comme ils peuvent. Les occupants de ce site précaire sont solidaires dans leur misère. L'eau est acheminée en citernes par des tracteurs. Les habitants recourent aux branchements illicites pour avoir l'électricité. Pour l'assainissement, les baraques sont raccordées par des canalisations posées anarchiquement et qui se déversent dans le collecteur principal en bas du ravin. Des commerces situés en bas approvisionnent le site précaire en bouteilles de gaz. Il y a même un marché illicite où les riverains peuvent se procurer fruits et légumes à des prix bon marché. Habiba, qui vit sur le site qui a été le théâtre du dernier éboulement meurtrier, raconte elle aussi sa galère et celle de ses voisins exclus du relogement. La jeune fille, qui s'emmitouflait dans un voile noir pour se protéger des regards indiscrets dans ce bidonville, paraît plus vieille que son âge. Depuis l'éboulement meurtrier et leur exclusion du relogement, les voisins de Habiba frappent à toutes les portes pour attirer l'attention des autorités locales sur leur calvaire quotidien. Ils ne comprennent pas pourquoi leurs proches voisins ont été relogés, alors qu'eux qui habitent depuis des années dans cet endroit ont été exclus. Dans ces baraquements de fortune accotés sur les flancs de la montagne, les habitants vivent la peur au quotidien. Les occupants de ces baraques sont constamment aux aguets. Le moindre craquement les fait sursauter. Ils se précipitent dehors pour éviter d'être ensevelis sous les décombres. Ces morts en sursis vivent jour et nuit avec la peur au ventre en attendant le prochain éboulement, peut-être ils auront droit à un autre relogement. Sans être cynique, ces «miraculés» savent au fond d'eux-mêmes que pour obtenir un logement il faut bien un sacrifice humain. Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Le «sacrifice» de la petite Sihem n'a finalement pas été vain. Il a surtout permis à une dizaine de ses voisins de bénéficier d'un logement à Oued Tlélat. |
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