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3) SUR LE PLAN DIPLOMATIQUE
Dans une interview accordée à Paul Balta en 197432, Boumediène déclara : «le monde actuel est un monde injuste et les relations qui le régissent actuellement découlent de lois, d'une organisation qui ont été promulguées en notre absence. C'est un monde qui a été créé en notre absence. Aujourd'hui nous parlons avec beaucoup de simplicité. Aujourd'hui nous existons et nous contestons ce monde. Nous sommes en train de contester ce monde. Nous voulons créer un autre monde et auquel nous, c'est-à-dire pays du tiers-monde, participons à sa construction? Il faut que le peuple palestinien recouvre le droit à une patrie, il faut qu'il recouvre ses propres droits dans sa patrie ». Cette déclaration suffit, à elle seule, à définir la conception qu'avait Boumediène des relations internationales. L'Algérie faisait entendre sa voix et agissait en faveur du non-alignement, des mouvements de libération des pays du tiers-monde, de la cause palestinienne et du Sahara Occidental. Aussi, l'un des principes fondateurs de la politique étrangère sous Boumediène était la non-intervention en dehors des frontières, la coopération et le multilatéralisme. En adhérant à l'OPEP en 1969, l'Algérie prit une part active en tant que membre de l'organisation, à l'effet de rééquilibrer les rapports entre les pays producteurs du pétrole et les pays industrialisés. Dans la même année, l'Algérie organisa le festival panafricain, à l'occasion duquel Boumediène déclara : « Le festival panafricain n'est pas un moment de farniente qui nous permet de nous distraire. Il fait partie d'un immense effort pour notre émancipation. Il fait partie du combat que nous continuons à mener tous en Afrique : Qu'il soit celui du développement, ou de la libération nationale33». Boumediène considérait donc que la politique étrangère n'a de sens que si elle est sous-tendue par l'engagement international en faveur de ce qu'il considérait comme principes propres à la révolution. Il définissait l'action de l'Algérie sur le plan extérieur en partant du constat selon lequel les règles régissant le monde d'alors étaient injustes. Qu'elles soient économiques, politiques ou juridiques en application du droit international, ces règles devaient être, selon Boumediène, refondées avec le soutien de ce qui constitua la majorité de l'humanité, c'est-à-dire les pays du tiers-monde. La cause palestinienne, l'autre cheval de bataille, ne devait pas être un projet dans les limbes selon Boumediène. Dans son discours au lendemain de la défaite arabe de la guerre des six jours de 1967, Boumediène affirmait : « L'Algérie n'acceptera pas la défaite. Les Arabes et la nation arabe ont-ils utilisé toutes leurs capacités, ont-ils utilisé toutes leurs capacités humaines et matérielles ? Nous n'avons pas perdu la guerre car nous n'avons pas mobilisé tous nos moyens34». Dans la conscience collective algérienne, le soutien à la cause palestinienne se résume d'ailleurs par le leitmotiv : « nous sommes pour la Palestine en toutes circonstances»35. Quant au nouvel ordre mondial auquel il appela de ses vœux, c'est à l'occasion de son discours du 10 avril 1974 à l'ONU qu'il décrit son contour et son objectif. Dans ce discours, il précisa : «L'ordre mondial sous lequel nous vivons aujourd'hui est un système désuet du point de vue de la majorité de l'Humanité, tout comme le système colonial dont il en est issu. Un système qui croît par une dynamique ininterrompue basée sur l'appauvrissement des pauvres et l'enrichissement des riches. C'est un système qui constitue un obstacle majeur au développement du tiers-monde. Il est temps de poser ces problèmes pour que chacun assume ses responsabilités face à la tragédie de la misère qui caractérise ce monde. La question du développement et du partage des richesses qui se pose depuis plus d'un quart de siècle est devenue la priorité des priorités du monde contemporain qu'il faut traiter sans plus attendre ». Boumediène était alors au faîte de sa renommée internationale. Au sujet des relations avec le Maroc, Boumediène déclara dans un discours36 « Viendra le jour où nous nous rencontrerons avec le peuple marocain. Voici pourquoi il faut garder espoir dans l'avenir. Nous ne faisons que défendre nos frontières? Quant aux forces armées marocaines, nous leur disons ceci : vous serez probablement encore impliquées dans des actions qui ne sont pas l'intérêt du peuple marocain? Les actions que mène l'armée marocaine consistent à tuer des Arabes et des musulmans et ce que lui demande le roi est d'agresser l'unité d'un pays frère? ». Le pays dont il s'agit est bien entendu le Sahara Occidental. Les divergences de position entre l'Algérie et le Maroc sur le Sahara Occidental, après le départ des troupes espagnoles de ce territoire au milieu des années 1970, ont eu des conséquences funestes37 sur les relations entre les deux pays. Certes, il existait déjà un conflit latent entre l'Algérie et le Maroc, depuis la guerre des sables survenue en 1963, mais la question du Sahara Occidental l'a transformée en conflit manifeste qui subsiste encore jusqu'à nos jours. Finalement la politique étrangère de l'Algérie sous Boumediène était inscrite dans la logique des relations internationales qui prévalaient alors. Celles-ci étaient marquées par la division du monde en deux blocs, l'Algérie ayant choisi le bloc socialiste. A cette appartenance idéologique venait se superposer la défense des nations dont l'identité est similaire à celle de l'Algérie. En somme, la politique étrangère fut le reflet de la politique intérieure, comme on aimait à le répéter à l'époque. En dépit d'une certaine distance à l'égard de la théorisation marxiste de l'Histoire, pour des raisons examinées plus haut, Boumediène tissa des liens avec des chefs d'Etat, qui eux en revanche, revendiquaient ostentatoirement l'héritage marxiste-léniniste. Ainsi, lors de leur visite en Algérie, un accueil chaleureux fut réservé à Fidel Castro en 1972 et à Kim II Sung en 197538. De même, Boumediène renda visite à Mao Tsé Toung en 1974 et à Brejnev en 1978, lors de son séjour hospitalier39. Les décisions de Boumediène s'inscrivirent par ailleurs, dans le cadre d'un engagement international, dont la finalité fut le soutien des leaders se battant pour la libération de leur pays. Cette démarche revêtait un caractère fondamental chez Boumediène si bien qu'Alger devint la Mecque des révolutionnaires, au moment où il dirigeait l'Algérie. Des leaders révolutionnaires tels que Ché Guévara, Nelson Mandela et Heirich Cover ont fait d'Alger leur base arrière40. Les faits marquants de la diplomatie : Il est bien difficile de séparer la vision qu'avait Boumediène de la révolution des réalisations en matière de politique étrangère. Car, à la différence de l'économie par exemple, les relations diplomatiques ne sont pas matérialisées ou matérialisables. Partant, nous proposons de rapporter quelques évènements majeurs ayant marqué la diplomatie du temps de Boumediène. Juillet 1969 : Organisation du festival panafricain. Manifestation culturelle d'Afrique, plusieurs artistes et troupes venus de toute l'Afrique et des États-Unis participèrent au festival organisé à Alger en 1969. Parmi ces artistes figuraient Miriam Makeba, Barry White, Manu Dibango et Nina Simone. Septembre 1973 : Tenue de la conférence des pays non alignés à Alger. La conférence d'Alger fut précédée par celle de Lusaka. Houari Boumédiène a tenu à centrer les débats sur le droit au développement économique en proposant de lutter pour un nouvel ordre économique mondial. Le clivage mondial était alors perçu comme étant celui entre les puissances industrielles et le Tiers-monde, conformément à la vision de Boumediène. Février 1974 : Participation au 2ème sommet de l'organisation de la conférence islamique à Lahore. Lors de son discours, Boumediène déclara : «Les expériences humaines, dans nombre de régions du monde, ont démontré que les liens spirituels, qu'ils soient islamiques ou chrétiens, n'ont pu résister devant les coups de butoir de la pauvreté et de l'ignorance, pour la simple raison que les hommes ne veulent pas aller au paradis le ventre creux ». 41 Avril 1974 : Discours à l'ONU au cours duquel Boumediène invita la communauté internationale à l'instauration d'un nouvel ordre économique mondial. Mars 1975 : Signature des accords d'Alger entre l'Irak et l'Iran. L'accord d'Alger eut pour conséquence le règlement définitif de la question du Chatt-El-Arab,où la ligne du Thalweg a été reconnue comme la ligne de frontière fluviale entre les deux pays. A ces discours, il faut ajouter un évènement international qui marqua durablement l'économie mondiale. Il s'agit du premier choc pétrolier de 1973, survenu à la suite de la guerre du Kippour. Ainsi, le 16 et 17 octobre 1973, les pays arabes membres de l'OPEP réunis au Koweït annoncèrent un embargo sur les livraisons de pétrole contre les États qui soutenaient Israël ainsi qu'une réduction de la production de 25%. En quelques semaines, le prix du baril est multiplié par quatre. L'Algérie joua un rôle clé pour inverser le rapport des forces entre les pays producteurs et les pays industrialisés42. Que reste-t-il de la révolution de Boumediène ? Avant de répondre directement à la question, il convient de ne pas oublier tous les hommes et toutes les femmes qui participèrent au gouvernement de l'Algérie sous Boumediène. Le président, comme tous les chefs d'Etat, était entouré d'une équipe dirigeante et de conseillers. Au cours de l'entretien qui s'est déroulé entre Paul Balta et Mohamed Chafik Mesbah, paru dans Le Soir d'Algérie du 04 janvier 2007, Paul Balta expliqua l'organisation du pouvoir autour de Boumediène, articulée autour de trois cercles43. A l'évidence, chercher à identifier l'héritage de Boumediène comporte le risque de provoquer la polémique, ce qui serait en contradiction totale avec l'esprit même de ce travail. L'analyse objective exige de rappeler tout d'abord que tout jugement sur le passé reste l'appréciation d'une personne, vivant dans une époque différente. On pourrait alors transformer la question en cherchant à comprendre s'il était possible à Boumediène de faire autrement. Mais glisser la question du legs vers une question d'alternative suppose l'échec. Or, même si échec il y a, il est relatif et ne concerne pas tous les domaines au même degré. C'est la raison pour laquelle, il est inutile de chercher à évaluer point par point la réussite ou l'échec de tel ou tel programme, de quelque nature qu'il soit. Aujourd'hui lorsque l'on cherche à connaître Boumediène à travers internet, par exemple, beaucoup des résultats de la recherche mettent en exergue ses positions de principes inébranlables et son charisme. Le discours nihiliste de certains à l'encontre de l'œuvre de Boumediène ne tient pas face à certaines réalités : le produit intérieur brut (PIB) par habitant augmenta de 360 dollars à 1940 dollars, entre 1970 et 1980. Le taux d'analphabétisme est tombé de 90 % à moins de 50 % de l'indépendance jusqu'au milieu des années 1980. La sécurité est aussi un fait indéniable ayant caractérisé l'Algérie des années 1970. Mais les échecs de la politique de Boumediène ne peuvent faire l'objet de dissimulation. Le premier des échecs, à notre sens, a trait à la révolution agraire. Le constat d'échec de la révolution agraire est unanime et les causes nombreuses : priorisation de l'industrie, faiblesse du rendement des terres redistribuées dans le cadre de la révolution agraire, culture paysanne inadéquate? Cet échec a fait dire à Lazhar Baci : « la Révolution agraire qui fut menée tambour battant a fini par s'empêtrer dans une infinité de problèmes, sans apporter les changements escomptés, à part la nationalisation des terres et l'augmentation de la puissance du monopole de l'Etat. Cet échec a permis de lever le voile sur la crise que couvait le secteur productif é étatique, de façon générale, et le secteur agricole, de façon particulière»44. Le deuxième échec a trait à l'isolement partiel de l'Algérie au plan international, à partir de 1977. Cet isolement que Boumediène reconnaît45 lui-même est sans doute lié au changement de la nature des relations internationales (Alliance de l'Egypte avec les Etats-Unis, dégradation des relations avec quelques pays du Maghreb, plus particulièrement avec le Maroc, et avec quelques pays du Moyen-Orient?), mais aussi à certaines positions immodérées de l'Algérie par rapport à certains dossiers internationaux. D'ailleurs certaines de ces positions prirent l'allure d'agressivité, au fil du temps46. L'échec provient également de la contestation du rythme effréné de certaines réformes, notamment celle de l'éducation. Elle a eu pour conséquence la révision de quelques axes centraux de la révolution culturelle, par exemple47. Boumediène était sans doute un homme aux convictions sincères qui tenait à donner l'exemple par sa probité et son intégrité. Les exemples de son intégrité sont nombreux : Montant dérisoire retrouvé dans son compte bancaire lors de son décès, refus d'exempter son frère cadet du service national, même après l'intervention de sa mère? Certes, l'habit ne fait pas le moine, comme la probité ne fait pas le président, mais en ces temps où cette qualité devient rare, l'homme politique intègre est considérablement populaire et estimé. Au-delà de l'échec relatif du programme de Boumediène dans divers domaines (économie, politique, diplomatie), c'est à notre avis l'effacement des grandes figures de la guerre de libération de l'histoire de l'Algérie48 et l'absence d'une approche pragmatique, notamment en matière diplomatique qui firent le plus défaut à Boumediène. Le statut de Boumediène aurait été d'une autre envergure, s'il avait tenté de concilier les Algériens avec leur histoire et s'il avait tenu compte, quelques fois, de l'intérêt de l'Algérie en premier lieu. Sans doute, la mort prématurée l'empêcha de réviser son action en tant que chef d'Etat. Beaucoup de témoignages font part de propos tenus par Boumediène, quelques mois avant son décès, confirmant son projet réformiste49. Quelle profondeur allait-il donner à sa réforme ? Seul lui le savait. * Cadre universitaire Dates clés : 23 août 1932 : Naissance à Ain Hassainia, Guelma 08 mai 1945 : Prise de conscience de la nécessité de la lutte contre la France 1951: Départ vers l'Egypte 1955: Retour par bateau vers les frontières algéro-marocaines 1959/1960: Chef d'état-major de l'ALN 1962: Ministre de la Défense 19 juin 1965: Président du Conseil de la Révolution 15 décembre 1967: Coup d'Etat de Tahar ZBIRI 25 avril 1968: Tentative d'assassinat 1973-1976: Secrétaire général du mouvement des non-alignés 10 décembre 1976: Election président de la République 27 décembre 1978: Décès à l'hôpital Mustapha, Alger Notes : 32- Lien de la vidéo : https://www.youtube .com/watch?v=s18dzfonEAQ 33- Discours accessible en utilisant le lien : https://www.youtube.com/watch?v=IMxv QV8_3Jg 34- Discours accessible via le lien : https://www.youtube.com/watch?v=qKChlC3VJ5A 35- Dite en arabe, cette expression a plus de tonalité : 36- Lien de la vidéo : https://www.youtube. com/watch?v=jAfculVczr8 37- Pour s'en convaincre, il suffit d'écouter l'historicité de la genèse du conflit telle que décrite par Boumediène au cours du discours dont le lien est : https://www.youtube.com/watch?v=rkHTfBNVlwQ 38- Vidéo accessible en utilisant le lien : https://www.dailymotion.com/video/x3qgekz 39- Même vidéo que la précédente. 40- Sur le rôle d'Alger, voir le documentaire : Alger, Mecque des révolutionnaires, accessible à travers le lien https://www.youtube. com/watch?v=pl-kqS1AHmQ 41- Il s'agit d'un discours qui a valu beaucoup de critiques au président. Lien : http://www.revues-plurielles.org/_uploads/pdf/9_11_14.pdf 42- Au sujet du rôle de l'Algérie, lire l'article du monde diplomatique. Lien : https://www.monde-diplomatique.fr/1982/11/CHABBI/37049 43- Entretien accessible via le lien : https://www.dzairnews.com/articles/lesoir-l-entretien-du-mois-autour-de-la-personnalite-de-houari-boumediene 44- Cité par Ziad Abdelhadi. Source : https://www.djazairess.com/fr/latribune/69647 45- Le discours prononcé par Boumediène en 1977 au sujet d'une campagne internationale de déstabilisation de l'Algérie est accessible via le lien : https://www.youtube.com/watch?v=55Uza2mzCuI 46- Boumediène prononça des anathèmes contre certaines personnalités étrangères, même chefs d'Etat. Cette attitude lui valut beaucoup d'inimitié. 47- A cet égard, Mostefa LACHERAF, partisan du bilinguisme est nommé ministre de l'éducation nationale en 1977. 48- Au cours de l'émission d'El Djazira précédemment citée, Ahmed Taleb El Ibrahimi raconta avoir posé la question à Boumediène, lors de son séjour hospitalier à Moscou en 1978, au sujet de l'assassinat De Krim Belkacem et de Mohamed Khider. Le président se contenta de lui répondre par la cinglante phrase : « Il s'agissait de règlement de comptes ». 49- Parmi ces témoignages, on peut citer Mahieddine Amimour. Lien : https://www.youtube.com/watch?v=ziQUrt9Ka08, mais aussi Ahmed Taleb El Ibrahimi dans l'émission citée plus haut. |