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Des humoristes, parfois plutôt poussifs, s'en donnent
à cœur joie en brocardant la situation de l'Algérie. Des politologues y
observent, eux, une forme très spécifique d'entropie du système politique.
D'une manière générale, la fatalité de l'entropie - qui ne relève pas seulement
du second principe de la thermodynamique - concerne également les organisations
humaines qui au terme de leur évolution connaissent une dégradation vers le
désordre, inévitable et irrésistible. Un système ouvert et dynamique est
organisé de manière à prendre continuellement des décisions de correction,
d'adaptation de renouvellement qui permettent d'éloigner cette phase terminale.
Et très naturellement, plus un système est fermé, replié sur lui-même, et plus
l'effet d'entropie - et donc du désordre final - est important et
spectaculaire. Un tel système est intrinsèquement incapable d'actions qui
repoussent l'obsolescence.
Dans le cas de l'Algérie, ce processus est visiblement engagé, il se réalise par la mutation du système d'une République inachevée vers une forme spécifique - nous sommes bien décidément dans une certaine continuité - de monarchie collégiale. Si on discute aujourd'hui publiquement de sujets hier encore tabous, l'armée et le DRS, c'est que tout simplement les lignes directrices du système se sont déplacées et qu'on assiste à la naissance d'un néo-makhzen avec ses pachas du business et ses chaouchs de la politique. Signe de l'entropie, cette mutation ne peut en aucun cas déboucher sur une miraculeuse «stabilité» retrouvée mais sur une accélération du processus de dégradation. L'implacable loi s'appliquant également aux «simples» sujets, aux princes et aux monarques, les cartes peuvent être rebattues à tout moment, sans préavis. L'instabilité du système politique et son irrépressible tendance au désordre se combine à l'incertitude pour se transformer en risque majeur pour le pays. C'est dire l'absurdité intégrale du discours de la «stabilité» que les chaouchs de la politique tentent à grands cris de vendre sur les étals d'un marché déserté par les acheteurs. Le président Abdelaziz Bouteflika a cru pouvoir dire un jour de ses prédécesseurs qu'ils étaient des «amateurs» mais on sait déjà qu'avec infiniment moins de ressources le régime fonctionnait mieux sous ses devanciers. A l'ère de Chadli Bendjedid, que beaucoup réévaluent, sans nostalgie aucune, à l'aune du présent, le système disposait encore de la ressource humaine compétente pour réfléchir et imaginer des solutions. Les grandes ressources financières disponibles depuis le début des années 2000 n'ont pas empêché la rétrogradation d'un système exténué, absolument éreinté, frappé de sénilité. Sa mutation régressive vers un néo-makhzen a annihilé chemin faisant toute forme d'intelligence et donc de capacité d'anticipation et de rectification. On ne réforme pas, on tente vainement de revenir vers un passé définitivement révolu. Mais on le voit bien, les vieux instruments sont désormais inopérants et ne permettent plus d'appréhender et encore moins de faire face à des logiques mondiales où les superpuissances se défendent contre l'entropie en remodelant les autres pays, notamment ceux qui disposent de ressources énergétiques et minières. Depuis l'effondrement de l'URSS, on ne cesse d'assister, un peu partout, à des évolutions qui étaient hier purement inconcevables. L'état des réserves pétro-gazières de l'Algérie et les projections pessimistes des experts montrent déjà que le système de la rente est biologiquement achevé et qu'il n'est plus que nuisance et parasitisme. Le refus obstiné de la réforme conduit le système vers une impensable impasse monarchiste. Pourtant nul n'ignore que ce néo-makhzen ossifié qui s'est installé dans un sidéral vide politique n'est pas une réponse, il n'est qu'une fuite en avant vers un inconnu redoutable. Cette ossification est à contre-courant de notre histoire, à contre-courant des valeurs et du combat multiforme des femmes et des hommes du mouvement national. Cette sclérose, prélude à la décomposition, est à contre-courant de la jeunesse de ce pays et de son avenir. Alors, oui bien sûr, l'humour aux dépens de l'Algérie ne fait pas rire grand monde, car ici la moquerie paraphrase trop visiblement une angoissante oraison entropique. |
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