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"Celui qui peut régner
sur la rue régnera un jour sur l'Etat, car toute forme de pouvoir politique et
de dictature a ses racines dans la rue" Joseph Goebbels
La révolution du 1er novembre 1954 a été enfantée par les massacres du 08 mai 1945, a grandi dans les maquis de l'intérieur et fut adoptée à l'âge adulte par l'armée des frontières qui en fera son étendard. Après sept ans d'insurrection armée contre le colonialisme français, l'armée est devenue le principal garant de cet Etat post-colonial qu'elle administre soit directement, soit par procuration. Le noyau dur du pouvoir est constitué par une alliance des dirigeants de l'armée et de l'administration. Les évènements de l'été 1962 nous montrent que les cadres issus de l'armée des frontières et de l'administration coloniale sont les représentants d'une petite bourgeoisie partisane d'un Etat fort, fort par sa capacité à contraindre que par sa volonté à convaincre, se fondant sur la loyauté des hommes que sur la qualité des programmes, se servant de la ruse et non de l'intelligence comme mode de gouvernance. Que ce soit dans l'armée ou dans l'administration, des secteurs éminemment improductifs, nous sommes en présence de dirigeants qui sont des hommes d'appareils ayant fait toute leur carrière dans l'armée et/ou dans l'administration, ils connaissent tous les mécanismes, tous les rouages, toutes les ficelles dans lesquels les liens de vassalité l'emportent sur les qualités professionnelles. Des hommes qui obéissent aux ordres et non aux lois. Ils sont constitués de fonctionnaires et non d'entrepreneurs, des gens qui "fonctionnent" et non de ceux qui "produisent", des hommes de pouvoir et non des hommes d'Etat. Ils raisonnent à court terme et non à long terme. Ils réfléchissent à la prochaine élection et non au devenir des générations montantes. Un homme politique connu, Sid Ahmed Ghozali, affirma un jour sans sourciller "nous sommes les harkis du système". Un système conçu à l'ombre de la guerre de libération et mis en œuvre par les hommes sortis de l'ombre pour faire de l'ombre au développement et à la démocratie. Des appareils étatiques aux soubassements idéologiques affirmées, financés exclusivement par la fiscalité pétrolière et gazière, se passant aisément de la contribution fiscale ordinaire comme dans toute nation qui se respecte. C'est la raison pour laquelle les dirigeants n'éprouvent nullement le besoin de rendre compte de leur gestion aux citoyens du moment que les gisements pétroliers et gaziers sont la propriété de l'Etat et non de la nation. En fait, ce laxisme dans la gestion n'est pas le résultat de l'intervention étatique, il semble être le passage obligé de toute société qui n'a pas atteint un niveau d'éducation sociale, scientifique et politique au sens large, à même de s'autogérer dans le domaine de la vie sociale. En effet, la colonisation, en excluant les Algériens du système économique, social et politique, a empêché la formation d'une bourgeoisie nationale dynamique. La bourgeoisie capitaliste autochtone, de par sa position subordonnée et sa faiblesse, ne pouvait jouer un rôle fondamental dans le processus de construction de l'Algérie indépendante. Ce rôle incombe à l'Etat, c'est-à-dire à l'administration. C'est l'administration qui lui donne forme. C'est la rente pétrolière et gazière qui lui fournit sa substance. Aujourd'hui, l'Etat vit une crise financière doublée d'une crise de légitimité. D'une part il est contesté par une frange importante de la population et d'autre part il n'arrive pas à couvrir ses propres dépenses de fonctionnement du fait de la baisse vertigineuse des recettes de l'Etat, d'où le recours à la planche à billets qui a atteint ses limites sous peine d'une explosion sociale, et le recours problématique à l'endettement extérieur n'ayant plus de gages à présenter. La dictature militaire a perdu ses vertus, la démocratie est la voie royale vers le progrès. L'absence d'autorité légitime maintient la productivité à son niveau de plus bas. Bilan de cinquante ans d'indépendance : on se retrouve devant un régime politique corrosif qui respire le gaz et se nourrit du pétrole, faisant de ses sujets des tubes digestifs explosifs. Evidemment quand la ruse plane sur les hauteurs de l'Etat, l'intelligence rase les murs au bas de l'échelle. La ruse, bien que nécessaire en temps de guerre, dans la phase de construction d'un pays, c'est l'intelligence qui doit prendre le relais. Comment en est-on arrivé là ? La raison est simple, dans un Etat de droit, les gouvernants sont considérés comme des hommes ordinaires, ils doivent se soumettre à la loi au même titre que n'importe quel citoyen. Dans une dictature, une personne ou un groupe se placent au-dessus de la constitution, des lois et des institutions, et exercent tous les pouvoirs de façon absolue. En subissant le règne des personnes au lieu et place du règne des lois, le citoyen se trouve privé de toute liberté et de toute perspective. Hier "indigènes" de l'Etat colonial français, aujourd'hui "indigents" de l'Etat national algérien. Le peuple se prête à toutes les manipulations. "Quand la hache pénétra la forêt, les arbres dirent le manche est des nôtres". L'Algérie française a échoué par "l'épée", elle a admirablement réussi par "l'esprit". La France a su imposer à l'Algérie indépendante un ordre politique et juridique qui garantisse la prééminence de ses intérêts stratégiques. C'est dire que la France n'est pas venue en Algérie pour la civiliser, mais pour la militariser. Elle s'opposera par tous les moyens à l'instauration de la démocratie en Algérie et entravera le développement, car il est contraire à ses intérêts. Tout le reste n'est que supercherie. Elle n'est pas seule, les puissances étrangères pointent le bout de leur nez. C'est pourquoi le rapport entre contestation et répression, domination et émancipation est récurrent en Algérie. La France a fait de l'humiliation et de la soumission des techniques de maintien de l'ordre colonial. Le pouvoir algérien a institué le mépris et l'arrogance comme mode de gouvernance. Il est maintenant établi que les régimes autoritaires ont été enfantés par le colonisateur dans le but de préserver ses propres intérêts. Une fois la souveraineté recouvrée, l'Algérie va opter pour un régime présidentiel à parti unique s'inspirant à la fois de la France gaullienne et de la Russie stalinienne, dans un contexte de la guerre froide entre le bloc l'Est et le bloc de l'Ouest. Comme la voiture, l'Algérie va clignoter à gauche pour tourner à droite et se retrouver en fin de parcours dans le décor. Pour la France, la stabilité du régime garantit la pérennité de ses intérêts en Algérie. Depuis 1962 ne se sont succédé en Algérie que des pouvoirs autoritaires. Il en a résulté une gestion patrimoniale des affaires de l'Etat et une dépendance accrue vis-à-vis de l'étranger. La persistance de politiques irrationnelles et anti-développementales peut être élucidée par la volonté des élites de maximiser l'immobilisme politique et l'extraction des ressources du sous-sol à court terme plutôt que de promouvoir une politique de développement sur le long terme par la mobilisation des populations à des fins productives. Une élite vieillissante vivant au présent avec les réflexes du passé, ignorant le futur, fonctionnant plus à l'instinct qu'à la raison, disposant d'un double monopole politique (violence légitime de l'armée) dont le but de maintenir l'ordre établi et monopole économique (rente pétrolière et gazière) en vue de l'achat de la paix sociale. Tous les présidents qui se sont succédé ont souffert au départ d'un déficit de légitimité populaire du fait qu'ils ont été désignés par l'armée, pourtant détentrice de la légitimité historique qui s'amenuise sans disparaître. L'élite dirigeante issue du mouvement de libération nationale voudrait s'éterniser au pouvoir, mais elle n'a plus les moyens de sa politique. Etant contestée à l'intérieur, elle recherche une légitimation externe, mais à quel prix ? Le peuple ne veut plus payer le prix, il est décidé à changer les choses. Le système résiste énergiquement. Il est droit dans ses bottes. En face, une jeunesse déterminée. Quoi que vous fassiez, nous n'abandonnerons pas !, clament les jeunes dans la rue. Nous poursuivrons notre combat pacifique et civilisé jusqu'à la libération de notre chère patrie. Pour conclure, une parabole "un cheval sans cavalier reste un cheval, un cavalier sans monture n'est plus qu'un homme". Peu importe son ornement. "Le seul ornement qu'il va falloir rechercher est celui de l'âme. L'être doit prendre le pas sur le paraître". Les grands hommes sont comme les belles fleurs, elles naissent et grandissent sous et à travers le fumier qui leur donne leur parfum et leur singularité. L'Algérie est pour la France ce que le cheval est pour le cavalier, le cheval se cabre mais ne désarçonne pas son cavalier. Un cheval ne peut chevaucher avec deux cavaliers sur le dos. L'un doit descendre pour que l'autre monte ? Après tout "qu'est-ce que la France, je vous le demande ? Un coq sur un fumier. Otez le fumier, le coq meurt". Qu'est-ce que l'Algérie pour la France "un gros ventre et une petite tête, sans pétrole et sans gaz, c'est une tombe à ciel ouvert sous un soleil de plomb. Pour les générations montantes, le désert saharien sera le grenier de l'Europe, le potager de l'Afrique, une ceinture de sécurité alimentaire des peuples de la région. La Méditerranée cessera d'être le cimetière flottant des corps africains morts noyés à la fleur de l'âge, fuyant les dictatures de leurs pays respectifs à la recherche d'une liberté et d'un mieux-être qu'ils n'ont pas chez eux. Pourtant, ils ne manquent ni d'énergie ni d'intelligence. Ils n'ont rien à envier à leurs homologues européens que leurs compatriotes côtoient tous les jours. |