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Le 11 février
prochain, cela fera trois ans que le président Hosni Moubarak a été chassé de
son poste. En l'état actuel de la situation politique, il n'est pas sûr que cet
anniversaire soit commémoré par les autorités. Pour de nombreux Egyptiens, à
commencer bien sûr par les officiels, la " vraie " révolution a eu
lieu le 30 juin 2013, quand l'armée a renversé le président Mohamed Morsi -
démocratiquement élu, il faut toujours le rappeler. Balayée, donc, la geste de
la place Tahrir et les événements à la fois dramatiques mais aussi libérateurs
qui s'étaient succédés entre le 25 janvier 2011, le fameux jour de la colère et
celui de la chute du raïs.
Aujourd'hui, les révolutionnaires de la première heure, ces jeunes qui avaient entraîné des foules entières grâce aux réseaux sociaux et à une mobilisation permanente, sont priés de rester discrets quand ils ne sont pas tout simplement traqués et mis en prison. Pour dire les choses plus clairement, ce ne sont plus des héros mais des " traîtres ", des " agents de l'étranger " qui auraient participé à un " complot " contre l'Egypte fomenté par les Etats-Unis. C'est la thèse qui est vendue par le pouvoir en place au Caire et par les médias qui lui obéissent au doigt, à l'œil et au premier plissement de nez. Oublié donc, le fait que cette jeunesse courageuse et inventive a fait la fierté des peuples arabes et qu'elle a été un exemple à suivre pour les indignés qui ont occupé les rues de Madrid, Londres, Athènes ou New York. Tout cela relève du passé. L'ordre kaki entend régner au Caire et les vieux réflexes reprennent le dessus. Pire, la police se venge. Humiliée lors des évènements de 2011, elle prend sa revanche et s'attaque avec violence aux activistes qu'ils soient islamistes ou non. Une chasse aux sorcières qui concerne aussi les journalistes d'Al Jazira, cette chaîne d'information qui, en 2011, avait montré ce qui se passait réellement à Tahrir quand d'autres télévisions, notamment celles liées à l'Arabie Saoudite essayaient de travestir la réalité. Bien sûr, la télévision du Qatar n'a jamais cessé de rouler pour les Frères musulmans mais ce qui lui arrive aujourd'hui en Egypte - plusieurs de ses journalistes sont arrêtés ou en fuite - témoigne de la vigueur de l'arbitraire et de la répression. Le nouvel homme fort du pays, Abdel Fatah al-Sissi vient d'être nommé maréchal, un grade que ni Nasser ni Sadate ni même Moubarak n'ont revendiqué quand ils étaient aux affaires. Habillé de la tenue de l'homme providentiel, il est, sauf grande surprise, le futur président de l'Egypte puisqu'un scrutin doit être organisé avant l'été (habitude nord-africaine, il attend tout de même un " appel du peuple " pour se déclarer candidat?). Ensuite, des législatives " libres " suivront dans les deux mois. En clair, il ne faut pas être un grand devin pour annoncer qu'à la fin de l'été prochain, l'Egypte sera entrée de plain-pied dans cette phase de restauration de l'ordre ancien à laquelle toute révolution semble vouée. Les crapules de l'ancien Parti national démocratique (PND) - au pouvoir sous Moubarak - ont d'ailleurs fait leur réapparition sans avoir concédé le moindre acte de contrition. Les " fulul ", ces figures de l'ancien régime - ou du moins de ce que l'on a cru l'être et qui, en réalité, n'a jamais disparu - sont de retour. Ils ont remis leurs vestes et pantalons à l'endroit et squattent les médias pour expliquer comment le monde entier a conspiré contre l'Egypte flamboyante de Moubarak et combien ils ont confiance en leur nouveau guide. Dans un contexte marqué par une violence grandissante (1400 civils ont été tués, et principalement par les forces de l'ordre, selon un rapport récent d'Amnesty International) l'opposition progressiste semble dépassée. Partagée entre le soulagement de ne plus avoir à faire face au pouvoir incohérent de Morsi et la peur à l'égard du nouveau régime, elle se cherche une voie de sortie. Naïfs, certains de ses militants réalisent aujourd'hui que Sissi et ses pairs ne lui témoignent aucune gratitude pour son engagement contre Morsi lors des grandes manifestations du début de l'été 2013. Bien au contraire, là aussi l'histoire est en cours de réécriture. Officiellement, c'est le peuple, et lui seul, qui aurait demandé la destitution du représentant des Frères musulmans. On pourrait penser que le prêche est dit et que l'Egypte, comme ce fut le cas au début des années 1990, va s'installer durablement dans la dictature après avoir rétabli de manière progressive l'ordre sécuritaire. Mais les données ont changé. D'abord, Moubarak comme Sadate ont souvent compté sur l'appui implicite des Frères musulmans pour amortir les tensions sociales et les difficultés économiques. Qu'en sera-t-il demain quand on sait que la confrérie est désormais considérée comme terroriste et que nombre de ses avoirs sont gelés ou confisqués? De même, il ne faut pas non plus penser que l'opposition a renoncé aux idéaux de la révolution du 25 janvier 2011. Bien sûr, la propagande du pouvoir est efficace surtout quand elle insiste sur le " désordre général " engendré par les manifestations de l'époque. Mais il faut croire en la jeunesse égyptienne. Elle a goûté le fruit de la liberté, notamment d'expression, et ses revendications de dignité et de droits pour tous n'ont pas disparu. Une recomposition est certainement en cours, peut-être encore trop peu perceptible. Il faut espérer que les islamistes réfléchiront à leurs erreurs et que ce qui se passe actuellement en Tunisie, avec la conclusion d'un compromis historique entre Ennahdha et ses adversaires, les incitera à réviser de fond en comble leur approche de la politique. Bien sûr, et sauf à parier que Sissi sera un maréchal éclairé, il est évident que le chemin de l'Egypte vers un Etat de droit, moderne et démocratique, est bien loin d'être terminé. Mais les raisons d'y croire demeurent. Et, pour celles et ceux qui suivent cette situation de l'extérieur, la pire des erreurs serait de se détourner de ce pays et de ne pas aider celles et ceux qui nous ont tant enthousiasmé en janvier et février 2011. |
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