|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Quelle est cette
réjouissance quand on avance un taux de 90% de réussite? dans une grève alors
qu'il devrait se réaliser dans le bac ! De grève en grève, l'école n'a pas
l'air de terminer ses classes. Dans ces conditions sempiternelles de fronde,
elle est devenue presque une chose unilatérale, monstrueuse et dévoreuse
d'innocentes frimousses.
Cette école n'attire maintenant l'attention non pas par la prouesse de ses éléments ou l'éclatante avancée pédagogique mais par ce terme honni et trop rabâché de: grève. Ce mot, d'ailleurs inadéquat en rapport à ce qui se pratique, est rentré dans l'emploi du temps comme une matière. Demain, on a grève, sinon la semaine prochaine. C'est la seule matière à laquelle croient fermement les scolarisés. Mon enfant, le vôtre, celui de votre voisin ou votre petit-fils n'ira pas cette année encore au bout de ses cours. Trop de vacarme d'une part et peu de mutisme d'autre part. Les deux parts sont partie prenante dans la partition inégalée qui secoue le cycle scolaire. Fermez les écoles, ouvrez les autres et faites venir nos bambins sur vos bancs informels ! Certains «patrons» de grévistes jubilent à voir ces taux monter crescendo d'une wilaya à une autre. Les diverses corporations syndicales en font une rivalité. Une grille d'appréciation du taux d'adhésion au mot d'ordre est contradictoirement lue et analysée. L'un exulte, l'autre dément. Un peu de temps mort à consacrer à l'enterrement des haches et des cris stridents doit être observé. Basta ! Ce temps devra permettre de repenser la réflexion et peut-être d'engager une «réforme». Ce sont en fait les élèves qui en pâtissent. L'école leur étant un carcan obligatoire, car, au bout du cursus, ils sont guettés et vite happés par l'oisiveté et la déperdition scolaire. C'est une question vitale, une raison d'Etat. L'école à sa cadence actuelle ne peut, à peine de rendre fous enseignants, élèves, parents d'élèves, continuer à régenter à l'humeur d'un ministre ou au desideratum d'un ou deux syndicats en mal d'égérie et ainsi hypothéquer l'avenir de descendances croisées. Dans ces «grèves» perpétuelles, disons-le abusives, il faudrait aussi jeter un profond regard. Une grève a ses règles. Celle provoquée est une autre affaire. Si le fait de faire sortir les élèves des classes et dire que ce sont eux qui «grèvent», ceci n'est pas au sens de l'éthique syndicale un débrayage. On aimerait voir un enseignant gréviste, dans sa salle de cours et s'abstenir de le dispenser. Mais, de là à ne pas pointer son nez dans l'établissement ou dans son préau ou sur l'estrade, c'est loin de pouvoir le considérer comme étant en grève, car, et c'est grave qu'il en soit ainsi, un cas d'absence injustifiée ou en état de service non fait. Cette nouvelle mentalité de faire volontairement sécher les cours déjà secs ne milite pas à une solidarité générale. L'acte ainsi exercé, en dépit d'une certaine culture de la contestation, n'est non plus compris dans la déontologie professionnelle. C'est de la prise d'otages. Ces arrêts de cours trop fréquents dont les revendications ne sont que légitimes doivent prendre une autre approche que la menace de grève. C'est tellement devenu rébarbatif, qu'il faudrait accentuer davantage la montée des crans. Fermer carrément les écoles et laisser les privés se juter et faites-y alors grève ! La notion de l'informel pourtant n'échappe à nulle entreprise. Le ministère de l'Education nationale n'est pas du tout branché là-dessus. Département non concerné, il s'attelle en vain à châtier le mal qui ronge les profondes cavités de l'école publique. Il subsiste un important marché scolaire informel dans le pays. Il est aménagé non pas de jour comme ces magasins anarchiques contre lesquels luttent les services de sécurité, mais ce marché florissant agit de nuit. Ce sont des milliers de clients-élèves qui le négocient et accompagnés de surcroît par leurs parents. Ils y demeurent des heures et des heures. Les conditions sont plus dramatiques que celles des souks. Les caves d'immeubles, les vieilles maisons menaçant ruine, les garages mal bâtis et bruts servent de lieux de prédilection pour ce genre d'opérations commerciales. Non déclarés, non assurés, mal hygiéniques, manquant de salubrité, parfois d'éclairage, ces lieux concurrencent en silence l'école qui se fissure au jour le jour par ceux-là mêmes qui en ont le gardiennage. Il y a des lieux de ces cours du soir où de nombreux élèves s'entassent côte à côte pour suivre le complément du manque dispensé à l'école étatique. Avec l'hiver, les bouteilles à gaz butane, les poêles à mazout, les radiateurs électriques liés à un réseau défectueux seront, à peine d'intervention énergique, un élément de catastrophe nationale. Si Benbouzid est parti, il a laissé derrière lui un engin explosif à retardement. Restant sur leur faim de savoir, un élève est contraint de recourir à ce genre d'extrapolation didactique. Notamment en phase de classes d'examen. Les milliers d'âmes enfantines sacrifiées sur l'autel des multiples expériences pour les multiples réformes ne vont pas pardonner le méfait subi. Si le directeur de l'Education nationale fait ces cours à ses enfants, comment explique-t-on donc la demande de confiance à faire dans son institution ? Si c'est comme l'on observe un concessionnaire de Peugeot, censé promouvoir sa marque, conduire une Renault. Dure réalité. L'école algérienne est minée de toute part. De l'intérieur, le mal viendrait de ses fonctionnaires. De l'extérieur, d'eux aussi. Un ami, vieil ex-enseignant, pourtant grincheux et iodé se qualifie-t-il, questionné par ma rage, m'assenait: «Je suis contre la grève mais pas contre leurs revendications dont ils sont seuls à connaître la teneur et la réalité. L'école est déjà fragile de certains côtés, ils la fragilisent encore plus. Parfois, je veux bien croire à un complot ourdi dans quelque laboratoire puis je me dis, mais nom d'un dieu fumeur de kif dans une olympe, pas du tout grecque, ce sont des intellectuels !». Et de continuer «si j'étais ministre, je leur accorderais tout ce qu'ils me demandent, sauf de ne pas faire pour chacun un contrat de performance». Belle idée ce contrat ! Allez les gars ! Ce contrat aura l'avantage de constater le mérite de chacun. L'échec accumulé est maintenant partagé par toute l'organisation, alors qu'en vertu d'un tel type de contrat, tant la force que la faiblesse sera individualisée et personnalisée. Si un prof de philo n'arrive pas à faire obtenir par ses élèves une moyenne dans la moyenne de sa classe, le vice est vite repéré. Si l'école n'est qu'une sacrée trinité constituée d'un enseignant, d'un apprenant et d'un programme, l'ombre malfaisante est peut-être dehors. Sachant que l'enseignement gratuit est une disposition constitutionnelle qui gêne timidement l'émergence au grand jour de lycées privés, certains «commerçants du savoir» rejetés puis recyclés dans le créneau ont tout l'intérêt de porter l'estocade à l'école publique. C'est vrai que la majorité de ces soldats du savoir ont formé des générations et se trouvent, hélas, pour leur grand nombre, en marge de l'évolution sociétale. Il faudrait par conséquent améliorer leur solde, accroître leurs primes, réviser leur statut, abolir l'article de 87 à l'infini, étendre la zone, humidifier le Sud et les Hauts Plateaux, céder les œuvres sociales. Pour cela, si les fonds manquaient, il suffirait de ne pas bâtir un stade ou deux, trois ou quatre lycées, cinq ou six piscines olympiques, tempérer l'édification de la grande mosquée d'Alger. Et après ? Croyez-vous que les problèmes seront réglés uniquement par l'injection budgétaire massive ? L'école suffoque, elle a besoin d'un peu de fraîcheur dans la réflexion. C'est le personnel de l'éducation qui fait qu'une école est valable et viable ou non. Son mal est certes subi par ses enseignants, mais en fait, ce sont les enfants qui souffrent davantage. Si le ministère prend un coup de froid, le prof toussote, voilà que l'élève s'alite, grippé et fiévreux pour voir mourir à longueur d'année son école. Les gamins dans les écoles ne croient plus ce qui s'enseigne comme vérité, nationalisme ou autres. Enquiquinante car banalisée; la levée journalière des couleurs nationales et l'entonnement de l'hymne ont rendu un peu insignifiante la symbolique voulue. Seule importe cette note assurant un passage ou un succès. Les professeurs, à force de ne pas être écoutés, s'arrangent pour le mieux de réussir la prochaine grève. Ou s'ils le sont, ils ne sont pas totalement convaincus. La tutelle, le ministère dont le titulaire détenait le record de durée et survivait sans fracas à toutes ses reformes. Réformes contre réformes, l'on est bien arrivé à démolir toute réforme. Les émeutiers, les harraga, les jeunes chômeurs, en somme toute la pathologie algérienne est là, comme un témoignage d'une école sinistrée. Et depuis longtemps. Pourtant dénigrée, parfois mal représentée, toujours jetée en pâture et rendue coupable de tous les fléaux de société, l'école s'avère par ailleurs un enjeu fortement majeur. Malheureusement, il n'intéresse que les financiers, pas les politiques. En cette période de précampagne présidentielle, il n'y a pas un programme consistant, sans vouloir avoir la prétention de les avoir tous feuilletés, qui ait pu démanteler le mal qui la ronge. Et ces grèves devenues menaçantes à l'ordre républicain d'une école républicaine ? Tellement répétitives, itératives qu'elles sont converties en des cures cycliques n'engendrant que mépris et dégout face à «ceux» qui les gèrent. Des deux côtés, ministère ou travailleurs, l'enfant est le bel otage. Et que font ces associations dites de parents d'élèves ? A l'image des partis politiques, il n'y a que la figuration qui compte et qui peut toutefois créer des personnages médiatiques. Elles se limitent, d'un temps que je me le rappelle, à un SAMU matériel, un organe de collecte de fonds et un approvisionneur en eau et en autres tâches d'entreprise d'entretien et de maintenance. Face à un programme lourd, des matières inutiles, une pédagogie dépassée, un échec innommable et oiseux, une indiscipline caractérisée, l'élève, écolier, collégien ou lycéen est démuni d'outils de communication et de concertation. L'association de ses parents a la tête ailleurs que dans son cartable. Elle ne réagit que pour valider une décision uniforme prise par un directeur ou sa tutelle. Alors qu'elle se doit d'imposer, elle aussi, son avis, ses suggestions. C'est pour cela et ceci qu'il est préférable, si cet «absentéisme menaçant» perdure, de crier au retrait des enfants et à la fermeture des écoles. La grève inversée. |
|