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L éducation, une problématique de sécurité

par Tony Blair *

LONDRES – Au mois de novembre, je me suis exprimé devant le Conseil de sécurité des Nations Unies pour la première fois en 13 ans. J’ai été frappé de constater combien l’humeur ambiante se distinguait de celle de l’époque. En septembre 2000, le monde apparaissait très différent de ce qu’il est aujourd’hui. Le défi consistait pour nous à élaborer un nouvel ordre mondial en matière de sécurité, plus d’une décennie après la chute du mur de Berlin. Bien entendu, nous faisions face à un certain nombre de problématiques difficiles. Pour autant, l’atmosphère était empreinte de décontraction, et même d’optimisme, à la table des discussions autour de l’éradication de la pauvreté dans les pays en voie de développement.

Or, au mois de novembre dernier, l’ambiance se révélait des plus sombres. Une obscurité que les premiers jours de 2014 ont fait encore plus épaisse. Faites la synthèse des actualités du jour et vous ne trouverez que récits d’actes de terrorisme et de violence, perpétrés au nom d’une conception erronée de la religion. Qu’ils soient commis par des acteurs non étatiques ou par des protagonistes publics, tous ces gestes s’accomplissent dans un contexte de division et de conflit, fondé sur une divergence de foi religieuse.

C’est là le nouveau combat du XXIe siècle. Un combat que nous ne pourrons remporter si nous ne luttons pas contre les causes profondes du problème, et contre ses terribles conséquences.

À l’heure actuelle, le long d’un arc s’étendant de l’Extrême-Orient au Moyen-Orient jusque dans les rues d’Europe et des États-Unis, nous faisons face à un fléau à l’origine de la perte d’innocentes vies humaines, du morcellement des communautés, ainsi que de la déstabilisation des États. La forme que revêt cette menace ne cesse par ailleurs d’évoluer, de croître et de se transformer, pour mieux contrer les efforts que nous livrons pour la combattre.

Les extrémistes à l’origine de la propagation de cette violence recourent à des réseaux de sensibilisation des jeunes esprits, et savent toute la puissance de l’éducation, qu’elle soit formelle ou informelle. Ces fanatiques inculquent aux jeunes âmes la croyance selon laquelle tous ceux qui s’inscriraient en désaccord avec leurs conceptions représenteraient des ennemis – et pas seulement les leurs, mais également les ennemis de Dieu. Naturellement, le débat autour de la sécurité a bien souvent tendance à s’axer principalement sur les conséquences d’un événement. Face à la survenance d’un attentat, les États s’attachent immédiatement à mettre en œuvre des mesures de sécurité. La chasse aux terroristes reprend de plus belle. Puis nous retrouvons peu à peu notre vie quotidienne, jusqu’à ce qu’une tragédie se produise à nouveau.

Or, la seule façon de promouvoir un changement durable consiste à appréhender les causes profondes de l’extrémisme. La politique joue bien évidemment un rôle en la matière, et les fanatiques sont passés maîtres dans l’art de tirer parti des griefs politiques. Mais c’est bien l’ignorance qui constitue le terreau dans lequel ils sèment leur haine.

C’est pourquoi il nous faut commencer à penser l’éducation comme une problématique de sécurité.

Les esprits extrêmes invoquent l’Être divin pour justifier leurs meurtres. Il y a là une perversion obscène de la foi religieuse à proprement parler. Il s’agit par ailleurs d’une menace, compte tenu à la fois du mal qu’elle engendre de manière directe, et de la division et du sectarisme destructeurs qu’elle alimente indirectement. Tout homicide est une tragédie humaine. Mais cette tragédie engendre également une réaction en chaîne d’amertume et de haine. Il règne une peur réelle au sein des communautés frappées par un tel extrémisme, une peur qui paralyse la vie quotidienne normale et éloigne les individus les uns des autres.

La mondialisation a pour effet d’intensifier et de multiplier ces extrémismes. Ne souffrant aucune frontière, ils peuvent surgir n’importe où. Nous sommes aujourd’hui plus connectés les uns aux autres que nous ne l’avons jamais été au cours de l’histoire humaine, et sommes toujours plus nombreux à entrer en contact avec des individus différents de nous. C’est en cela que la nécessité de respecter nos différents voisins se révèle d’autant plus importante ; la réverbération des comportements consistant à identifier autrui comme un ennemi étant malheureusement elle aussi plus forte.

Il ne s’agit pas seulement d’évoquer ici l’extrémisme islamique. Les musulmans sont eux-mêmes la cible d’actes extrémistes perpétrés contre leur religion, et il existe aujourd’hui des fanatiques chez les chrétiens, les juifs, les hindous et les bouddhistes, qui défigurent la nature véritable de leur foi.

C’est la raison pour laquelle l’éducation constitue au XXIe siècle une question de sécurité pour nous tous. Le défi consiste à faire comprendre aux populations les plus jeunes et les plus vulnérables aux appels des terroristes qu’elles disposent d’un chemin plus juste pour faire entendre leur voix, d’un moyen plus sensé d’exister au sein du monde. La bonne nouvelle, c’est que nous savons comment procéder. Et si j’évoque l’action de la Faith Foundation que j’ai créée, ce n’est que pour illustrer les démarches possibles. Nos programmes scolaires favorisent dans le monde entier le dialogue interculturel entre des étudiants âgés de 12 à 17. S’adressant aux élèves de plus de 20 pays, notre programme permet de relier les étudiants via un site Internet sécurisé, grâce auquel ils peuvent interagir depuis leur salle de classe, sous la direction d’enseignants qualifiés.
 
Au travers de vidéoconférences facilitées, les étudiants sont amenés à débattre de problématiques mondiales, sur la base de points de vue différents en termes de foi et de croyance. Les compétences communicationnelles qu’ils acquièrent leur permettent d’échanger selon un dialogue dénué de conflit et exempt de tout stéréotype religieux ou culturel. Au sein des établissements scolaires situés dans les régions les plus pauvres, nous procédons selon une démarche aménagée, dans la mesure où les élèves n’ont pas accès à Internet.

Cette initiative ne représente bien évidemment qu’une goutte d’eau dans l’océan. Pour autant, notre expérience s’étend aujourd’hui à plusieurs milliers d’établissements scolaires ; plus de 50 000 étudiants ont en effet pu suivre cet enseignement, et nous travaillons dans des pays aussi divers que le Pakistan, l’Inde, les États-Unis, la Jordanie, l’Égypte, le Canada, l’Italie, les Philippines et l’Indonésie. J’ai eu le plaisir de voir ces étudiants se familiariser avec ces différentes cultures, religions et croyances qui inspirent tant de populations à travers le monde.

De nombreux autres exemples de fantastiques démarches de ce type sont à l’œuvre. Elles souffrent malheureusement d’un manque quant aux ressources, au poids et à la reconnaissance qu’elles méritent.

Il nous faut aujourd’hui nous mobiliser afin de vaincre l’extrémisme. Il convient par ailleurs d’agir à l’échelle mondiale. Chaque État devrait admettre avec le plus grand sérieux sa responsabilité consistant à éduquer les jeunes afin qu’ils acceptent et respectent les individus de foi et de culture différente.

Il n’existe à l’heure actuelle aucune problématique plus pressante. Le danger est réel de voir le conflit religieux remplacer les luttes idéologiques du siècle passé, sous une forme tout aussi destructrice.

Il nous appartient à tous de montrer au monde que nous poursuivons une vision meilleure que celle des extrémistes – une philosophie consistant à apprendre les uns des autres, et à vivre les uns avec les autres. Et il est indispensable que cette vision s’inscrive au cœur de l’éducation des jeunes populations.

Traduit de l’anglais par Martin Morel
* Premier ministre du Royaume-Uni de 1997 à 2007, est l’Envoyé spécial du Quatuor pour le Moyen-Orient.