L'Etat «civil» contre «l'Etat DRS ?». Dans la sortie
sans précédent d'Amar Saadani, il n'y a pas que sa soudaine reconversion à un
jeu politique libéré du DRS qui suscite l'incrédulité. Sa défense de Chakib
Khelil, «l'un des cadres les plus intègres et les plus compétents de
l'Algérie», suscite un scepticisme généralisé. Cette saillie représente la
faille dans la démarche d'appropriation de la thématique du rejet de la
domination de la «police politique» qui a été le fait de l'opposition
démocratique. Une erreur de casting ? En tout cas, cette petite phrase
affaiblit considérablement la cohérence de son discours. Quand le top
management de Sonatrach -cela deviendra Sonatrach 1 pour la justice- est tombé
à la suite, effectivement, d'enquêtes diligentées par le DRS, le ministre
Chakib Khelil a été épargné. Il a bénéficié de «l'Aman», on lui a épargné
l'affront du limogeage, sanction on ne peut plus logique. Les dirigeants de
Sonatrach sont «tombés» début 2010, Chakib Khelil quitte le gouvernement
algérien le 28 mai 2010 dans le cadre d'un remaniement ministériel. L'ancien
ministre de l'Energie s'en était presque sorti et ses «malheurs» ne sont pas
venus du DRS, mais de la curiosité civique de juges italiens qui constataient
que des dirigeants de Saipem s'adonnaient au jeu «classique» des commissions et
des rétrocommissions. Techniquement parlant et «politiquement», Sonatrach 2 qui
prend en charge ces affaires est donc venue de l'étranger. Et c'est ce qui la
rendait difficilement escamotable, les juges italiens qui enquêtaient ne se
privant pas de livrer des informations à la presse italienne, immédiatement
reprises par la presse algérienne. S'en prendre à l'Etat DRS pour défendre
Chakib Khelil -qui nous a fait découvrir au passage la passionnante vie dorée
de Farid Bedjaoui, «ami nécessaire» de ceux qui veulent faire de juteuses
affaires dans la riche Algérie-, c'est cela qui fait qu'un Saadani ne sera
jamais un disciple ou un continuateur d'un Hocine Aït Ahmed ou d'un Abdelhamid
Mehri. Et comme le moment est propice pour le déballage des histoires troubles
du régime, l'ancien ministre de la Justice, Mohamed Charfi, rappelle, dans un
article publié dans El Watan, à Amar Saadani qu'il est venu le jour de son installation
au FLN lui «proposer amicalement de préserver mon poste de ministre de la
Justice en m'engageant à extirper M. Chakib Khelil de l'affaire Sonatrach 2
«comme on extirpe un cheveu d'une pâte» (selon votre expression)». Voilà qui
renseigne de la vertu de celui qui voudrait, caressé par l'aile de l'ange sans
doute, que «son pays» soit débarrassé de l'emprise de la police politique. Il y
a une formule arabe qui évoque le recours à un principe juste (Hak) pour
masquer une injustice (Batel). Dans la vente concomitante que proposent Saadani
et ses sponsors, il y a bien quelque chose de trouble qui altère le marché
proposé à la société. Mettre fin à l'emprise de la police politique sur les
partis, la justice et la presse, aller vers une vie institutionnelle est un
objectif légitime, souhaitable, désirable et même nécessaire. Mais quand on se
fait dans le même mouvement le défenseur de personnages pour le moins douteux,
les citoyens comprennent qu'on cherche à les gruger. Et que l'objet de la
dispute n'est pas l'avènement du droit et de la citoyenneté mais un simple
changement de parrain. Alors, se confirme sans hésitation qu'on ne remplacera
jamais l'opposition, longtemps présentée comme paranoïaque d'un Hocine Aït
Ahmed, par la soudaine reconversion «civile» de M. Saadani.