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Fin
de la consultation. Face à face, le profes seur et son patient. Le premier
avait procédé, au préalable, à l'entretien classique avant l'examen proprement
dit. Il en imposait. Le second venait de se rhabiller. Il était assis sur le
bout de la chaise qui lui faisait face. Le professeur rédigeait son ordonnance.
Un moment, il leva la tête et sourit à son malade. Il dit «voilà». Le
respectable homme de science dit: «Je n'ai rien à ajouter à ce que j'ai lu dans
votre dossier. J'ai seulement actualisé la liste des médicaments que vous devez
prendre». Il dit encore: «J'ai vu que votre ordonnance est signée du Dr M.
Halima. Je l'ai bien connue. Elle était interne dans ce service. Une excellente
interne, dirai-je». Il salua son patient par ces mots: «Bonnes vacances,
monsieur».
«Merci docteur». Ce n'est pas de la fiction. Les faits se sont bien déroulés dans un hôpital parisien. Il y a de cela quelques années. L'auteur de ces lignes se trouvait en mission à Gemema. En République démocratique du Congo. Quelque part dans la forêt équatoriale. La ligne de l'équateur passe à quelques kilomètres de là. Souffrant de terribles maux de tête et de fièvre, il se rendit à un hôpital qui fut jadis un hôpital, pour livrer son corps à un jeune médecin congolais. Auscultation. Fond d'œil. Goutte épaisse. Analyse et diagnostic. Malaria. Prescription. «Tout ira bien. Ne vous inquiétez pas», lui dit-il, «ce n'est rien». Il demanda, «Vous venez de quel pays?». Il le lui dit. «Venir jusqu'ici, dans ce coin perdu, pour faire votre travail, ça tient de l'héroïsme». Le patient répondit: «Non docteur, le seul héros ici, c'est vous, qui acceptez de faire ce travail dans de telles conditions». Des murs décrépits, la forêt avoisinante envahissant les allées et les bâtiments, la saleté partout et les dizaines de malades attendant de ce jeune homme un miracle, rien dans les mains, rien dans les poches. Armoires à médicaments vides. Instruments sommairement nettoyés entre deux visites. Je n'étais pas loin de me sentir à l'hôpital d'Oran où un autre jeune médecin, héros anonyme, diagnostiqua le mal dont je souffrais dans une ambiance de film canadien «les invasions barbares» suite de l'excellent «déclin de l'empire américain». Ce n'est toujours pas de la fiction. Et enfin, ce responsable qui reçut un matin sa prise en charge pour aller se faire opérer, en dehors de nos frontières, des hémorroïdes. Banale opération, diriez vous. Pas pour tout le monde. Il recevait donc son adjoint pour la transmission de consignes. Entre deux dossiers qu'il survola, l'adjoint dit qu'il envisageait de résoudre une question brûlante, urgente, qui attira son attention, le surlendemain. Parce que le jour précédent, il devait conduire son jeune enfant à l'hôpital pour une thrombocyte dont les risques peuvent conduire à des conséquences dramatiques, notamment la formation de thromboses qui obstruent les vaisseaux sanguins. Son responsable lui dit: «rabi ijib echfa». Tout était dit. Et vraiment dit. On parierait fort que si la médecine était ce qu'elle devrait être, et les patients avaient une autre idée des compétences, avérées, de leurs médecins, les «vacances», comme les appelait ce professeur, seraient réduites à néant. Que si le médecin-héros du Congo avait les moyens à sa disposition, si son hôpital était un hôpital, il serait certainement heureux d'exercer son métier, son sacerdoce. C'est tout ce qu'il demande. Les abus de prises en charge médicale disent combien nous faisons peu confiance à notre enseignement, à notre formation universitaire et hospitalière. Et toute honte bue, ceux qui sont en charge de la mise en place de soins d'excellence, sont ceux-là mêmes qui vont quémander les compétences ailleurs. Avec, sur eux, le regard des services étrangers qui pourraient leur jeter à la face les notes de frais de précédents séjours qui font toujours l'objet de demandes incessantes de règlement. De litige. On craindrait presque qu'un jour on ne saisisse un appareil de la compagnie « Air Algérie » ou un navire de la CNAN pour nous contraindre à honorer nos dettes. Ce mercredi 15 janvier, un animateur tv demandait à la ministre française de la Santé, à la tv, heure de grande écoute des ménagères qui votent: «Qui va payer les soins» ? Humilié. Tout cela pour dire que Fidel Castro, en dépit de son grand âge, de son état physique actuel, n'a pas demandé à être envoyé en soins ou en convalescence à l'hôpital Bethesda de Washington. Que Deng Xiaoping, mort le 19 février 1997 d'une infection pulmonaire et de la maladie de Parkinson, a été soigné à Pékin et non pas à Tokyo. Tous les deux, pour ne citer qu'eux, ne pouvaient et ne peuvent se désavouer, désavouer leur médecine et leurs médecins qu'ils ont formés à travers le système qu'ils ont mis en place, un système disposant des moyens de soigner l'homme dont les limites de vie en ce monde ne sont fixées que par un rendez-vous immanquable avec la fin de vie. Ou alors, pour se référer à notre sens de l'égalitarisme, fermons tous nos hôpitaux, mettons au chômage technique tous nos personnels médicaux et allons tous nous soigner sous d'autres cieux. Non. Ce fut un long chemin pour ces deux pays avant d'atteindre le niveau qui est le leur. Quand nous en sommes encore à envoyer nos malades vers des hôpitaux d'ailleurs où nombreux sont les spécialistes appréciés et chefs de département qui ont obtenu leurs diplômes dans les universités algériennes. J'ai des noms. Et j'ai également, sous les yeux, le texte donnant droit, à chacun, l'accès à la médecine gratuite. C'était un excellent socle pour élever d'autres étages. |
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