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La
connaissance en général, ou la pseudo-connaissance (étant bien entendu que
cette expression implique une approche très superficielle ou même fausse à la
connaissance réelle ou profonde de phénomènes physiques et humains), des
choses, des êtres, des entités-concrètes ou métaphysiques-, les études sur ces
prénommés, les élucubrations de toutes sortes sur ceux-ci ou celles-ci, les
multiples expériences dites scientifiques sur le perçu humain et leurs
prolongements théoriques (et les inévitables spéculations peu ou prou
outrancières sur ces savoirs), tous ces efforts inlassables dans la conquête du
savoir sur la vie, sur nous-mêmes et le monde qui nous entoure sont-ils assez
suffisants pour étancher la soif de connaissance chez l'homme ?
Cette tendance inhérente à la nature humaine, et donc une propension inéluctable de cette espèce unique (pour des raisons qui seraient longues à expliquer, mais que, pour l'heure, on pourrait schématiquement se contenter de les résumer en termes de ?langage´, ?d'intelligence´ supérieure propre à l'espèce, et de hasards de l'expérience source de réflexion exprimée dans un langage codé) à découvrir et à connaître est enracinée dans le Faust de Goethe, où il est question d'action pour percer la compréhension du monde qui entoure l'homme, de s'efforcer («streben» en allemand qui veut dire essentiellement ?effort´, ?aspiration´, élan spiritual d'une âme) et d'agir ensuite pour une toujours meilleure compréhension de ce monde où l'on vit et où l'on croît. C'est précisément au tout début du Faust I, «Prologue dans le ciel», où le Seigneur, pour inciter l'homme à l'action, a finalement laissé Méphistophélès (ceci faisant partie du plan divin) s'occuper, à travers ses diableries, de Faust pendant un temps (sachant que Faust restera toujours son serviteur en dépit des confusions créées par le Diable, et qui le conduira «à la clarté», et donc à faire du bien) : « [........................ ] L'activité de l'homme peut trop aisément se relâcher, iI aime céder au repos sans limites ; c'est pourquoi je lui donne volontiers le compagnon qui stimule, opère et doit agir en diable. Mais vous, les vrais enfants du ciel, [Il s'adresse ici aux vrais anges, par opposition aux anges déchus dont fait partie Méphistophélès]. Réjouissez-vous de l'opulente beauté de la vie ! Que le devenir, qui vit et opère éternellement, vous retienne dans les douces lisières de l'amour, et toutes les images qui flottent devant vous, hésitantes, sachez les affermir dans vos pensées durables » («Faust : Urfaust, Faust I, Faust II», édition établie par Jean Lacoste et Jaques Le Rider1. Edition Bartillat, 2014, PP.200-201) Méphistophélès, qui incarne tout ce qui est négatif, ou «l'esprit qui toujours nie» (Faust I, Ibid. «Cabinet d'étude I, vers 1338), peut, terrible ironie pour ce représentant du mal absolu, avoir une valeur positive, parce que sans lui l'homme ne remplirait aucunement sa mission terrestre. Pour .J. F.Angeloz2, excellent germaniste de la première moitié du 20ème siècle, «Mephisto est à l'origine de cet effort incessant qui est le propre de l'homme et fait sa grandeur.» (J-F-Angeloz, ´Goethe`, Mercure de France, 1949, P.345). La figure mythique de Faust qui, pour la pensée moderne, représente à son plus haut point la passion de la connaissance, symbolise historiquement le savant humaniste de la Renaissance qui incarne l'audace au cœur même de cette recherche insatiable du savoir quel qu'il soit, sans crainte ou la peur réelle d'être poursuivi pour hérésie, ce qui signifie une mort certaine, par des prédicateurs et fanatiques religieux, emblématiques de l'époque (c'est à-dire le 16ème siècle), et la transgression des lois biologiques (le désir insensé de jeunesse après la vieillesse) et des lois humaines (passer outre les limites des autorités, quelles soient religieuses ou séculaires). Mais ce qui prédomine cette audace et cette transgression, exceptionnelles pour l'époque, ce sont ces errances et ces erreurs, ces errements («L'homme erre aussi longtemps qu'il cherche», in `Prologue dans le ciel´, Faust I, ibid, vers 317, P.199) de l'homme à la recherche de la lumière, l'homme qui s'efforce (streben) peut atteindre un jour le chemin qui va le mener immanquablement vers la véritable connaissance, mais en passant par des détours, des erreurs, des hésitations, des méditations? C'est «Le cours erratique de la vie dans son labyrinthe» (vers 14, `Dédicace´ de Faust I, ibid, P.187). L'homme Faust finira, dans la 2ème partie de la tragédie, par être sauvé par les anges («celui qui dans son constant effort, n'épargne pas sa peine, celui-là nous pouvons le sauver». Faust II, Acte V, vers 11936-37, page 769). C'est en définitive la part immortelle du héros de Goethe. L'une des meilleures présentations contemporaines de la tragédie de Faust est, sans conteste, celle de Jean Lacoste et Jacques Le Rider (Faust : Urfaust, Faust I, Faust II. Edition Bartillat, 2014). C'est une édition complète, avec une première version de la tragédie : ?Urfaust´, écrite dés 1775, mais laissée dans les tiroirs du grand poète, et découverte longtemps après la mort de Goethe dans les papiers (vraisemblablement une copie) d'une dame de compagnie de la cour de Weimar, Luise Von Göchhausen, puis traduite en français, et dont c'est la première édition dans le livre des auteurs précités. Les longues introductions, avec un appareil critique très fouillé, et qui témoignent de longues et patientes années d'études de l'œuvre majeure de Goethe, font de cette édition un précieux trésor pour tous les amoureux des écrits du grand écrivain, du poète et de l'homme de science qu'est Johann Wolfgang Von Goethe (1749-1832). Cependant, sur le plan historique la plupart des études et biographies (A. Dabezies3, Jean Lacoste et Jaques Le Rider1, E. Brisson4, et bien d'autres) sur le personnage principal qui est la source de ce mythe multicentenaire donnent une information très approximative quant à sa naissance et ses occupations réelles. Tous ces auteurs sans exception, rapportent conventionnellement sa date de naissance à 1480, à Roda, petite ville de Thuringe, entre Weimar et Gera, ou à Knittlingen, dans le Wurtemberg, et le présentent essentiellement comme charlatan, astrologue, magicien, nécromant... Et pour faire un peu vrai, pour en quelque sorte compenser ou atténuer un peu cette noirceur (fabriquée de toute pièce par des théologiens effrayés par l'impiété et l'audace dans la recherche forcenée dans tous les domaines du savoir, de l'homme Faust) du personnage, on le présente d'abord comme un brillant théologien (docteur en théologie peut-être en même temps, peut-être après Martin Luther) qui a fait aussi de la médecine (le côté Paracelse de Faust), des études de l'Antiquité (ancienne et tardive), a lu Dante et Marsile Ficin. Bien avant la légende sulfureuse, d'inspiration luthérienne, de Johann Spies5 (1587), les théologiens de l'Allemagne et d'ailleurs avaient tout intérêt à noircir le personnage, en inventant toutes sortes de mensonges, y compris sa date de naissance, et à le diaboliser à l'extrême6 (voir mon article dans Le Quotidien d'Oran du 25 aout 2014). Le vrai Faust ne s'appelle pas Georg Johannes Faustus, mais plutôt Georgius Helmstetter, né à Helmstadt, petit village en Basse-Saxe allemande, le 23 avril 1466, et qui a pris le nom de Georgius Sabellicus Faustus Junior, ou tout simplement Docteur Faust, pour rendre hommage à des savants Italiens du 15èmesiècle (Marcus Antonius Sabellicus, 1436-1503 ; et Publius Faustus Andrelinus, 1462-1518). Les commentaires de Jean Lacoste et de Jacques Le Rider sont vraiment admirables, autant sur le plan érudit que sur le plan écriture. Ce sont les deux meilleurs introducteurs contemporains à la tragédie de Faust ; néanmoins ces deux grands érudits ont ignoré des textes écrits par d'autres historiens (en Grande-Bretagne, spécialement) qui ont apporté des informations précieuses basées sur des écrits (qui vont du 16ème siècle au 20ème siècle), rarement consultés, et qui jettent un éclairage nouveau sur le personnage historique qui est à l'origine du mythe de Faust (voir Leo Ruickbie7, «Faustus : The Life and Times of a Renaissance Magician», The History Press, Great Britain, 2009). Les spécialistes, qu'ils soient de l'histoire littéraire, ou de la philosophie, se sont, hélas ! contentés de pseudo-histoires, de relations, témoignages qui n'ont jamais été vérifiés, témoignages donc et autres écrits douteux parce que le plus souvent sous l'influence de la gente religieuse (cela est un point capital), une espèce de confrérie religieuse qui reproduit les dires des hautes autorités de l'Eglise réformée ou du protestantisme en général. Les prêtres et pasteurs de la Reforme ont une ligne directrice qui est d'exclure toute tentative de réflexion ou de pensée mettant en danger les préceptes du dogme chrétien. C'est le cas de Faust, de Paracelse qui ont été pressentis comme un véritable danger pour la continuité du dogme. Ces derniers représentent les prémices d'une pensée libre, miraculeusement libre si l'on considère le climat intellectuel de l'époque, des contraintes de la religion et conséquemment de l'Inquisition qui a terriblement sévi pendant de longs siècles à travers plusieurs pays européens, et qui a fini par condamner et donc à éliminer toute pensée scientifique issue des découvertes, lesquelles ne disent que ce qu'elles ont à dire aux yeux d'observateurs dévoués à leurs recherches qui n'ont pas été décidées dans des officines religieuses, mais tout simplement le fruit de patientes études de phénomènes observables par des chercheurs totalement voués à la connaissance scientifique, de planification (même pour l'époque !) d'une construction procédurale, d'une description et une interprétation des résultats obtenus, savamment construites et reliées à d'autres découvertes dans le domaine des toutes premières sciences dites expérimentales. Faust et Paracelse sont les toutes premières projections de l'homme moderne, lequel est condamné à de plus en plus de connaissances, suivant même le concept d'évolution qui est une trajectoire infinie de transformations de tout ce qui est forme, fonction, perfectionnement, perpétuellement en action et s'adaptant à un environnement physique et humain en constant changement. C'est le destin de tout être humain en quête infinie d'éclaircissement (c'est-à-dire d'un besoin de compréhension des phénomènes physiques et vitaux ; terme qui présuppose aussi une évolution du phénomène vie et de son excroissance multiple et des millions de fois complexe). Ce n'est pas un casse-tête comme l'aurait dit une expression d'au jour le jour, mais un immense défi qui est à la source même de l'existence du mystère de la vie, laquelle est la plus grande des énigmes de l'existence même de l'univers (ou des univers, ou des univers d'univers ! Pour parler un peu le langage de l'astrophysique contemporaine). L'autre versant de la passion de la connaissance est la passion de l'existence, la joie et le bonheur d'exister. Goethe avait un don exceptionnel de comprendre la vie véritable, c'est-à-dire la vie réellement vécue, celle qu'il faut vivre pleinement. Peu importe les méandres du destin (mourir à un moment où à un autre), l'essentiel c'est de savoir vivre ces instants extraordinairement uniques, parce que pleinement sentis, voulus, désirés, rêvés, dans une vie d'humains condamnés à dépérir et à disparaître un jour ou l'autre. Ces instants sont, on ne peut dire autrement, d'éternité. Cela rejoint, d'une manière ou d'une autre, les philosophies épicurienne et stoïcienne ! Ces deux sagesses antiques qui apparemment s'opposent (une éthique des plaisirs nécessaires de la vie pour l'une, et une fermeté devant les vicissitudes de la vie pour l'autre) mais qui dans le fond se rejoignent dans le sens essentiel de la perception de la vie : il faut un temps pour vivre et un temps pour réfléchir sur sa condition d'être. Accepter sa condition douloureuse d'être qui ne peut que lutter pour survivre (donc des souffrances en vue), mais aussi sa chance de pouvoir jouir de la vie, et la vivre ainsi intensément, entièrement, naturellement. Pierre Hadot8, grand spécialiste de la philosophie antique, mais aussi grand lecteur de Goethe, a dans un livre testament («N'oublie pas de vivre : Goethe et la tradition des exercices spirituels» Albin Michel, 2008) merveilleusement mis en exergue l'amour de la vie et le bonheur dans l'instant vécu chez cet immense maitre allemand en ces termes : « [?] Il faut distinguer, chez Goethe, deux aspects très différents de l'instant : l'instant exceptionnel de bonheur offert par le destin, en quelque sorte, le `clin d'œil´ (Augenblick) du destin, et l'instant, pourrait-on dire, quotidien, auquel l'homme peut et doit donner un sens. L'instant exceptionnel est un moment enivrant, où l'existence s'intensifie, où l'on atteint un sommet comme dans la rencontre amoureuse que vivent Faust et Hélène. Cet instant d'extase inexprimable donne l'impression que le temps s'est arrêté et que l'on accède à l'éternité. A cet instant exceptionnel de bonheur, l'homme peut s'abandonner naïvement, mais il peut aussi prendre conscience de toute sa richesse, de toute sa signification, le vivre intensément, l'intérioriser, s'y engager totalement, l'assumer par un don volontaire de soi-même ». (PP.64-65) Passion de la connaissance, passion de l'existence, c'est un programme total, immense de l'être au monde. Le Faust de Goethe incarne, dans la culture occidentale, une donnée fondamentale de la condition humaine, une figure majeure du mythe des mythes qui se cristallise autour de la «tension indécidable entre aspiration à la connaissance pure et jouissance physique, ou cette oscillation entre la mélancolie du savoir et la confiance en la vie créatrice et débordante» (E. Brisson «Faust : Biographie d'un mythe» Ellipses, 2013, P. 340), et ne cesse d'inspirer ou d'insuffler un vent de créativité chez des auteurs d'horizons divers, des études de plus en plus poussées et critiques du mythe faustien, des pièces théâtrales, des compositions musicales, des scenarios de cinéma. *Universitaire et écrivain Notes : - Jean Lacoste et Jacques Le Rider, «Goethe, Faust : Urfaust, Faust I, Faust II». Editions Bartillat, 2009, 2012, 2014. 798 pages. - J. F. Angeloz, «Goethe», Mercure de France, 1949. 384 pages. - «Faust», Europe, Revue littéraire mensuelle, n°813-814, Janvier-Février 1997. Numéro coordonné par André Dabézies. (171 pages) - Elisabeth Brisson, «Faust : Biographie d'un mythe». Edition Ellipses, 2013. 360 pages. - «Historia Von D. Johann Faust» (l'Histoire du Docteur Johannes Faustus), publiée en 1587 à Francfort- sur-le Main par Johann Spies. - Hacéne Saadi, «Le vrai Faust : confession imaginaire d'un enfant terrible de la Renaissance». Le Quotidien d'Oran, 25 Aout 2014, p-15. Hacéne Saadi, «Savoir et pouvoir : à chacun son Faust», Le Soir d'Algérie, 30 Aout 2014, P.8. - Leo Ruickbie, «Faustus : The life and Times of a Renaissance Magician», The History Press, Great Britain, 2009. 256 pages. - Pierre Hadot, «N'oublie pas de vivre : Goethe et la tradition des exercices spirituelles». Albin Michel, 2008. 286 pages. |