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Suite et fin
Et si la Russie a répondu favorablement à la demande officielle du président syrien Bachar al-Assad pour l'aide militaire, faite en date du 30 septembre 2015, ce n'est que pour sauver le régime syrien et aussi les apparences. Une guerre civile se jouait entre des Syriens contre des Syriens, et peu importe si un camp se légitime en pouvoir syrien légaliste et le camp adverse en opposition pour faire tomber la dictature alaouite. Qu'est-ce qui différencie ce camp de l'autre en faisant abstraction des forces étrangères qui ne jouent que de forces d'appoint ? Rien ! Sinon que ce sont des Syriens contre des Syriens. Dans un article «Poutine justifie ses raids contre les rebelles», Le Monde du 12 octobre 2015, la Russie déclare : «Les opérations militaires russes en Syrie ont été lancées dans le but de «stabiliser l'autorité légitime» du gouvernement syrien qui était menacé. Dans un entretien diffusé sur la première chaîne de télévision russe, dimanche 11 octobre, Vladimir Poutine a justifié les frappes aériennes entreprises par son aviation sur le territoire syrien depuis le 30 septembre par le fait que le président Bachar al-Assad est «pratiquement en état de siège» face à des combattants «au bord de Damas», qui «n'ont aucun désir de négocier». Le chef du Kremlin avait tenu le même discours lors de son tête-à-tête avec François Hollande à Paris le 2 octobre : le pouvoir syrien, avait-il alors affirmé, est sur le point de tomber.» Il ne peut pas être plus clair que les Russes ne bombardent pas l'opposition pour l'amour du régime loyaliste syrien, ou pour Bachar al-Assad, mais bombardent l'opposition pour l'amour de la Russie, i.e. les intérêts géostratégiques dans la région qui dépassent le port de Tartous. Celui-ci n'est qu'un élément de l'échiquier. Que constate-t-on dans ce renversement des forces ? Le même processus a joué comme pour la montée en puissance de l'Etat islamique en Irak et au Levant, en 2014 ? En quelques mois, la communauté sunnite a renversé l'équilibre de puissances grâce au formidable appui occidental et des pays du Golfe. L'EI, puissamment armé, a repris de nombreuses villes essentiellement à majorité sunnite. Malgré les milliers de frappes aériennes de la coalition occidentale soutenue par les monarchies arabes, Daesh a continué d'avancer et d'élargir son territoire. De même pour le pouvoir loyaliste de Damas. En quatre mois de bombardements aériens russes sur l'opposition syrienne et la reprise de l'armée loyaliste, les régions tenues par les forces adverses sont en train de tomber une à une. Aujourd'hui, en février 2016, c'est au tour de la capitale économique de la Syrie, Alep. Comment peut-on comprendre ce renversement de donnes ? Sera-t-il déterminant pour les événements à venir surtout pour les négociations à Genève qui ont commencé en janvier 2016 et reportées pour février 2016. Il est évident que le report tacite par les deux camps est simplement d'ordre tactique. Ni le camp qui va de victoire en victoire ni le camp adverse qui perd sur le terrain ne cherche à endosser le clash des négociations ; tous invoquent que les conditions ne sont pas réunies pour trouver un accord. Le pouvoir syrien loyaliste invoque la présence de terroristes comme d'ailleurs la Russie qui se trouve très montée par les gains de ses raids aériens, l'autre partie invoque les crimes contre l'humanité du pouvoir de Damas, des localités encerclées se trouvent sans eau et sans nourriture. Telle est la situation aujourd'hui tant sur le plan diplomatique que militaire. 3. LE CHOIX POUR LA RUSSIE EN SYRIE, ENTRE DES NEGOCIATIONS VERITABLES ET L'ARRET DE L'EFFUSION DE SANG OU UN «DEUXIEME AFGHANISTAN» Certes, la Russie, l'Iran et le pouvoir loyaliste syrien ont renversé la situation militaire sur le terrain et entendent tirer au maximum des gains politiques. Mais ce que la Russie oublie, c'est qu'elle n'est pas en Ossétie du Sud ou en Ukraine avec des populations russophobes. La Russie s'est cassé les dents en Afghanistan, y compris les États-Unis en Irak. D'autre part, remporter une victoire par les bombardements, par l'encerclement de populations entières soumises au feu de l'adversaire mettra toujours de la défiance. Ce qui veut dire qu'il n'y aura pas conquête des cœurs du peuple syrien dans les territoires perdus par le pouvoir. Et regagner le pouvoir par la force fera de Damas un pouvoir toujours oppresseur, y compris la Russie qui bombarde par air et ne prend pas en considération les populations, et ne limite pas son action et fait taire les armes aujourd'hui puisqu'elle a pu sauver le régime de Damas et en même temps redorer le blason de l'Iran, en tant que chef de file du courant chiite. «Est-ce que la Russie poursuit une cause juste dans cette guerre en Syrie ?» Elle l'a certes été au départ dès son entrée en guerre en Syrie, le 30 septembre 2015. On peut s'imaginer ce qui serait résulté pour les populations syriennes alaouites si les islamistes avaient pris Damas. Et les massacres qui se seraient suivis par vengeance ou pour faire le vide sur des populations sans défense et une armée syrienne en débâcle. Il est évident que le peuple syrien alaouite a aussi un droit d'existence comme toutes les autres branches ethniques en Syrie. Mais, la Russie comme le pouvoir de Damas, sont en train de répéter les mêmes erreurs que les pays occidentaux et leurs alliés, les pays monarchiques du Golfe, lorsque la menace des islamistes se précisait sur la capitale syrienne en 2015. Non seulement l'arrêt d'effusion de sang ne va pas s'arrêter, mais l'Iran qui a tiré un gain considérable avec l'accord sur le nucléaire passé avec les grandes puissances, et la fin des sanctions internationales, entend profiter de cette double victoire pour se poser désormais en puissance régionale qui compte. Dans les capitales sunnites du Golfe, la menace iranienne fait passer au second plan la lutte contre Daesh et les alliances politiques ou économiques avec les pays occidentaux. Que va-t-il se passer avec cette escalade qui se poursuit sinon attiser la polarisation confessionnelle dans le Golfe et intensifier la guerre en Syrie que l'Iran et l'Arabie saoudite non par procuration comme elles l'ont toujours fait à quelques exceptions près mais en dépêchant directement leurs forces en Syrie ? L'Arabie saoudite a déjà annoncé la couleur. Dans l'article du Figaro du 04 février 2016, «L'Arabie saoudite prête à envoyer des troupes au sol en Syrie», il est dit que «Riyad participerait aux opérations terrestres si la coalition le décide. Parallèlement, la Russie suspecte la Turquie de préparer une intervention militaire en Syrie, ce qui marquerait un nouveau tournant dans la guerre menée contre Daech. La coalition pourrait entrer dans une nouvelle ère dans la guerre qu'elle mène contre l'État Islamique. Riyad a en effet annoncé que le gouvernement était prêt à envoyer des troupes au sol pour combattre État islamique, si la coalition le décide. « Le royaume est prêt à participer à des opérations au sol que la coalition (contre Daech) peut accepter d'effectuer en Syrie », a déclaré lors d'une interview à Al-Arabiya, le porte-parole militaire du Royaume. [?] Parallèlement, l'armée russe a affirmé ce jeudi avoir «des raisons sérieuses» de croire que la Turquie prépare une «intervention militaire» en Syrie voisine, invoquant l'interdiction la veille par Ankara du survol de son territoire par un avion de reconnaissance russe. « Nous avons de sérieuses raisons de soupçonner une préparation intensive de la Turquie pour une intervention militaire sur le territoire d'un État souverain : la Syrie », a indiqué le porte-parole du ministère russe de la Défense, le général Igor Konachenkov, dans un communiqué.» Il est clair qu'une telle annonce qui émane de l'Arabie saoudite ne peut être proclamée «que si elle a l'onction des États-Unis». D'autant plus que l'Iran a envoyé des troupes au sol pour aider le régime politique de Bachar al Assad. La question qui se pose : «Est-ce un coup de bluff pour pousser les Russes à mettre fin aux bombardements aériens et le pouvoir de Damas à mettre fin à l'effusion de sang et donc à s'entendre rapidement pour un cessez-le-feu, ouvrir des corridors pour l'acheminement d'aides humanitaires onusiennes aux populations assiégées ?» Non, la situation est extrêmement grave en Syrie, plus grave qu'en Irak. Ce n'est pas un coup de bluff, on peut même dire que cette sortie de l'Arabie saoudite s'apparente à un ultimatum. La Russie et le régime de Damas ont le choix de négocier sur des bases réalistes en tenant compte de la réalité du terrain et de l'aspiration du peuple syrien dans sa globalité ou pousser de nouveau à la guerre avec cette fois l'implication de nouvelles forces extérieures. Et si les forces au sol ne suffisent pas, l'opposition syrienne sera dotée d'armements anti-aériens que les États-Unis en entente avec la Russie ont prohibés jusque-là pour avoir les mains libres pour influer sur le conflit syrien. Il est évident que le conflit en Syrie est arrivé à un tournant que l'on peut définir par «Ou ça passe, ou ça casse». Pourquoi cette résolution à la fois occidentale «non dite» et annoncée par l'Arabie saoudite mais que l'on peut imaginer dans l'esprit des décideurs américains et aussi saoudiens ? Si la Russie impose ses vues dans les négociations sur la Syrie et arrive à avoir gain de cause, c'est toute la crédibilité des États-Unis et de l'Europe qui part en l'air. Ce n'est pas seulement un déclin, c'est la fin d'une domination de l'Amérique sur le monde, avec des conséquences graves non seulement sur le plan militaire, y compris le rôle de l'OTAN, mais aussi sur le plan économique, financier et monétaire. Quant à l'Arabie saoudite, de puissance régionale elle deviendra un nain régional. On comprend dès lors que l'Arabie saoudite joue son destin dans le conflit syrien, y compris les autres monarchies arabes. Toutes les années de guerre en Syrie seraient un cuisant échec pour les peuples sunnites. L'Irak serait de nouveau pacifié au profit du gouvernement majoritaire chiite. Et c'est la raison pour laquelle ce qui va survenir en 2016 va complètement changer les donnes. Et quel que soit le choix de la Russie, il la mettra dos au mur. La Russie doit décider avec sagesse pour éviter une situation militaire encore plus complexe. Il est de l'intérêt de la Russie de trouver avec les États-Unis le meilleur deal pour mettre fin à cette guerre qui n'a que trop duré. Le problème n'est pas «des milliers de forces spéciales saoudiennes qui pourraient être déployés, probablement en coordination avec la Turquie», selon les sources saoudiennes, confirmé au Guardian (Figaro du 04. 02.2016), mais la perspective de milliers et milliers de sunnites venant de tous les pays musulmans. Ce qui transformera le conflit syrien pour la Russie en «Deuxième Afghanistan» et cette fois étendu à ses alliés chiites. *Auteur et chercheur indépendant en économie mondiale, relations internationales et prospective. Notes : Cette analyse fait suite aux articles déjà parus sur la crise syrienne et irakienne. - «Le chaudron moyen-oriental. Une «troisième voie», une nécessité historique pour l'équilibre géostratégique de la région ?», par Medjdoub Hamed. Le 27 septembre 2014 www.sens-du-monde.com, www.lequotidien-oran.com, www.agoravox.fr - «Le Printemps arabe, un nouveau «Pearl Harbour» ? Prospective par l'«histoire» d'une sortie de crise et des guerres civiles en Irak et en Syrie», par Medjdoub Hamed. Le 3 novembre 2015 www.sens-du-monde.com, www.lequotidien-oran.com, www.agoravox.fr - «De Genève I et II aux Accords de Vienne, un 2ème Yalta. Pourquoi Russes et Américains doivent mettre un terme à la guerre civile en Syrie ?», par Medjdoub Hamed. Le 28 novembre 2015 www.sens-du-monde.com, www.lequotidien-oran.com, www.agoravox.fr |
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