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Le constat de
cette faillite ne réside pas, essentiellement, dans l'état innommable de la
structure et les conditions d'hébergement qui relèvent du délictuel ; il réside
dans le fait que les hospitalisés sont des accouchées ou des césarisées ?! C'est-à-dire des mamans venues donner la vie, situation
qui relève des soins de premier niveau et qui se retrouvent à deux par lit, les
nourrissons à trois par berceau, dans une structure censée héberger les soins
tertiaires ?! Situation vécue du reste pour nombre de
spécialités dans l'ensemble des CHU.
L'état a besoin d'une vision claire, à partir d'une analyse objective et sans complaisance de la situation actuelle. Cette analyse ne peut répondre à ces impératifs si elle se résume au reflet d'un seul côté du prisme, elle doit conclure une approche participative sans exclusive. Ainsi l'Etat, le nôtre, qu'il agisse en providence ou en arbitre, sera en mesure de doter la nation, qui est composée de tout un chacun sans distinction d'origine, d'opinion, de rang social ou de revenus, d'un système de santé à la hauteur des réalités d'aujourd'hui et des enjeux de demain. Qu'est-ce un système de santé ? Pour l'OMS, le système de santé correspond à la totalité des organisations, institutions et ressources consacrées à la production d'interventions sanitaires. C'est donc un système organisé d'actions dont le but est d'améliorer la santé des populations. Le système de santé dont dépend l'état de santé d'un pays, dans une vision globale de santé publique, est de fait composé de différents sous-systèmes : économique, social, culturel, politique, juridique et de soins. En fait, le terme système de santé est souvent utilisé dans un sens plus restrictif qui en fait un synonyme de système de soins. Qu'est-ce un système de soins ? Le système de soins a pour mission : d'identifier les besoins de santé de la population, de choisir des priorités d'actions et de mettre en œuvre une politique de santé adaptée aux besoins (soins préventifs et curatifs individuels et collectifs, programmes d'actions de santé, programmes de recherche). L'OMS propose 4 valeurs essentielles, susceptibles de guider l'élaboration et l'évaluation des systèmes de santé, valeurs qu'elle présente sous la forme d'un diagramme orthogonal qu'elle considère comme la représentation de la «boussole de la santé » : la qualité, l'équité, la pertinence et l'efficience. La qualité et l'équité introduisent des contraintes qui agissent en sens contraire dans le système. Ces 2 valeurs, inscrites sur l'axe horizontal du diagramme, représenteraient d'après l'OMS «l'axe du rêve». Les 2 autres valeurs, la pertinence et l'efficience, portées par l'axe vertical du diagramme, dit axe «de la réalité», introduisent l'obligation de négociations et d'arbitrages pour aboutir à des compromis équilibrés entre les 2 valeurs portées par «l'axe du rêve». Pour optimiser le niveau de chacune des 4 valeurs, le système de soins doit rechercher les qualités suivantes : la globalité (soins complets, continus), l'accessibilité (financière et géographique), l'acceptabilité (pour les usagers, les professionnels de santé, les financeurs), l'efficacité technique et économique (efficience), la souplesse (capacité à vite s'adapter et à se redéployer), la possibilité d'être planifiable et évaluable. L'organisation d'un système de soins est une construction qui repose sur quatre piliers représentant les acteurs principaux de tout système de soins : la demande en soins, l'offre de soins, le tiers financeur, l'Etat et les pouvoirs publics. Ces acteurs sont reliés par une dynamique qui, pour garder son élasticité vitale à l'équilibre du système, est représentée par des flux permanents et coordonnés : flux de personnes (libre choix ou choix réglementé), flux d'informations (besoins de santé, niveau d'activité, normes techniques, cadre réglementaire?), flux d'argent (dont la nature est variable, selon le type de système : honoraire, salaire, capitation, cotisations, prime d'assurance, impôt, remboursement, dotation globale?). Il existe deux grands modèles de système de santé que l'on peut opposer? a) Le système de soins étatique : où l'Etat joue le rôle principal, en étant à la fois le contrôleur, le planificateur et le financeur de l'ensemble du dispositif qui relève ainsi exclusivement du secteur public : modèle du «système national de santé». b) Le système de soins libéral : où le rôle de l'Etat se limite à la définition des règles du jeu et aux contrôles réglementaires indispensables et où une large autonomie est laissée à la fois aux usagers et aux professionnels offreurs de soins, le financement du système étant assuré par une offre concurrentielle d'assureurs privés. ? ou que l'on peut faire cohabiter dans une phase de transition, de normalisation en situation de déstructuration avérée. Alors, quel système de soins ? pour? quelle Algérie ? ?quel Algérien S'il est communément admis que le premier objectif d'un système de santé est d'améliorer celle-ci, d'autres objectifs doivent être priorisés : répondre aux demandes des malades, aux données actualisées de la science, être efficace en termes de coûts ou encore d'équité, être efficient. Aucun système ne peut répondre à tous les objectifs de la même manière. Un système où la production et le financement des soins sont essentiellement privés, comme aux Etats-Unis, ne peut répondre aux objectifs d'équité et de limitation des coûts. Parmi les modes de financement publics, le financement par l'impôt, pratiqué au Royaume-Uni ou au Canada, répond mieux aux objectifs d'équité et de limitation des coûts que le financement français ou allemand par la sécurité sociale plus coûteux mais plus performant. En pratique, chaque système de production et de financement des soins répond plus ou moins bien à différents objectifs et reflète les préférences de chaque société. Occulter «l'axe de la réalité» (pertinence et efficience) et la nécessité d'un compromis inévitable entre les deux valeurs de «l'axe du rêve» (qualité et équité) inscrira dans la pérennité le système de soins algérien actuel dans l'axe du cauchemar dans lequel il se trouve actuellement. Le système national de santé de 1962 à nos jours Il est possible, schématiquement, de structurer l'historique du système algérien de santé depuis l'indépendance sur six décades qui représentent, chacune, des périodes particulières. 1962-1972 : la période héroïque Comme pour tous les secteurs, l'Algérie, au lendemain de l'indépendance, avait à «gérer» une situation de vide absolu caractérisé par un départ massif du corps médical français qui, par les chiffres, se résumait à la disponibilité d'environs 500 médecins, dont 50% d'Algériens, pour une population estimée à 10,5 millions d'habitants et des infrastructures sanitaires quasi inexistantes en dehors des gros centres urbains. Des progrès ont vite été réalisés. Il fallait faire face aux grandes maladies infectieuses comme la tuberculose et le paludisme. Il fallait aussi lancer les programmes de vaccination obligatoire pour lutter contre les maladies infantiles et les grandes séquelles dont celles-ci étaient souvent responsables (poliomyélite, rougeole, rubéole, diphtérie, pour ne citer que celles-ci). Faut-il rappeler que la mortalité infantile était à 180/1000 (22 en 2014) et que l'espérance de vie était de 50 ans (77,2 en 2014) ? Il fallait aussi lancer la formation médicale et paramédicale et dresser une carte sanitaire. L'Algérie ne comptait aucune faculté de médecine, hormis celle d'Alger, classée 2ème faculté de médecine de France en 1962, est-il besoin de le rappeler. Après naquirent les facultés de médecine d'Oran puis de Constantine dès les premières années de l'indépendance ; dès 1969 elles assuraient l'ensemble du cursus de graduation. Tout cela a été fait et porté à bout de bras par le sacrifice et l'abnégation du corps médical, médecins exerçant déjà en Algérie, Algériens qualifiés de musulmans sous la colonisation, Français ayant pris part à la lutte d'indépendance et choisi de rester en Algérie, corps médical ayant rejoint les maquis à l'appel de 1957 et cantonnés à la base de l'est de Tunis et à l'état-major général d'Oujda, accompagnés ensuite par les coopérants techniques issus essentiellement des pays de l'Est, puis de Cuba et de Chine. Tout cela, aussi grâce à l'adhésion citoyenne sans faille dans la dynamique induite par la dignité retrouvée et l'égalité des devoirs et des droits. Les paramédicaux de fortune, sans base théorique pour la plupart d'entre eux, se sont inscrits dans un sacerdoce et dans un cadre autodidacte qui impose le respect. Ils sont devenus les formateurs en soins de base des étudiants de médecine que nous étions : frais bacheliers de la fraîche nation algérienne. La consolidation de ce dispositif basé sur le patriotisme et le volontarisme a été permise par une décision politique courageuse et fondatrice de l'indépendance économique et financière : la nationalisation, le 24 février 1971, des hydrocarbures qui a, sans contexte, donné la possibilité au peuple algérien de bénéficier d'une couverture médicale unique en son temps par l'instauration de la médecine gratuite. 1972-1982 : la période heureuse L'instauration de la médecine gratuite par la loi 73-65 du 26 décembre 1973 qui devient un droit constitutionnel consacré par la Constitution de 1976 dans son article 67, représente le point phare de cette période. La médecine gratuite a joué un rôle déterminant, pendant cette décennie et les années qui ont suivi, dans la prise en charge des populations. Ce choix idéologique, opportun en son temps, était en parfaite symbiose avec l'orientation politique de l'Algérie libérée. Opter pour le socialisme était tout à fait naturel et en rapport avec l'idéologie qui a soutenu la révolution algérienne, tout autant que l'ensemble des mouvements de décolonisation des peuples, notamment d'Afrique. Nous avons toujours en mémoire, jeune interne de garde aux urgences médicales, ce 1er janvier 1974, l'ambiance de liesse citoyenne de ce premier jour de gratuité des soins tant du côté des personnels soignants que de celui des patients qui, après leur consultation gratuite se dirigeaient vers l'officine pharmaceutique ouverte en la circonstance pour honorer de manière gracieuse leur prescription médicale. Le bureau des entrées se limitait à établir les documents administratifs, les régisseurs n'avaient plus de raison d'être. Nous étions tous heureux de vivre la fin du 2ème collège avec l'hôpital civil pour les Européens et «Sbitar Bendaoud» pour les Indigènes et, qui plus est, heureux de cohabiter dans un collège unique qui «rase gratis». Nous étions loin, très loin, de pouvoir imaginer les dérives des comportements et la gabegie financière que cette bénédiction allait engendrer. Ceux de notre génération se rappelleront comme nous prenions de haut le système de soins de nos voisins maghrébins qui imposait aux citoyens marocains et tunisiens d'acheter les produits médicaux et les implants alors que nous bénéficions de la gratuité, sans limite et sans contrôle, pour l'ensemble des prestations. Cette décennie est aussi celle de la réforme de l'université et des études médicales avec passage au système modulaire et création de la post-graduation (résidanat) qui allait aboutir à la formation d'un nombre sans cesse croissant, non seulement de médecins mais aussi de spécialistes. Le troisième fait majeur de cette période est la création du secteur sanitaire, véritable pierre angulaire du système national de santé. Mais l'autre versant de cette période «heureuse» du point de vue sanitaire est caractérisé par une explosion démographique, un retard dans le développement des secteurs sociaux importants pour la pérennité d'un système de soins (habitat, hydraulique, urbanisme), une industrialisation démesurée aux dépens d'une déculturation agricole faisant le lit d'un exode rural inéluctable et l'émergence de maladies transmissibles telles les zoonoses. 1982-1992 : la dernière des 30 glorieuses C'est véritablement le point culminant de l'organisation du système national de santé avant l'amorce de la courbe descendante. Politiquement portée par le PAP (programme anti-pénurie) et une situation économique et financière sécurisante dans son premier «quinquennat», c'est une période charnière qui se caractérise par : - Une remarquable diminution de l'incidence de beaucoup de maladies transmissibles - L'importance des promotions issues de la formation médicale et paramédicale - L'essor de la recherche en sciences médicales et un programme de formation post-graduée à l'étranger hors du commun dans le cadre de la progression universitaire et de l'amélioration de la qualité de l'enseignement - Une politique de valorisation des cadres scientifiques avec un accompagnement financier qui a permis aux hospitalo-universitaires de participer à des congrès internationaux avec des travaux de haut niveau et de se sentir concernés par les enjeux du secteur - La réalisation d'un grand nombre d'infrastructures sanitaires: hôpitaux généraux et structures légères et la création de 13 CHU chargés d'une triple mission : soins, formation et recherche - La conception de cahiers des charges et d'organigrammes adressés aux trois types de structures : CHU, hôpital de wilaya, hôpital de daïra. Mais la plus belle réalisation de cette période est sans conteste la loi 85-05 du 16 février 1985 communément dénommée la loi sanitaire. On ne répétera jamais assez que, ramenée à son temps, elle demeure un chef-d'œuvre tant du point de vue conceptuel que de celui du pragmatisme. Elle abroge le code de la santé de 1976. Sa structuration et son organisation moderne, projetée vers l'avenir, lui ont assuré une pérennité sans rides pendant 30 ans. Elle a bénéficié de cinq «lifting» à travers des lois juridiquement dénommées «modifiant et complétant» : - La loi 88-15 du3 mai 1988 relative à la réintroduction de la pratique libérale - La loi 90-17 du 31 juillet 1990 relative à la réintroduction de la déontologie médicale, - La loi 98-09 du 19 août 1998 portant service civil, activité complémentaire et pharmaciens inspecteurs - La loi 08-13 du 20 juillet 2008 portant organisation de la pharmacie - L'ordonnance 06-07 du 15 juillet 2006, portant création des structures de séjour. Vers le milieu des années 1980 l'explosion démographique et la réalité de l'économie nationale vont mettre à mal le choix politico-idéologique du système de santé. La crise pétrolière de 1986, la chute du prix du pétrole et, par voie de conséquence, la baisse des ressources de l'Algérie vont mettre à nu les faiblesses de la santé publique et le caractère déjà obsolète du système de santé. Cette crise ne touche pas que le secteur de la santé, elle contribue très largement à la genèse des troubles sociaux qui ont ébranlé notre pays en octobre 1988 révélateurs de la nécessité de réformes plurisectorielles. L'asphyxie économique, avec des cycles de pénuries répétées touchant plusieurs produits, médicaments et consommables, l'impossibilité du système public à faire face à la demande croissante et plurielle des citoyens, le constat des disparités et des iniquités en matière de couverture sanitaire ont fait prendre une première mesure de «réforme» en direction de la privatisation dès 1986 : l'autorisation d'installation en cabinet dans le cadre du «zoning». A suivre... |