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La mise en œuvre des textes de
loi donna naissance aux nombreuses sociétés nationales au cours des années 1970: Sonatrach, Sonelgaz, SNS, Sonitex, Sonarem ?
D'ailleurs certaines de ces sociétés, comme Sonatrach16, constituent encore la cheville ouvrière de l'économie algérienne. Les vagues de nationalisation furent suivies de la triple révolution: la révolution industrielle, la révolution agraire et la révolution culturelle17. La révolution économique avait pour fondement théorique les industries industrialisantes, dont l'objectif était de rattraper rapidement le retard pris en matière de développement18. L'industrie était alors perçue comme le levier permettant l'accès rapide à la modernité. La révolution agraire, qui dura dix ans de 1972 à 1982 est, quant à elle, menée en trois phases : la première consista à reprendre et à redistribuer les terres, la deuxième à nationaliser les terres des propriétaires absents et la troisième à l'endiguement du surpâturage dans la steppe19. La révolution culturelle, enfin, devait permettre à l'Algérie de recouvrer son identité authentique. C'est dans la charte de 1976 que cette révolution fut le plus explicite. Elle fixa les objectifs de la révolution culturelle. Parmi ces objectifs, figurait l'affirmation de l'identité nationale, l'élévation du niveau de l'instruction et de la compétence technique de la nation et l'adoption d'un style de vie en harmonie avec la morale islamique. A cette triple révolution s'ajoutèrent quelques projets d'envergure nationale. Nous en avons choisi les plus emblématiques et les plus populaires. Le barrage vert : C'est sous l'ère Boumediène que celui-ci a connu sa phase la plus dynamique. Il s'agissait d'un barrage agroécologique dont l'objectif était de freiner l'avancée du désert. La transsaharienne : Le projet de la transaharienne est une route reliant Alger à Lagos. Le début de sa construction remonte au temps de Boumediène. Elle avait pour objectif de désenclaver les zones déshéritées et de promouvoir les échanges entre le nord et le sud du Sahara. La médecine gratuite : Elle fut instituée par ordonnance N° 73-05 du 28 décembre 1973. C'est une politique de santé publique visant l'accès gratuit de tous aux soins. L'électrification rurale : Ce fut un chantier initié au milieu des années 1970, en vue de fournir l'énergie électrique à l'ensemble des foyers algériens. Cette politique énergétique permit à l'Algérie d'atteindre un taux d'électrification de 99%. Les souks el Fellah : Ils devaient répondre à la nécessité de créer un grand circuit de distribution à travers le pays (2500 unités), pour encourager la production nationale, agricole en particulier, dans le sillage de la révolution agraire lancée en 1971. Ils furent par ailleurs un moyen de contrôle par l'Etat des prix de la consommation, pour maintenir le pouvoir d'achat. Mais de ces réalisations, les villages socialistes restent le projet qui, à notre sens, illustre le mieux la vision de Boumediène du socialisme au sens économique et sa traduction en programme concret. Le projet des mille villages socialistes, indissociable de la réforme agraire, était basé sur l'idée que la population rurale, qui a constitué la base arrière de la guerre de libération, devait tirer profit des bienfaits de l'indépendance au même titre que les citadins. A cet égard, les villages socialistes constituaient un défi à la colonisation et aux mille villages de l'avenir lancés par la France en 1959. Ils devaient servir également à résorber l'exode rural. Concrètement, il s'agissait du regroupement de population rurale environnante dans une zone géographique munie d'équipements (logement, école...). La révolution au sens économique impliquait donc, selon Boumediène, le déploiement d'une stratégie permettant au peuple entier de tirer profit, de manière égale, des progrès du développement. Seul l'Etat pouvait porter sa stratégie. Finalement, c'est plus à l'action qu'à la théorie que l'on peut saisir la dimension révolutionnaire du système économique voulu par Boumediène. 2) SUR LE PLAN INSTITUTIONNEL Dans son édition d'avril-mai 2006, Le Monde Diplomatique qualifia Boumediène de bâtisseur de l'Etat algérien20. De même, La chaîne El Djazira consacra un documentaire sous le titre évocateur d' « un révolté bâtissant un Etat21 ». Si Boumediène est considéré comme un bâtisseur de l'Etat, c'est qu'il avait nécessairement sa conception de ce que doit être l'Etat. Cette conception est clairement exprimée après le coup d'Etat du 19 juin 1965, à travers la proclamation du Conseil de la Révolution22. Boumediène affirmait dans la proclamation: « Un Conseil de la Révolution a été créé. Il a pris toutes les dispositions pour assurer dans l'ordre et la sécurité le fonctionnement des institutions en place et la bonne marche des affaires publiques. Par ailleurs, il s'attachera à réunir les conditions pour l'institution d'un Etat démocratique sérieux, régi par des lois et basé sur une morale, un Etat qui saura survivre aux gouvernements et aux hommes. Les institutions du parti et de l'Etat fonctionnent dans l'harmonie et les limites de leurs attributions respectives, et ce dans le strict respect de la légalité révolutionnaire 23 ». L'ex-chef d'Etat affirmait que : « Il nous faut construire un Etat qui a déjà sa morale révolutionnaire, un Etat fondé sur un engagement social réel dans le respect de nos valeurs nationales, il nous faut édifier un Etat capable d'assurer l'ordre et la discipline. Un Etat fort qui défend les droits du peuple et jouissant du respect de tous. Il nous faut un appareil administratif constituant une véritable charpente de l'Etat soumis à la seule autorité des lois dans le respect de nos options fondamentales d'où seront bannis l'irresponsabilité, le laisser aller et certaines mœurs politiques »24. En somme, pérennité, autorité et stabilité sont les caractéristiques de l'Etat, selon Boumediène. C'est d'ailleurs l'idée que soutient Ali Mebroukine par exemple, dans sa contribution publiée par le quotidien El Watan25, au mois de juin 2015. Alors que Boumediène mit l'accent sur le rôle fondamental de l'Etat dès la proclamation du 19 juin 1965, la mise en place d'institutions appuyant cette déclaration fut relativement longue. Ceci signifie que pour Boumediène la première étape devant présider à l'édification de l'Etat est d'abord la mise en place d'un système économique au service du développement. Le rôle des institutions politiques, notamment celles dévolues à la séparation des pouvoirs, devait servir à la consolidation, ultime étape, de l'Etat ainsi bâti. C'est donc en 1976, soit onze années après la prise du pouvoir que deux textes fondamentaux régissant l'organisation de l'Etat et fondant les institutions politiques furent adoptés. Le premier texte était la charte nationale. Elle fut adoptée le 19 juin 1976, puis approuvée le 27 juin. Elle définissait longuement la fonction et le rôle de l'Etat. Dans le texte26, on peut y lire que l'Etat devait être en premier lieu socialiste, c'est-à-dire qu'il devait garantir la propriété collective des moyens de production. Il devait être, en second lieu, démocratique, c'est-à-dire que l'Etat devait être l'instrument des masses populaires pour assurer la réalisation de leurs aspirations. L'Etat devait par ailleurs libérer le citoyen de toute forme d'exploitation de l'homme par l'homme. L'Etat devait également assumer la fonction de contrôle, et ce, afin de vérifier si l'exercice de la responsabilité est conforme aux orientations générales du pays. L'Etat devait être enfin à la fois unitaire et décentralisé. Le deuxième texte fut la Constitution, adoptée le 19 novembre 1976 et promulguée le 22 novembre 1976. Elle instaura un régime nettement présidentiel, et ce, dans le cadre d'un parti unique, le Front de libération nationale (FLN). Le pouvoir exécutif fut confié au président de la République et le législatif à l'Assemblée nationale populaire (APN). La Constitution permettait par ailleurs au président de consulter le peuple par référendum, sur toute question jugée importante. Elle conférait à l'Etat le caractère socialiste et démocratique, qui devait assurer l'égalité de tous les citoyens en supprimant les obstacles d'ordre économique, social et culturel. L'article 25 de la Constitution précisait que «La souveraineté de l'Etat algérien s'exerce sur la totalité de son espace terrestre, de son espace aérien et de ses eaux territoriales. Elle s'exerce également sur les ressources de toutes natures situées sur ou dans son plateau continental et sa zone économique exclusive»27. Mais comment peut-on diriger un pays aussi longtemps sans institutions ? Car faut-il le rappeler, il n'y avait avant 1976 ni pouvoir législatif, ni pouvoir exécutif, ni même de président de la République, le coup d'Etat du 19 juin 1965 ayant entraîné la suspension de la Constitution, alors en vigueur. La stratégie poursuivie par Boumediène pour faire face au vide institutionnel fut la création, immédiatement après le coup d'Etat, du Conseil de la Révolution, dont la présidence fut assurée par lui-même. Le conseil a été institué par l'ordonnance du 10 juillet 1965, pour combler le vide institutionnel. A cet effet, le conseil devint le dépositaire de l'autorité souveraine de l'État. Constitué de 26 membres lors de sa création28, le Conseil de la Révolution fut dissous en décembre 1976. Mais c'est dans la proclamation du 19 juin 1965 que les fonctions du conseil sont les plus explicites. Jusqu'à l'adoption de la Constitution de 1976, le Conseil de la Révolution demeura le seul organe incarnant la légitimité et la souveraineté de l'Etat. Mais si l'autorité de l'Etat était incarnée par le seul Conseil de la Révolution, ses démembrements connurent un nouveau souffle, après l'accès de Boumediène au pouvoir. C'est ainsi que le code communal portant organisation de la commune fut promulgué par l'ordonnance n° 67-24 du 18 janvier 1967. Le code de la wilaya, fixant les règles d'organisation et de fonctionnement de la wilaya, fut également promulgué par l'ordonnance n° 69-38 du 23 mai 1969. Cette ordonnance sera modifiée en 1974, portant le nombre de wilayas de 15 à 31. Sans pouvoir législatif séparé des autres pouvoirs depuis le coup d'Etat de 1965, l'assemblée nationale populaire est mise en place en mars 1977. L'article 129 de la Constitution de 1976 stipulait que « La fonction législative est exercée par une assemblée unique dénommée Assemblée populaire nationale. L'Assemblée populaire nationale détient, dans le cadre de ses prérogatives, le pouvoir de légiférer souverainement. Elle élabore et vote la loi ». Les élections législatives ont eu lieu en février 1977. Seul le Front de libération nationale proposa des candidats. Le nombre de candidats était de 3 par siège et les électeurs furent invités à les départager. Le nombre de députés issus de la Consultation fut de 273 députés29. Quant au pouvoir exécutif, il fut conféré à Boumediène, en sa qualité de président du Conseil de la Révolution. Boumediène était par ailleurs ministre de la défense. Le nombre de gouvernements sous Boumediène fut de quatre30. On ne peut évoquer la question des institutions sous l'ère Boumediène, en faisant l'impasse sur l'institution militaire. Boumediène participa amplement à l'édification de l'Armée de libération nationale, puis de l'armée nationale populaire, et ce, en sa qualité de chef d'état-major avant l'indépendance, puis de ministre de la Défense sous différents gouvernements. En tant que chef d'état-major, Boumediène instaura la discipline et favorisa l'instruction. Il s'exerça également à renforcer les effectifs de l'armée des frontières et à former ce qui deviendra les bataillons. Après l'indépendance, Boumediène, alors ministre de la Défense nationale, conféra à l'armée, en plus de ses missions fondamentales, un rôle dans l'édification et le développement national, et ce, en permettant à nombre de ses membres d'intégrer l'activité civile (administration et parti). Dans le cadre de l'édification et de la construction du pays nouvellement indépendant, Boumediène fixa plusieurs objectifs à l'armée, notamment la mise sur pied de la logistique, la structuration et la création de directions. Sur le site du ministère de la Défense nationale, on peut lire : « Le premier objectif était de mettre sur pied une organisation logistique permettant de subvenir aux besoins de l'armée qu'il fallait structurer, nourrir, habiller, soigner et former. Ainsi les directions de l'Intendance, du Matériel, du Génie et de la Santé, du Transport et de l'Approvisionnement furent les premières à voir le jour. Ces directions, auxquelles vinrent rapidement se joindre celles du Personnel, de l'Armée de l'Air, de la Marine et de l'Instruction, au niveau du ministère, allaient constituer l'ossature de l'Armée Nationale Populaire. Les bases de la structure générale de l'armée seront consolidées avec la création des principales directions, la mise sur pied d'une organisation efficace, l'ouverture d'écoles et de centres d'instructions et l'envoi à l'étranger de stagiaires destinés aux différents armes et services »31. A ces réalisations, il faut ajouter l'institution du service national obligatoire en 1968. Eu égard à la durée pendant laquelle il a présidé à la destinée de l'institution, Boumediène a sans doute tracé un sillon indélébile au sein de l'armée algérienne. Sans doute, cette dynamique de transformation permit à l'armée nationale, après l'indépendance, de mieux affronter les évènements les plus marquants sur le plan militaire. A ce titre, Boumediène en sa qualité de premier responsable de l'armée nationale populaire eut à mener la guerre des sables et à participer aux deux guerres israélo-arabes de 1967 et 1973. Contrairement à l'économie, le discours, c'est-à-dire la théorie, l'emporta sur l'action en matière de politique intérieure. Le vide institutionnel de longue durée caractéristique de l'époque de Boumediène montre que celui-ci considérait que la révolution était d'abord une question d'économie. A suivre... *Cadre universitaire Notes : 16- Créée le 31 décembre 1963, les activités de Sonatrach prennent une autre dynamique après 1971, année de la nationalisation des hydrocarbures. 17- Sur la triple révolution, lire l'article de Paul Balta accessible via le lien : https://www. monde-diplomatique.fr/1982/11/BALTA/37021 18- Sur la théorie des industries industrialisantes, voir l'article de Julien Rocherieux accessible en utilisant le lien : https://www.cairn. info/revue-sud-nord-2001-1-page-27.htm 19- Sur la révolution agraire, lire l'article de Philippe Adair : https://www.persee.fr/doc/tiers_0040-7356_1983_num_24_93_4265 20- Article accessible via le lien : https://www. monde-diplomatique.fr/mav/86/A/52525 21- Le titre original est : lien de la vidéo accessible : https://www. youtube.com/watch?v= xJ59vxjW7Nk 22- Déclaration accessible en utilisant le lien : https://www.monde-diplomatique.fr/1965/10/BOUMEDIENE/26873 23- Déclaration accessible via le lien : https://www.youtube.com/watch?v=VG9OYVTr QUc 24- Cité par BENALLAL Mohamed : http://www.alterinfo.net/La-pensee-de-H-Boumediene-issue-de-ses-discours_a119793.html 25- Article consultable en utilisant le lien : https://www.elwatan.com/edition/actualite/il-y-a-50-ans-houari-boumediene-instaurait-lautorite-de-letat-18-06-2015 26- La charte nationale est accessible en utilisant le lien : https://www.joradp.dz/HFR/Index.htm 27- Document accessible via le lien : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/constitutions/constitution1976.htm 28- Le nombre des membres du conseil de la révolution n'a cessé de diminuer au fil du nombre, jusqu'a atteindre 8 avant sa dissolution. 29- Pour consulter la liste des candidats, utiliser le lien : http://www.apn.dz/fr/les-membres/ancienne-legislature/liste-des-deputes-de-l-apn-1977-1982 30- Sur la composante de chacun des gouvernements, consulter le lien : https:// fr.wikipedia .org/wiki/Liste_des_gouvernements _alg%C3%A9riens 31- Lien : https://www.mdn.dz/site_principal/index.php?L=fr#undefined |