|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Peut-on réduire le destin d'un pays et d'un peuple à la seule volonté
d'un homme ? Le changement, si revendiqué par les leaders politiques au nom des
Algériens, est-il une simple question du choix du président de la République ?
Question, à première vue, saugrenue pourtant non moins intéressante que celles qui hantent les débats actuels : dans l'hypothèse où M. Abdelaziz Bouteflika ne se présente pas pour un 4ème mandat présidentiel, faut-il en conclure qu'il n'y aura pas de 4ème mandat ? Explication : Qu'est-ce que le 4ème mandat ? Est-ce l'homme, Bouteflika, ou est-ce la politique que véhicule ce groupe de mots « quatrième mandat » ? Car, a bien lire et écouter journalistes politiques, candidats à la candidature pour l'élection et autres leaders de partis politiques, un 4ème mandat pour Bouteflika signifierait la perpétuation du « Système politique » actuel que les candidats de l'opposition affirment vouloir changer, réformer, voire révolutionner. C'est vrai, mais la déduction s'impose d'elle-même : c'est l'homme (le président) qui, à lui seul, a inventé et imposé le « Système » politique, institutionnel, économique, social, culturel etc. Donc, avec son départ le système s'écroulera. Cette vision naïve de la vie politique d'un pays nie les fondements sociologiques, historiques et même anthropologiques du peuple algérien, sans parler des déterminismes économiques. Autrement dit, en Algérie il n'y a ni classes sociales, ni groupes d'influences, ni intérêt contradictoires, ni influences exogènes. Cette façon de lier le destin d'un pays et d'un peuple à la simple volonté et imagination d'un seul homme, fut-il le président de la république, considère le peuple dans son entièreté comme un ensemble homogène, compact vivant dans les mêmes conditions, ayant les mêmes besoins et aspirant aux mêmes rêves et ambitions. C'est aussi faire table rase des courants idéologiques contradictoires qui impulsent la vie politique du pays. C'est pourquoi, l'approche de la question de l'éventuel « 4ème mandat » pour Abdelaziz Bouteflika ne doit pas, même si cela parait à priori difficile à admettre pour ses concurrents, être confondue avec la question de la perpétuation du « Système politique ». Certes, Bouteflika est le garant symbolique du « Système » algérien dénoncé par tous ses opposants ; mais de là à conclure qu'avec son départ le « système » changera totalement et automatiquement, est quelque peu réducteur, naïf, voire démagogique. Pourquoi ? Parce qu'Abdelaziz Bouteflika est la synthèse et le compromis des intérêts des « groupes politiques dominants » sur les » groupes politiques dominés ». Les supporters de Bouteflika se trouvent tant parmi la nomenklatura de l'appareil de l'Etat ; que dans l'armée ; que dans les assemblées élues ; que chez les partis politiques domestiqués ; que dans la classe des affairistes enrichis ces dernières années ; que chez les courants conservateurs de l'islamisme politique et bien au-delà. Le spectre de l'allégeance au « Système »est large et varié. Croire qu'avec le départ éventuel d'Abdelaziz Bouteflika, le « système » changera et proposera un autre projet politique plus ambitieux, plus libre et plus moderne est une vision réductrice, un raccourci qui prêche par un opportunisme strictement électoral. La réalité socio-politique et économique du pays est que le départ de Bouteflika du pouvoir n'induira pas, automatiquement, un changement du « système ». Les mêmes « groupes dominants » détenteurs du pouvoir de décision s'arrangeront pour faire élire un autre candidat qui garantira leurs intérêts et l'équilibre entre les forces qui ont pris possession du pouvoir depuis plus de 50 ans. Du coup, le « 4ème mandat » de Bouteflika se prolongera sans Bouteflika comme président de la république. Soyons honnête et reconnaissons que certains leaders politiques, analystes lucides ont dénoncé la nature du « système » et appelé à le changer, le révolutionner. Jusque dans les franges du peuple appartenant aux « groupes dominés », l'appel au changement du système est permanent. Malheureusement, ces catégories politiques et sociales ne disposent pas des leviers de commande, des mécanismes décisionnels du pouvoir. Que faire ? Vaste question qui appelle des réponses aussi complexes que le nombre d'hypothèses théoriques possibles. Attendre que les contradictions de classes rendent l'équilibre institutionnel et politique impossible à tenir, débouchant sur une révolte généralisée qui accouchera de nouveaux rapports économiques et sociaux : c'est la théorie marxiste de la révolution. Agir sur les rapports de forces pour accélérer le changement du régime : c'est la théorie adoptée par les partis politiques de l'opposition, acteurs actifs de la scène politique. C'est aussi la théorie de « l'entrisme » pour les partis alliés du pouvoir mais n'épousant pas toute sa politique. Compter, en ces temps de mondialisation des rapports économiques sur l'influence en matière économique, politique sociale etc. des voisins et du reste du monde qui obligera au changement chez nous. C'est la théorie du rapport du « Centre » et de la « périphérie » chère à des penseurs comme Samir Amine par exemple. Et ainsi de suite, en théorie toutes les révolutions sont possibles. Cependant, combien de fois entendons-nous que chez nous, en Algérie, la théorie n'a aucun sens pratique et que le « Système » algérien, confondu avec le « Régime politique » est unique, indescriptible, surréaliste, voire impossible à analyser et à réformer sérieusement et dans le sens de la modernité. Beaucoup identifient le « Système » à un groupe d'hommes détenteurs du pouvoir permanent : cabinet noir, généraux de l'armée, milliardaires affairistes, groupuscules islamistes etc. Vrai ou faux ? Qu'importe, l'essentiel est que l'algérien lambda comme le privilégié du « système » trouvera toujours à critiquer le « Pouvoir » et sa gestion du pays. Pourtant, le « Système » actuel n'est pas une invention récente pratiquée depuis l'arrivée de Bouteflika aux commandes du pays. Reconnaissons que le pays a toujours été géré dans l'opacité, la confusion depuis l'indépendance. Avant c'était le clan de l'Est, BTS, pour désigner Batna, Tébessa et Souk-Ahras. Aujourd'hui, c'est le clan de l'Ouest, Tlemcen, Bel ?Abbes et même Oujda la marocaine. Demain ce sera qui ? Les candidats à la candidature présidentielle promettent qui du changement radical (dans quel sens ?), qui de la richesse à tous et même du rêve ! Aucun ne parle de continuité, excepté évidemment les tenants du pouvoir actuel. Tous font comme si le peuple algérien est assis, à attendre qu'on lui fabrique un avenir à sa place. Mille contre un que l'Algérie continuera sa trajectoire dans le déchirement entre son immense besoin de liberté et de justice et son « emprisonnement » sous le poids de ses traditions et de son Histoire. La question du 4ème mandat pour Bouteflika, au-delà de sa légitimité ou pas, ne doit pas nous cacher l'essentiel : les algériens veulent-ils et ont-ils la volonté et les moyens politiques nécessaires pour changer de modèle de vie ? Si oui, même Bouteflika avec un 4ème mandat ne pourra les contraindre. |
|