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Les transferts illicites de
capitaux et la fraude et l'évasion fiscale sont des sujets très sensibles,
ayant un impact sur la sécurité nationale devant éviter de fausses solutions à
des problèmes mal posés, l'objectif stratégique, éviter que l'impôt tue
l'impôt, et de concilier l'efficacité économique avec la nécessaire cohésion
sociale.
1.-Les transferts illicites de capitaux Dans son rapport du 20 novembre 2021, l'organisation non gouvernementale (ONG) Tax Justice Network note que les transferts illicites vers l'étranger intégrant dans l'évasion fiscale tous les flux financiers vers l'étranger dans l'optique d'éviter une imposition, qu'ils soient légaux (optimisation fiscale) ou illégaux pour esquiver l'impôt sur les sociétés entraînent un manque à gagner de 245 milliards de dollars par an pour les Etats et l'évasion des particuliers fortunés est quant à elle responsable de 182 milliards de dollars de pertes de recettes fiscales. Le rapport examine les pays qui profitent le plus de cette évasion fiscale dont les îles Caïmans, territoires outre-mer du Royaume-Unis en captant 16,5%, devant le Royaume-Uni (10 %), les Pays-Bas (8,5 %), le Luxembourg (6,5 %) et les Etats-Unis (5,53 %). Les 10 plus gros paradis fiscaux au monde sont les suivants : Émirats arabes unis, Singapour, Jersey, Hong Kong, Luxembourg, Suisse, Pays-Bas, Bermudes, Îles Caïmans et les Îles Vierges britanniques. Mais ce montant est de loin inférieur selon une enquête menée par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) qui donne le montant faramineux de 11.300 milliards de dollars des sommes mises à l'abri dans des paradis fiscaux, selon les Pandora Papers. Pour atténuer ces fuites, la crise d'endettement des Etats étant une des explications de cette prise de conscience, selon le rapport de l'OCDE un accord a été trouvé le 01 juillet 2021 entre 136 pays représentant 90% du PIB mondial, pour l'application d'un taux d'imposition minimum de 15% aux entreprises multinationales à partir de l'année 2023, la Chine ainsi que des pays généralement considérés comme des paradis fiscaux se sont, eux, joints à l'accord, la Suisse y adhérant sous certaines conditions. Ces fuites sont récemment favorisées par des réseaux criminels qui utilisent les cryptomonnaies pour réaliser incognito des transactions. Le rapport publié fin février 2021 par l'Organisation de coopération et de développement économiques, plus connue sous l'acronyme OCDE, explique plus en détail comment de l'argent peut être blanchi via des monnaies virtuelles comme le bitcoin où les courtiers en cryptomonnaies qui acceptent d'échanger ces actifs, dans le cadre d'une transaction en face à face, contre des espèces fiduciaires, peuvent jouer un rôle important dans les opérations de blanchiment de capitaux et faire office d'intermédiaires fiscaux. Pour l'Algérie, sans compter l'évasion fiscale interne, certains opérateurs de la sphère réelle pour ne pas payer trop d'impôts gonflant les charges, en plus où domine la sphère informelle contrôlant plus de 33% du PIB et plus de 40% de la masse monétaire en circulation (rapport 2021 du FMI) ne payant pas d'impôts. Selon un rapport sur l'état des lieux de la justice fiscale, publié récemment par l'organisation non gouvernementale (ONG) Tax Justice Network, l'Algérie perd chaque année plus de 467 millions de dollars (pour l'Afrique c'est environ 23,2 milliards de dollars/an), représentant 0,3% du produit intérieur brut (PIB) du fait des pratiques d'évasions fiscales internationales. Environ 413,75 millions de dollars relèvent d'abus transfrontaliers d'impôts sur les sociétés par les multinationales et 53,3 millions de dollars, en évasion fiscale, par des particuliers fortunés qui transfèrent leur argent à l'étranger. Selon la majorité des experts juristes consultés, si cela ne pose pas de problèmes pour les biens visibles notariés en Algérie, mais pour le capital-argent dans la sphère informelle et les prête-noms à l'étranger, c'est une opération très complexe à l'étranger pour les capitaux placés dans des paradis fiscaux, en actions ou obligations anonymes et dans la majorité des cas mis au nom de tierces personnes souvent de nationalités étrangères. 2. -L'évasion fiscale 1. 1.-La fraude fiscale est une préoccupation de la majorité des Etats et cela n'est pas propre à l'Algérie. Pour l'Algérie, les pouvoirs publics algériens depuis de longues décennies ont eu souvent recours à des expédients, optant pour des systèmes qui leur permettent d'exploiter les sources de revenu immédiatement disponibles au lieu de chercher à établir des régimes fiscaux rationnels, modernes et efficaces. Et ceux qui payent les impôts sont ceux qui ont des revenus fixes dont les impôts sont soustraits à la source (fonctionnaires, salariés notamment). Si l'on s'en tient au rapport de la Cour des comptes de 2021 relatant des données de 2018/2019, le constat est alarmant. Les dettes fiscales d'impôts et taxes continuaient de grimper, en 2019 ont atteint un montant global de 4 886,573 milliards de dinars, en hausse de 8,44% (380,259 Mrds de DA) par rapport à 2018, soit au cours de l'époque environ 120 dinars un dollar, 40,72 milliards de dollars, contre 4506,314 milliards de dinars en 2018 et de 3 895,78 milliards de dinars en 2017. Le montant recouvré au titre de l'exercice 2019 a été de 101,157 milliards de dinars, soit 2,03% du montant des restes à recouvrer et sur ce montant très faible, le constat est une diminution de 29,83% (-43,009 Mrds de DA) par rapport à l'exercice 2018. Les restes à recouvrer, liés à la TVA, représentent la part la plus importante (38,32%) avec un montant de 1872,64 milliards de dinars, suivie des impôts indirects avec un taux de 19,76% (965,723 milliards de dinars) et de l'impôt sur le revenu global avec un taux de 19,69% (962,307 milliards de dinars). Il existe d'autres pratiques occultes à travers des ouvrages mal faits de bon nombre d'opérateurs étrangers pour dérocher des marchés au moins-disant, notamment dans les infrastructures (routes délabrées après deux à trois ans), les logements, la majorité des nouveaux propriétaires refaisant les malfaçons, donc cette corruption étant supportée par le consommateur, les surfacturations via les importations favorisées par la complicité d'opérateurs étrangers et la distorsion entre le taux de change officiel et celui du marché parallèle, avec un écart dépassant les 50%. Ainsi les importations en devises de biens et services (pour les services les surfacturations sont plus faciles) ont approché les 1000 milliards de dollars entre 2000/2020. Si j'applique un taux entre 10 et 15% les surfacturations pourraient représenter environ 100 à 150 milliards de dollars soit trois fois les réserves de change estimées à 44 milliards de dollars fin mai 2021. Or, les réserves de change en nette diminution, avec une baisse drastique des investisseurs étrangers entre 2015/2020 et les recettes fiscales pour la partie dinar représentent une source indispensable pour le financement du développement et la cohésion sociale. Cependant, par rapport aux autres domaines clés du financement du développement tels que le commerce, l'aide internationale et la dette, la fiscalité n'a fait l'objet en Algérie que d'un intérêt limité jusqu'à présent en raison surtout de la dominance des recettes d'hydrocarbures favorisant la fraude fiscale et l'évasion fiscale. Un système fiscal complexe avec une administration sclérosée constitue inévitablement un terreau fertile pour les activités de recherche de rente, le blocage essentiel comme le montre tous les rapports internationaux, étant le terrorisme bureaucratique. La promotion de tout investissement créateur de valeur ajoutée durable consiste à créer un cadre juridique et réglementaire stable, transparent, et à mettre en place un système fiscal conforme tant à l'anthropologie sociale et économique interne qu'aux normes internationales. Le niveau de l'impôt direct dans une société mesurant le degré d'adhésion de la population, il y a urgence d'une nouvelle politique, car le système d'impôt est au cœur même de l'équité. Mais l'impôt peut tuer l'impôt car il modifie l'allocation des ressources réalisée notamment l'offre de capital et de travail ainsi que la demande de biens et services. Un système fiscal efficace doit trouver le moyen de prélever des recettes en perturbant le moins possible l'optimum économique et s'articuler autour des prélèvements faiblement progressifs sur des assiettes larges. Un système fiscal efficace devant répondre à plusieurs objectifs : premièrement, la collecte des recettes sans perturber l'activité économique; deuxièmement, l'affectation des recettes avec pour objectif de réduire les inégalités, avec un impôt progressif appliqué aux revenus élevés ; troisièmement, utiliser les impôts et les subventions ciblées afin que les prix du marché reflètent le coût social et l'avantage collectif ; quatrièmement, les impôts renvoient à la représentation politique car lorsqu'un gouvernement dépend plus des recettes fiscales et moins des revenus provenant des ressources naturelles, ou du financement par l'emprunt, la responsabilité des gouvernants envers les citoyens concernant l'utilisation des fonds publics s'en trouve renforcée. Or dans la majorité des pays en voie de développement, et cela n'est pas propre à l'Algérie, les plus riches ne contribuent pas plus que les pauvres à l'effort fiscal, les pouvoirs économiques et politiques dont ils jouissent leur permettent souvent de bloquer les réformes qui auraient pour effet d'accroître leur fardeau fiscal. C'est ce qui explique en partie l'incapacité à exploiter le potentiel des régimes d'impôt sur le revenu et d'impôt foncier et le manque de progressivité des régimes fiscaux. A cela s'ajoutent plusieurs facteurs paralysants : premièrement, étant donné la structure informelle, produit de la bureaucratie et du manque de confiance en les institutions, les services de la statistique et de l'impôt ont du mal à générer des statistiques fiables, accentué par la faiblesse de la numérisation. La sphère informelle en Algérie contrôle plus de 50% de l'activité économique comme le montre les données contradictoires sur la masse monétaire informelle en circulation entre 6.000 et 10.000 milliards de dinars, soit au cours moyen du 10 décembre 2021, 138 dinars un dollar, 43,47 et 72,46 milliards de dollars pour un PIB prévu par le FMI en 2021 de 153 milliards de dollars, écart énorme expliquant les échecs répétés des différentes mesures pour la capter. Cela posera d'ailleurs un problème pour la mise en place des subventions ciblées et de l'allocation chômage faute d'un système d'information fiable, comment mesurer les revenues informels non déclarés entre 40/50% de l'emploi hors hydrocarbures étant dans l'informel. Deuxièmement, les méthodes modernes de mobilisation de fonds comme l'impôt sur le revenu et les taxes à la consommation jouent un rôle réduit et la possibilité, pour les pouvoirs publics, de compter sur des ressources fiscales élevées y est pratiquement exclue ; troisièmement, les déficiences des mécanismes de mise en application juridiques en ce qui concerne le recouvrement de l'impôt ; quatrièmement, souvent avec des interférences politiques et des comptabilités douteuses, les pénalités sont insuffisantes en cas de défaut de paiement. Les administrations fiscales manquent souvent des compétences spécialisées pour déchiffrer les systèmes fiscaux tant internes qu'internationaux complexes qui sont utilisés à des fins de fraude fiscale. C'est ce qui explique en partie l'incapacité à exploiter le potentiel des régimes d'impôt sur le revenu et d'impôt foncier, et le manque de progressivité des régimes fiscaux. 3.-Urgence d'unE nouvelle gouvernance reposant sur un système d'information fiable La lutte contre ce fléau qui menace la sécurité nationale passe par le renouveau du système d'information au temps réel qui s'est totalement effrité, assistant à des données et discours contradictoires de certains responsables. Lors de quatre audits sous ma direction assisté d'experts et des cadres dirigeants du ministère de l'Energie et de Sonatrach, même pour une importante société de Sonatrach entre 1974/2015, il nous a été très difficile de cerner les coûts arrivés au port tant du baril de pétrole que du MBTU de gaz naturel, faute de comptes éclatés sectoriels physico-financiers et d'une comptabilité analytique en temps réel, Sonatrach livrant des comptes consolidés de peu de signification. Dans un tel contexte, prenons garde aux utopies en induisant en erreur l'opinion publique nationale, pas les étrangers qui connaissent parfaitement la structure économique du pays, de l'annonce de 4 milliards de dollars hors hydrocarbures pour l'année 2021. Le bilan officiel de Sonatrach 2020 donne 2 milliards de dollars des dérivés d'hydrocarbures avec une perspective de plus de 2,5 pour 2021 et si l'on ajoute les semi-produits le montant dépasse les 3 milliards de dollars restant aux produits à valeur ajoutée concurrentiel moins de 1 milliard de dollars. Par ailleurs, le ministère du Commerce pour plus d'objectivité ne doit pas donner que la valeur, certains produits comme les engrais ayant connu une hausse entre 30/40% sur le marché mondial en 2021, mais également le volume exporté (kg, tonne, etc.) afin de voir s'il y a eu une réelle dynamique d'exportation de certaines entreprises, dresser la balance devises en soustrayant les matières importées en devises, ainsi que les exonérations fiscales et certaines subventions comme le prix de cession du gaz cédé à 10/20% de la cotation sur le marché international pour certaines unités exportatrices fortes consommatrices de gaz. Dans ce contexte, les montants des surfacturations se répercutent normalement sur les prix intérieurs (les taxes des douanes se calculant sur la valeur du dinar au port surfacturé) donc supportés par les consommateurs algériens. Les transferts de devises via les marchandises sont également encouragés par les subventions généralisées mal ciblées, bien que servant de tampon social, source de gaspillage étant à l'origine des fuites des produits hors des frontières que l'on ne combat par des mesures bureaucratiques. Et d'une manière générale, la gestion administrative (flottement administré) du taux de change du dinar a intensifié les pratiques spéculatives ces dernières années par l'écart entre le taux de change officiel et le taux sur le marché parallèle permettant des opérations de transferts illicites de capitaux. Ce problème ne date pas d'aujourd'hui, l'ayant constaté vers les années 1980/1983 en tant que haut magistrat et directeur général des études économiques à la Cour des comptes ayant été chargé du contrôle du programme anti-pénurie où j'avais suggéré la mise en place d'un tableau de la valeur, qui n'a jamais vu le jour car s'attaquant à de puissants intérêts rentiers, nécessitant la mise en place d'un système d'information reliés aux réseaux internationaux permettant des interconnexions, ministère des Finances (banques-douanes-fiscalité), les ports/aéroports et les entreprises publiques/privées pour lutter contre les surfacturations et les trafics de tous genres, produits de mauvaises qualités ou périmés. Car, selon le rapport du Premier ministère en date du 01 janvier 2021, repris par l'APS, durant les 30 dernières années, l'assainissement des entreprises publiques a nécessité environ 25 milliards de dollars dont plus de 80% sont revenus à la case départ, entre 2005/2020, la réévaluation des projets a coûté plus de 8.900 milliards de dinars, chiffre avancé par le Premier ministre : mauvaise gestion et corruption. En conclusion, il reste beaucoup à faire pour que nos responsables s'adaptent aux arcanes de la nouvelle économie, où se dessinent d'importants bouleversements géostratégiques mondiaux, croyant que l'on combat la fuite des capitaux à partir de commissions et de circulaires, ignorant tant les mutations mondiales que la morphologie sociale interne, en perpétuelle évolution. Mais le contrôle technique est limité et il appartient au gouvernement de mettre en place des mécanismes de régulation transparents pour lutter contre la fraude fiscale et les transferts illicites de capitaux, ce qui suppose des mécanismes démocratiques de contrôle et une bonne gouvernance, loin des mesures bureaucratiques autoritaires. Lutter contre les transferts illicites de capitaux et impulser une nouvelle réforme fiscale constituent un défi stratégique, étant un enjeu énorme de pouvoir, car touchant de puissants intérêts de rente. Dans ce cadre, il est utopique d'isoler la lutte contre les transferts illicites de capitaux et la réforme du système fiscal, sujet ô combien sensible, de la gouvernance globale devant concilier la concertation, l'efficacité économique au sein d'une économie ouverte et la nécessaire cohésion sociale. *Docteur - Professeur des universités, expert international |