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En butte, depuis
quelques années, à une multitude de syndromes, la JSK renvoie l'image de ce
pachyderme en route vers un destin fatal.
Nul n'ignore le spectre des reliques fossilisées du cimetière des éléphants pour ne- pas frémir même si, au fond, tous les fans de ce mythique club pensent que tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir. Espoir de remettre debout ce qui n'aurait jamais dû s'affaler, espoir d'une résurrection par la fontaine de jouvence, aux lieu et place d'une mortification tombale que certains souhaitent ou lui prédisent. En tout état de cause, la JSK étant à la limite de son « horizon cosmique », la question posée est juste de savoir s'il s'agit de la fin inéluctable d'une étoile ou du caprice d'une dynamique contrainte de s'affaisser, temporairement, par les vicissitudes de l'époque, mais pour mieux rebondir. Même si notre penchant est au légendaire phénix, nul ne saurait prédire l'issue, pour le moment, tant la situation est l'objet de jeux et enjeux aux contours flous, difficilement décryptables, au moins pour les observateurs de l'extérieur. Un brouillamini qui empêche toute grille de lecture saine à même de pronostiquer une suite raisonnable. Sans préjuger de l'avenir du souffrant, tout dépendra de la motivation des «thérapeutes » accourus à son chevet, du diagnostic de la maladie et de la médication qui lui sera administrée. Cette réflexion, loin de toute polémique, n'a d'autre but que celui d'aider, au moins pour ce qui est des «fondamentaux», à éclairer les esprits de ceux qui vont peser sur le destin d'une association sportive légendaire afin de lui redonner son lustre d'antan et la place qui lui revient dans l'imaginaire et la vie de tous ceux qui la portent dans leur cœur. Comprendre son sujet est déjà une partie de la solution dit-on. Pour ce faire, un retour succinct sur l'histoire nous paraît nécessaire. Un illustre personnage a dit que « si l'on ne connaît pas l'histoire on est condamné à la revivre » (1). En le paraphrasant on pourrait reformuler cette sentence en disant que pour mieux construire l'avenir il est nécessaire de connaître le passé. L'histoire de la JSK est un long fleuve qui puise sa source dans les premiers soubresauts du nationalisme algérien, du début du vingtième siècle. Le RCTO « Rapid Club Tizi-Ouzien », créé en mai 1928 en a été la première manifestation. Un Rapid qui a tant dérangé le pouvoir colonial qu'il a tenté, vainement, de le phagocyter, pour, finalement, le pousser à se saborder (radié en décembre 1931) et mettre ainsi fin à une expérience qui risquait de faire tâche d'huile et ombre à l'Olympique de Tizi-Ouzou (OTO), club d'obédience coloniale. Le RCTO dissous, il a fallu attendre l'année 1946, après une tentative avortée, en 1943, et à la faveur de la « décontraction » induite par les évènements sanglants de mai 1945, pour voir, de nouveau, l'initiative de créer une association sportive. Elle fut, cette fois-ci, couronnée de succès et la naissance de la JSK, vécue avec ce bonheur si typique à l'arrivée d'un bébé dans une famille sevrée. La JSK n'est, donc, pas née du néant ou décrétée par quelque administration tutélaire mais de la misère et de la souffrance; elle est la germination d'une volonté de se battre, par la compétition sportive, pour le triomphe des valeurs et idéaux universellement, consacrés : Justice, liberté, dignité. Mais de jubilation, il n'y en eut point. Tenant plus du chemin de croix que d'une sinécure, sa création, son existence, son parcours furent l'objet de surveillance, de suspicion, de harcèlement par l'ordre colonial et ce jusqu'à son retrait, sur ordre du FLN, de toutes compétitions, à partir de mars 1956. Il faut dire que le colon ne s'y était pas trompé car, il eut tôt fait de flairer que pour ces « indigènes» la pratique du Football, en tant que tel, n'était pas le but ultime, mais seulement une ruse de combat, un vecteur propre à véhiculer le message d'une volonté d'exister, en tant que structure organique reconnue, organisée, autonome, porteuse de valeurs autochtones, opposées à la doxa allochtone, répandue par l'idéologie coloniale. Ecole de nationalisme certes mais, surtout, soif immédiate de mettre fin au complexe du colonisé, en traitant d'égal à égal, avec le colon, au moins dans l'enceinte d'un stade où l'adversité peut se muer si nécessaire en animosité sans la crainte du châtiment. Désormais le «Vert Blanc Rouge» s'affichait crânement autant, face au «Jaune et Noir» de l'OTO qu'au «Bleu Blanc Rouge» de l'Etat colonial. Cela fut déjà une victoire en soi. Lorsque la JSK dût, au même titre que toutes les formations musulmanes, se retirer de toutes compétitions, en mars 1956, nombre de ses dirigeants et athlètes rejoignirent les rangs du FLN et de L'ALN et ce jusqu'à l'Indépendance. Nombreux sont ceux tombés au Champ d'honneur. Ce n'est pas ici le lieu pour tous les citer, la liste serait longue, mais en martyr témoin, Oukil Ramdane, pour ne nommer que lui, donna son nom à l'ancien stade Tizi-Ouzou. (2) En 1962, la JSK reprend du service, et c'est tout naturellement qu'elle s'inscrit dans le mouvement sportif national, gravissant tous les échelons jusqu'à atteindre le sommet (première division) en 1969 et raflant, en vingt ans, (1970-1990) l'essentiel des titres de champion d'Algérie et trônant, à diverses reprises, sur le toit de l'Afrique. Décennies durant lesquelles, le corset d'un pouvoir autocentré avait réduit toute expression à une pensée unique, véhiculée par une idéologie unitariste qui ne se souciait guère de l'existence de diversités et particularismes, notamment linguistiques. Particularismes et diversités qui, ailleurs, auraient constitué une richesse mais que le pouvoir Jacobin s'évertuait à combattre comme s'ils constituaient le danger ultime de l'effritement national. La victime toute désignée, la Kabylie, bastion traditionnelle des révolutions et révoltes, de revendication de la berbérité, dut subir dans sa chair les errements bestiaux d'un absolutisme, en panne de projet sociétal. Le sommet de la répression fut atteint en avril 1980(3). Mais bien avant, la même JSK qui eut à s'impliquer dans le combat contre l'ordre colonial, au cours de la décennie cinquante, fut rappelée et propulsée au-devant de la lutte contre la négation, par le pouvoir, de ce qui constitue la quintessence de son âme, contre le rouleau compresseur d'une arabo-islamité ,de plus en plus hégémoniste. En dépit des tentatives piteuses de la réduire, notamment en défigurant son acronyme (4), à chaque rencontre de football, une galerie de dizaines de milliers de supporters, reprend à son compte les slogans revendicatifs de la reconnaissance de l'identité Amazigh, de sa langue, de sa culture. «Anwa wigui d imazighen- qui sont-ils, des Amazigh-», est entonné par des milliers de poitrines, chaque fois que l'équipe pénétrait sur le terrain. Désormais, la doléance identitaire a trouvé un point de fixation (au côté de la chanson engagée) à travers le foot et, la JSK, au sommet de son art, ne se privait pas de répondre, par la gloire de ses titres, à l'honneur qui lui est fait d'être le digne ambassadeur d'une revendication sacralisée. Ainsi, que ce soit durant la période coloniale ou depuis l'avènement de l'indépendance, en plus de soixante-dix ans d'existence, l'histoire de la JSK a été jalonnée d'évènements marquants qui ont constitué, autant de sédiments pour lui forger une personnalité trempées: celle d'une association, hors du commun, née dans la souffrance et dont l'aura surpasse la sphère sportive, proprement, dite. Une personnalité qui a réussi la symbiose entre le sport, la culture et l'identité, qui charrie dans son sillage, à travers son simple sigle, tous les sentiments, propres à susciter les réactions humaines les plus nobles mais aussi les plus controversées: Passion, émotion, amour, fierté, dignité, identité et parfois, hélas, chauvinisme et violence? des constituants d'une relation quasi charnelle entre la JSK et son public dont on trouve l'empreinte dans la parfaite harmonie entre les joueurs, les dirigeants et leur milieu sociétal. C'est ce lien, avant tout, ajouté à la clairvoyance de ses dirigeants, qui a fait sa force et l'a installée au sommet de la hiérarchie jusqu'à être, à ce jour, le club le plus titré d'Algérie, soit 26 titres dont 6 à l'échelle continentale. Tout ceci nous incite à dire que ceux qui, demain, auront à charge de relever le défi de sa renaissance, seraient bien inspirés de se souvenir que toute distorsion de ce lien est une atteinte à l'histoire et sonnerait le glas de leur faillite. Aujourd'hui que le chantier de la berbérité connaît une avancée notable, même s'il demeure encore des zones en devenir, la JSK, au contraire, a suivi un chemin diamétralement opposé, allant ces dernières années, jusqu'à flirter régulièrement avec la relégation. Certains penseront que ces deux itinéraires, en sens inverses, ne sont pas étrangers l'un à l'autre et que le vacillement de la flamme revendicative amazigh n'est pas sans influence sur les résultats médiocres de celle qui en a été son porte flambeau. Raisonnement réducteur? Aurait-elle perdu une partie de son carburant ? Possible ! Peut-être que les problèmes sont aussi ailleurs, et certains laissent perplexe. Lorsque le meilleur joueur (4) d'une équipe fait l'objet d'un homicide, au stade, sans que ce crime ne soit éclairci et que c'est toute la JSK qui en est sanctionnée, on ne peut s'empêcher de s'interroger. Mais pire que les résultats immédiats, c'est la désaffection du public, la chronicité de la décadence et l'absence d'un horizon dégagé qui inquiètent, en plus de la fragilité d'un encadrement qui, une fois renversé, un président recordman dans la durée à son poste, ne donne pas l'impression de s'être préparé à assurer la relève, tenir le gouvernail et surtout trouver les voies et moyens nécessaires pour remettre sur rail un TGV qui a déraillé depuis presque une décennie. Le chantier est énorme et requiert la compétence, l'énergie et la sérénité comme à toute œuvre d'envergure même s'il faut relativiser le retard à rattraper. Nous ne pouvons, en effet, nous empêcher de faire le constat que les piètres résultats techniques de la JSK ne font pas d'elle une équipe, en nette décalage, par rapport au niveau moyen du reste de « l'élite» nationale. Si elle suscite tant de regrets c'est à cause de son passé et sa place dans le microcosme kabyle, si non, tout le football national est à l'agonie et seuls certains médias intéressés, chauvins ou en mal de sensation, continuent à encenser des pantins, payés à prix d'or (plus de 100 fois le SNMG), incapables d'aligner trois passes, plus enclins à s'en prendre à l'arbitre qu'à respecter les règles élémentaires du fair-play. A suivre * Coauteur, avec Kendel Idir, du livre « JSK, 40 ans de Football », édité en 1986 aux éditions ENAP. Ouvrage édité sous le pseudonyme de Naïm Adnane. Note 1.Expression attribuée à Karl Marx (1818-1883) 2. Stade qui fut transformé en caserne et lieu de tortures, durant toute la période de la guerre de Libération nationale. 3. Ce que l'on appellera le «printemps berbère» dont l'étincelle fut l'interdiction d'une conférence de Mouloud Mammeri à l'Université de Tizi-Ouzou. 4. La Jeunesse Sportive de Kabylie devint Jami'e Sari'e Kawkabi pour se transformer en Jeunesse Electronique de Tizi-Ouzou. |