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Enfin, l'Algérie
regarde économiquement vers sa vocation historique et naturelle, l'Afrique.
Il faut reconnaître par la réalité des choses que ce pays, qui a durement et au prix de lourds sacrifices reconquis son indépendance, regarde plus économiquement vers le Nord et son grand ouest que vers le Sud qu'il a semble-t-il longtemps ignoré, occulté, et peut-être même dédaigné ; mise à part pour ses exigences diplomatiques et les nécessités stratégiques du moment. Où, encore et bien exceptionnellement dans l'euphorie des premières années de son accession triomphale à l'indépendance Merci au FCE et à son jeune président Ali HADDAD, pour cette première et bien salutaire tentative historique programmée du 3 au 6 décembre à Alger. Initiative qui pourrait constituer et augurer d'une nouvelle disposition économique et politique forte qui mettrait à bas d'une part un grand tabou hérité du complexe du colonisé, voué toujours et encore, à respecter l'espace géographique et économique réservé de l'ancienne puissance colonial. D'où, après la décolonisation politique et formelle, demeure et se renforce d'une manière plus insidieuse encore la colonisation mentale, culturelle et même psychiatrique qui oblitère les vues et perspectives du colonisé. Il ne peut y avoir une décolonisation historique et politique entière si elle n'est pas suivie par une décolonisation et émancipation économique et culturelle accomplies. Souvenons-nous des dix premières années postindépendances de l'Algérie et de cette fougue et volonté si communicative à abattre tous les tabous et interdits du colonisateur. Une époque où ce pays et Alger sa capitale furent sanctifiés du terme de Mecque des révolutionnaires où tous les mouvements de libération du monde trouvaient refuge, soutien et solidarité active. Souvenons-nous de cette époque de grand travail de désaliénation coloniale où fut organisé en juillet 1969, alors que Neil Armstrong posait le premier pied de l'Homme sur la lune en le qualifiant de ?'Pas de Géant pour l'Humanité '', le Premier Festival Panafricain qui a su rassembler des foules, des artistes, des chanteurs et des danseurs de tous les pays d'Afrique qui chantaient à l'unisson avec leurs frères afro-américains descendants de l'esclavage et de la traite des noirs. Toute l'Histoire du continent africain s'était re-convoquée dans les rues d'Alger pour exorciser son martyr de l'exploitation coloniale et renaître, enfin, à la vie ! Evénement, souvenons-nous, continental et sûrement planétaire, qui a surpris et pris de court les capitales et métropoles coloniales jusqu'à faire dépêcher sur les lieux une des plus importantes couvertures médiatiques et armée de journalistes. Cela a été le premier et dernier rassemblement culturel et politique de l'Afrique en décolonisation. Car bien qu'étant un rassemblement culturel transnational et surtout africain, cet évènement fut un acte et une véritable bataille politique d'une nature originale et particulièrement révolutionnaire, qui se relève aisément dans le discours inaugural et à travers ces quelques phrases significatives livrées par le chef d'Etat algérien de l'époque, Houari BOUMEDIENNE : ?' Le Festival panafricain n'est pas un divertissement général qui doit nous distraire de nos préoccupations de lutte pour le développement. Il fait partie intégrante d'un immense effort pour notre émancipation. Il fait partie du combat que menons tous en Afrique pour le développement et la libération nationale. Le colonialisme que nous avons tous subi et vécu ajoute à sa domination politique une domination économique et culturelle (?) après s'être attaqué à nos terres, à nos biens, à notre histoire, à nos langues, à nos personnalités, le colonialisme s'est avéré un génocide des âmes''. Aujourd'hui, l'Algérie et l'Afrique ont devant eux un important et vital défi à relever ensemble : soit se rapprocher, se mobiliser et s'engager à exercer leur souveraineté économique, culturelle, et politique par des partenariats sud-sud justes et mutuellement profitables, où à replonger passivement dans le tutorat, assistanat et paternalisme inhibiteurs de leurs anciens maîtres ; comme cela a été le cas depuis les années soixante avec l'avènement des décolonisations décidées unilatéralement et stratégiquement par les officines de recyclage occidentales . Si le monde pour le colonisateur reste la terre entière et ses vastes territoires et possibilités ; pour le colonisé le monde s'arrête net aux frontières de son pays en se poursuivant seulement et d'une manière sublimée aux frontières et territoires sacralisés et inviolables de son ancien maître. Ce Forum et nouveau élan économico-politique d'exercice de la pleine souveraineté interafricaine ne peut être viable et se poursuivre dans les faits que si les Algériens puissent se montrer sincères et justes dans la recherche et construction du partenariat souhaité et la bonne mutualisation des efforts, des chances économiques, et des intérêts en passant outre de vieux réflexes racistes et de ces sentiments de supériorité qu'ils traînent depuis fort longtemps vis-à-vis de leurs concitoyens africains avec qui ils partagent pourtant plusieurs siècles d'une même histoire d'oppression, d'asservissement, de spoliation, de déni civilisationnel et de souveraineté. Depuis plusieurs siècles, l'Afrique semble être ce continent englouti dans la non-souveraineté, tel l'Atlantide dans la mythologie grecque. Ce vieux continent-paradis, pourtant berceau de l'Homosapien et de notre humanité, git, encore à l'aube de ce 21ème siècle, dans une sorte d'espace de terres vacantes, sans souveraineté propre. Cette Afrique et ses riches territoires, partagés entre Etats européens comme un gâteau par la Conférence de Berlin de 1885 (réunissant 14 pays européens, les Etats-Unis d'Amérique et la Russie ; avec aussi, entendez-bien, la Turquie en qualité de membre observateur !), demeure encore en fait la chasse-gardée sinon le terrain d'essai et d'expérimentation de l'Occident et nouvellement des nouvelles puissances économiques, entre autres, asiatiques. C'est encore, de nos jours, un continent sans peuples propriétaires ni de leurs Etats ni de leurs destinées, bien malgré les différents scénarios et conditionnalités des prétendus processus de décolonisation. Alors comment sérieusement et en toute décence morale aborder aujourd'hui la question de souveraineté économique de l'Afrique ; ni celle, toute relative aussi, de son développement ! Les bidonvilles et immenses favélas d'Afrique ne sont que les exutoires et territoires infrahumains investis par les exclus de la terre qui sont partout aujourd'hui pléthore Vestige en ruines des différentes colonisations européennes, l'Afrique, ce continent écartelé de toutes parts et bloqué durablement, est un continent pourtant si riche de ses ressources autant naturelles qu'humaines avec une proportion de jeunesse qui défierait toutes autres statistiques mondiales. Ses structures économiques, sociales et agraires sont aujourd'hui en lambeaux où la sous et malnutrition, l'insécurité, l'indigence, la précarité institutionnelle et sociale, les maladies de la pauvreté et la guerre civile sont latentes et progressent telle une méchante gangrène à tous les organes de ces pays et continent. Et ceci, jusqu'à atteindre les derniers espoirs vivants de ces territoires, sa jeunesse qui aujourd'hui fuit par centaines de milliers en défiant frontières, désert et mers, possédée et drainée inéluctablement par le rêve et malédiction de l'Eldorado européen? Cette hémorragie de forces vives de la jeunesse africaine semble agir sous l'emprise et envoutement de l'image de l'ancien Maître de leur monde originel désincarné jusqu'à sa pétrification fatale constatée çà et là aujourd'hui. Il serait peut-être opportun et certainement utile aujourd'hui de réactualiser, aux conditions de notre époque, les atteintes et mécanismes psychiatriques révélés, puis définis et explicités scientifiquement, il y a un demi-siècle, par le Dr Frantz FANON, pour expliquer ces affolants envoutements et emprises mentales vécus par ces jeunes, pires que n'en ont connu leurs parents vivant alors sous la matraque, joug et présence du colonisateur ! La colonisation ne s'est jamais arrêtée, elle n'a fait que se poursuivre par d'autres voies. Les enjeux des terres accaparées par le colonialisme, peut-être bien avant les revendications de recouvrement de la dignité et souveraineté nationales, furent les éléments les plus essentiels qui ont mené aux révoltes, rebellions puis aux mouvements indépendantistes africains et parfois aux guerres de libération (cas de l'Algérie entre autres !). C'est les affres et misères de la dépossession des terres des multitudes rurales africaines qui a été le point nodal et critique du basculement dans les dispositions et violences révolutionnaires. Pour la paysannerie et couches rurales africaines, la colonisation ne s'est jamais arrêtée, elle n'a fait que se poursuivre par d'autres voies. Plus de deux générations après les indépendances déclarées des pays africains, que sont devenues ces revendications liées à la spoliation plus ou moins légalisée des terres ? Et quel est, aujourd'hui, le statut de ces terres ? Bien grave et préoccupante question, car pour la plupart des cas, ces terres sont encore dans un statut figé, dit transitoire, mais bien définitif, semble-t-il ! L'accès à la terre est fermé aux paysans et ruraux, et cela concerne des millions d'hectares du contentieux colonial en Afrique. Après seulement deux générations postindépendances, les vocations et savoir-faire de ces millions de paysans africains ne sont plus transmis aux enfants de ceux-ci comme par le plus haut passé. La paysannerie ne se renouvelle plus depuis au moins une cinquantaine d'années? Encore quelques décennies et on pourra le regretter en affirmant qu'on avait une paysannerie, des traditions culturales propres, un patrimoine ancestral de ?'faiseurs de miracles'' agro-pastoraux ! Les villes, cités et métropoles du Nord sont les principaux bénéficiaires des spoliations et sacrifices des masses rurales africaines : Les bidonvilles et immenses favélas d'Afrique ne sont que les exutoires et territoires infrahumains investis par les exclus de la terre qui sont partout aujourd'hui pléthore. Qui paiera la facture de ces oppressions multiples qui ont conduit à la démolition des structures sociales rurales et à la perte conséquente des savoir-faire agricoles ancestraux de l'Afrique ? La paysannerie du Nord ou du Sud seulement ? Apparemment oui ! Mais en réalité, toutes les sociétés, nord et sud confondus, paieront, d'une manière ou d'autres, à moyen ou long terme et au prix fort ces injustices et disfonctionnements. N'oublions pas, en effet, que ce sont les sociétés agraires et le monde rural qui ont toujours été les pourvoyeurs en produits alimentaires de toutes les sociétés. Et ce, en produits plus ou moins naturels (entendre biologiques !) et de qualité sanitaire, plutôt, certaine. La destruction des sociétés agraires rurales, quel que soit le territoire du monde où elles se localisent, bénéficie surtout à l'agro-industrie et à son expansion jusqu'à lui permettre d'exercer, comme c'est le cas aujourd'hui, un monopole de fait. Cette agro-industrie structurée le plus souvent en multinationales mondialisées se destine essentiellement à la production de monocultures à haute valeur commerciale et à grande échelle. Cette dernière ne lésine point sur les moyens, méthodes, et une forte mécanisation couplée à une utilisation massive des intrants chimiques pour booster davantage et toujours plus les rendements et par la-même leur rentabilité et dividendes. Il est scientifiquement vérifié aujourd'hui, que ce soit pour les populations du Sud ou celles du Nord, elles sont toutes et indifféremment concernées par les nombreuses atteintes sanitaires en relation avec les nouveaux modes alimentaires en nivellement dans le monde et par la qualité de plus en plus suspecte (OGM, résidus de pesticides et autres intrants chimique issus des monocultures intensives) des produits issus de l'agro-industrie à productions végétales, animales ou, encore, en produits oléagineux (essentiellement extrait du soja OGM, du tournesol transgénique, etc? !). Evoquer la souveraineté alimentaire de l'Afrique semble aujourd'hui presque indécent compte tenu de l'état de dislocation de ses structures socio-agricoles. Comment parler de souveraineté alimentaire, quand le paysan africain n'a plus de vache, ni même de chèvre et qu'il ne tire son lait que de la boîte du commerce ou du sachet de lait reconstitué dont il ignore parfaitement la provenance de la planète, et encore moins la nature et qualité des ingrédients fourragers à l'origine de son extraction? Comment parler de souveraineté alimentaire, quand le consommateur africain se nourrit avec du poulet élevé avec des concentrés d'élevage composés à 95 % de soja et 5 % de maïs OGM, produits par des multinationales spécialisées à des milliers de km et importés par de riches intermédiaires ayant pignon sur rue au pays? Comment parler de souveraineté alimentaire, quand le paysan africain n'a pas connaissance ni culturale, ni culturelle, ni historique avec le soja, dont il méconnaît parfaitement la nature même des graines qu'il n'a jamais observé sinon à l'état concassé? Comment parler de souveraineté alimentaire, quand les agriculteurs africains, leurs savoirs et patrimoines ancestraux ont presque disparu après seulement deux décennies de décolonisation, et qui ont fini de laminer durablement structures agraires et relèves agricoles? Comment parler de souveraineté alimentaire, quand aucune réforme agraire sérieuse et véritable n'ait été pensée et introduite après la décolonisation pour rétablir une justice sociale et économique et restaurer une paysannerie familiale d'autosuffisance vivrière ; et réhabiliter, de même, par un réexamen responsable les multiples monocultures d'exportation à caractère commercial initiées par la colonisation et qui se sont perpétuées bien après et étendues avec leurs corollaires de crise des prix, de dépréciation organisée des termes d'échange économique, de destruction des sols, de spoliation des eaux et, enfin, de destruction de l'agriculture de subsistance et de ses liens sociaux? Deux générations seulement de ?'pseudo-décolonisation'' ont fini de détruire irrémédiablement la relève paysanne de l'Afrique 50 à 60 ans de décolonisation ont bouleversé et fini de démanteler les sociétés rurales africaines, beaucoup plus que ne l'ont fait plusieurs siècles de colonisation auparavant. Les éléments intangibles de cette réalité sont mesurables aujourd'hui : Les anciennes puissances coloniales, encore principales influentes, doivent mesurer l'étendue de leur responsabilité politique et morale dans la destruction de ces sociétés agraires africaines. Car qui sont ces masses de jeunes africains qui s'échouent aujourd'hui entre rives sud et nord méditerranéennes, sinon les enfants même de ces exclus de la terre entassés, sans aucun autre espoir socio-économique, dans les bidonvilles et banlieues dortoirs insalubres? Deux générations seulement de ?'pseudo-décolonisation'' ont fini de détruire irrémédiablement la relève paysanne de l'Afrique ! Et, bien après plusieurs décennies, des multiples essais et expérimentations des infructueux modèles et programmes de développement proposés dans le cadre de la coopération ou de l'aide au développement à vocation internationale (FAO, PNUE, Banque mondiale, etc?) ou bilatérale (développement agro-pastoral, développement intégré, et aujourd'hui co-développement durable, etc..) , l'Afrique se retrouve aujourd'hui dans un état économique, social et agricole plus que précaire qui expose de fait, nombre de ses Etats à une déliquescence institutionnelle et structurelle progressive. L'Afrique, au fait, a-t-elle réellement été décolonisée ? La réalité des faits, l'exercice des pratiques politico-économiques durant plus de 60 ans nous révèlent que les anciennes colonies de ce continent-gâteau n'ont été que ?'socialement'' décolonisées. Car l'Afrique politique et économique continue d'être déterminées par les anciennes métropoles ou leurs prolongements jusqu'à permettre ces dernières années à de nouvelles puissances économiques (Inde, Chine, USA, etc?) de s'y introduire facilement et d'y exercer leur hégémonie commerciale, économique, puis à terme encore, politique. Pour développer demain l'Afrique et son agriculture, quelques pistes semblent essentielles à la concrétisation de cet espoir : Restaurer et réhabiliter les structures rurales et agraires et leurs liens sociaux dans les pays africains par un accès démocratique à la terre (ceci ne peut se faire que par des réformes agraires sérieuses, sincères et courageuses). Ces nouvelles dispositions économiques sont les seules à pouvoir permettre de stopper, arrêter durablement et peut-être même inverser cet exode hémorragique des exclus de la terre vers ces exutoires transitoires que sont les périphéries des agglomérations et principalement les bidonvilles. Redonner ainsi une réelle occupation économique, une chance et une nouvelles raison d'espérer socialement à ces millions d'exclus de la terre entassés dans les bidonvilles infamants et dont la résolution aujourd'hui, faute de mieux, est de migrer encore ailleurs, au nord? Et, plus au Nord (voire en Europe !) ; Restaurer, encourager et soutenir matériellement, financièrement et technico-scientifiquement, les exploitations familiales, les jeunes entrepreneurs et diplômés dont aujourd'hui beaucoup sont au chômage et qui souhaiteraient s'investir et s'engager dans les productions agricoles ; Réhabiliter et revaloriser, par entre autres si nécessaire, les productions agricoles traditionnelles utilisant les savoir-faire ancestraux, les semences traditionnelles et revalorisées, les assolements, la fertilisation naturelle au lieu des intrants chimiques ; ?'Re-sacraliser'' culturellement la valeur de la terre chez les paysans et citoyens du pays. Ce qui permettra de lutter contre cette nouvelle réalité, bien banalisée de nos jours, des concessions et location des milliers d'hectares de terres à des tiers et le plus souvent à des multinationales agro-industrielles qui ne recherchent qu'à développer davantage de monocultures à grande valeur commerciale pour l'exportation en exploitant et dopant les terres d'artifices chimiques, biotechnologiques, afin de réaliser le plus de profits et le plus rapidement sans se soucier de contaminer durablement les sols, les eaux et de détruire la fertilité et biodiversité naturelles des terres. Tout cela en chassant et précarisant le plus souvent paysans et populations riveraines de ces domaines ; Sensibiliser et mobiliser par une conscientisation aboutissant à l'émergence de mesures citoyennes pour stopper la mainmise et monopole en progression des multinationales agro-industrielles, par, entre autres, des actions de boycott de leurs produits ; Et, enfin, ce qui me semble le plus difficile peut-être à réaliser, et qui nous serait plutôt essentiel: Laissez tranquille l'Afrique? Laissez, enfin ces peuples se réaliser en toute souveraineté et à se prendre en charge, sans aucun tutorat ou ingérence de l'extérieur. Laissons-les, enfin, se réapproprier leurs destinées, leurs pays, leur continent et son Histoire qui, bien qu'à l'origine parfaitement pacifique, a été, depuis la moitié d'un millénaire, souvent interrompue, le plus souvent même, brisée par l'ingérence ! (*) Prof. Directeur de Recherches universitaires |