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Si un terme peut
caractériser de façon dominante les différentes sphères politiques, sociales,
culturelles et éducatives, c'est bien celui de fermeture.
La notion de fermeture signifie ici le repli sur ses « propres vérités » et certitudes qui interdisent toute remise en question ou critique. Les logiques sociales de fermeture sont profondément ancrées dans ce que Montesquieu (1979) appelle l'esprit de la société. « Les lois sont établies, les mœurs sont inspirées ; celles-ci tiennent plus à l'esprit général, celles-là tiennent plus à une institution générale ». Au questionnement et à l'ouverture plurielle se substituent des formes sociales dominée par le rejet, la suspicion et l''exclusion de l'autre, non pas tant en référence à une critique constructive et fondée de ses écrits, mais simplement parce que le comportement ou la posture de l'autre, ne semble pas convenir, ou parce qu'il pense autrement. La fermeture n'est-elle donc pas une forme d'imposition de la politique «vraie» ou de la «la religion vraie» pour reprendre l'expression de Mohammed Arkoun (2007), grand penseur critique sur les questions islamiques, n'ayant jamais été reconnu socialement par les différents pouvoirs algériens. La fermeture politique tente d'effacer de l'espace public, toute pensée créatrice et critique de l'autre. LA «STABILITE» La fermeture politique est identifiée par les pouvoirs, à partir de l'élément-clé qui est celui de «stabilité» du système social. Cette forme de stabilité s'enracine dans la certitude, au sens où il serait utopique de penser et d'agir autrement. A partir de cette posture, toute forme de contestation ou de manifestation publique, toute dynamique sociale contredisant cette forme d'immobilité, irait nécessairement à l'encontre d'un «ordre social qui se veut statique». Ses acteurs idéologiques n'hésitent pas à caractériser ce type de fonctionnement du système sociopolitique, comme «un exportateur net de stabilité», selon l'expression du ministère des affaires étrangères. La stabilité devient l'antithèse de la transformation, du mouvement contradictoire et de la dynamique sociale. Toute société devrait stagner dans sa configuration sociale actuelle, se reproduire à l'identique, sans soubresauts, sans reconnaissance explicite des conflits qui sont rapidement étouffés ou instrumentalisés. Fermer le jeu politique renforce l'opacité de l'ordre sociopolitique établi, le «normalise» en créant des balises infranchissables, pour tenter de le comprendre du dedans. La «normalisation» par le haut du politique s'appuie moins sur le compromis politique que sur le fait accompli, rendant inopérant le droit en l'absence d'un Etat qui s'interdit de réguler la société. La régulation sociopolitique de la société est principalement caractérisée par l'accès au respect impératif, strict et rigoureux des règles, seule modalité qui donne sens et pertinence à la notion d'Etat. Le terme d'Etat-pouvoir semble ici plus approprié pour indiquer sa double posture contradictoire, à la fois de distanciation à l'égard de la société, tout en essayant de la séduire, pour la capter dans une logique strictement instrumentale. C'est tout le paradoxe de L'Etat-pouvoir profondément absent dans les espaces sociaux, parce qu'il n'émane pas de la société, mais contraint, s'il veut se reproduire à l'identique, de faire face à la pression des demandes sociales de la population. Il est donc conduit par la force des choses, de s'habiller du statut de parrain politique. LES DOLEANCES La logique permanente de la doléance est profondément enracinée dans les pratiques sociales des personnes. Elles attendent que leurs problèmes sociaux (emploi, logement, etc.) soient avant tout résolus par l'Etat-pouvoir contraint de multiplier les promesses, malgré l'inflation de la demande sociale impossible à satisfaire. L'Etat-pouvoir ne négocie pas. Il octroie des logements et des prêts pour les jeunes sans emploi. Il devient l'acteur inamovible et incontournable dans «l'attribution» des biens sociaux, conduisant à rendre confus la notion de droit, objet de mille et une interprétations et dérives multiples. Le «droit» se transforme en exigence («Pourquoi pas moi ?»), en prédation («j'ai donné de l'argent pour obtenir tel service »). Mais le « droit » peut être également arraché, en adoptant une posture de docilité, de dépendance et d'allégeance à l'égard des pouvoirs. La négociation définie comme un ensemble de confrontations et de tractations pacifiques entre acteurs sociaux et politiques pluriels et autonomes, dans une logique de reconnaissance des conflits, pour aboutir à un compromis, est impossible quand L'Etat-pouvoir fonctionne sans contre-pouvoirs. Ils ne sont pas «nécessaires» à ses yeux. Il a les ressources financières suffisantes pour tenter de domestiquer la société. Or, les contre-pouvoirs sont représentés par des acteurs sociaux autonomes et profondément ancrés dans la société. La fermeture politique, c'est précisément l'inexistence d'une régulation sociale décentralisée qui prend appui sur les expériences sociales et politiques multiples des personnes reconnues comme des citoyens, dans un souci d'équité et de solidarité, et non de divorce entre les agents sociaux protégés grâce à leurs soutiens relationnels, et les autre anonymes, les gens de peu, contraints à l'errance sociale (Mebtoul, 2013). LES MISES EN SCENE La société est orpheline d'une autorité publique reconnue et légitime, laissant une société livrée à elle-même, qui se transforme en une arène sociale. Celle-ci fonctionne moins au respect de la règle qu'aux relations personnalisée. La fragilisation du système social se traduit par le déploiement d'un conformisme social, politique et religieux. Il s'agit de jouer un rôle social pour ne pas perturber l'ordre social. Le système social peut aussi être appréhendé par les multiples mises en scène des acteurs sociaux. Elles révèlent la difficulté de dire les choses en toute transparence et en toute liberté, essayant de déjouer ou de contourner l'ordre familial, éducatif, social et politique. Il faut s'inscrire dans le « faux » pour faire plaisir au responsable politique qui inaugure, par exemple un service hospitalier, en faisant en sorte que tout soit propre, le temps de la visite de celui-ci (draps, hygiène, etc.). La mise en scène devient un mode de conduite incorporé par les pouvoirs locaux, pour fabriquer une autre image de la « ville » ou de l'institution, en mobilisant rapidement le personnel, même la nuit, pour repeindre les bordures de trottoir, rafistoler des tronçons de route mal faits à l'origine. Durant le trajet du ministre, c'est de nouveau la fermeture des routes. Qu'importe la longue l'attente des usagers de la route ! L'ordre éducatif n'est pas indemne de mises en scène. Elles indiquent que le statut social a profondément effacé la notion de compétences. La mise en scène des savoirs traverse profondément le fonctionnement des institutions éducatives. On retrouve de nouveau, le terme de fermeture. Les étudiants identifient la réussite universitaire par le terme de « fermer l'année ». Quelle inversion quand on sait que les savoirs sont caractérisés par les remises en question, le questionnement, l'ouverture critique. Dans la réalité, les acteurs sociaux sont conduits à « normaliser » la fermeture des savoirs ! Le droit à la qualité de l'enseignement est transgressé, ignoré et bafoué quand le diplôme se substitue à la compétence de fait. Ici aussi, la fermeture du portail de l'université par les étudiants, représente de façon récurrente, une modalité sociale qui doit leur permettre d'arracher la reconnaissance du diplôme synonyme de «fermeture de l'année». LA LOGIQUE DU DONNANT-DONNANT Les individus-sujets, ne pouvant pas compter sur des institutions profondément fragilisées, tentent d'élaborer dans une logique du « donnant-donnant », leur propre politique « publique », s'armant de la ressource relationnelle qui leur semble essentielle pour arracher rapidement et dans la dignité, un bien ou un service donné. L'Etat-pouvoir s'inscrit dans le déni du réel. Il ne s'agit pas de le comprendre et de l'analyser. Il est profondément indifférent aux savoirs. Son mode de fonctionnement est tout autre. Sa quête n'est pas de partir de la société, mais au contraire d'injecter dans une logique inflationniste des règles, en opérant des greffes hasardeuses dans un tissu social profondément sous-analysé. Qu'importe leur inadéquation avec la réalité sociale ! L'important est de mettre en scène des normes qui seront, d'une façon ou d'une autre, transgressées, détournées par une multiplicité d'acteurs sociaux qui sont censées les mettre en œuvre. Parce que les règles n'ont pas été produites dans une logique contractuelle, décentralisée et reconnue par l'ensemble des acteurs sociaux, l'Etat-pouvoir est pris dans un engrenage bureaucratique difforme. Il ne s'agit pas ici de rationalité bureaucratique qui a pour fonction sociale de sacraliser la règle applicable à tous, mais plutôt d'un ordre administratif lourd, peu performant et désorganisé, où il est possible de passer au travers, pour ceux qui en ont la possibilité. L'effet pervers d'un tel ordre sinueux et sélectif, est de provoquer de la frustration et de l'insatisfaction auprès d'une autre partie de la population n'ayant pas pu « arracher » le fameux logement ou emploi promis par les responsables politiques. La fermeture des routes par le déploiement des barrages, les rassemblements organisés à proximité des daïras et des wilayas, ou même de la présidence, traduisent le « besoin » de s'adresser à l'Etat-pouvoir. Il est l'unique acteur qui peut être en mesure de donner sens à leurs revendications. Dans un système politique fermé et autoritaire, le rapport de force prime sur le droit. La fermeture des routes représente une action sociale qui doit permettre la satisfaction de la demande sociale des protagonistes. On est bien dans la spirale de la demande sociale. Celle-ci ne remet nullement en question les fondements politiques qui ont prévalu dans la répartition des biens sociaux. Peut-on s'étonner de la permanence de cette double fermeture qui semble se conjuguer (fermeture politique et celle des routes) dans un système sociopolitique fondé sur le paternalisme politique et le statu quo ? * Sociologue, Université d'Oran Références bibliographiques Arkoun M., 2007, Humanisme et islam, combats et propositions, Alger, Barzakh Mebtoul M., 2013, La citoyenneté en question (Algérie), Oran, Dar-El-Adib Montesquieu, 1979, De l'esprit des lois, Paris, Calman-Levy. |