|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
« Les convictions
sont des ennemies de la vérité plus dangereuses que les mensonges. » Nietzsche (Friedrich)
Par son reportage sur nos campus considéré comme diffamant, la Chaîne télévisée algérienne Ennahar touche à l'honneur et aux constantes inconstantes des algériens. C'est du moins la lecture faite indistinctement par des familles honnêtes et conservatrices mais aussi et davantage par de fieffés tartuffes qui refusent d'assumer et de revendiquer haut et fort leurs velléités d'émancipation version autochtone. Les ressentiments de Nietzche étaient légitimes et pour preuve, la révolution française avait entamé ce que le philosophe pensait être éminemment juste et urgent pour le bien de l'humanité, son bien le plus précieux : La liberté de conscience et d'action. En effet le monde avait trop souffert pour avoir vécu jusque là sous le regard courroucé et inquisiteur d'une religion qui créait les normes et leur valeur, et plus terrible encore la sanction immédiate qu'encourrait chaque individu qui ne gesticulerait pas selon une chorégraphie monochrome préétablie par ces vicaires. Nous voilà aujourd'hui affranchis de cette morale religieuse claudicante et terriblement inhibitrice. Sommes-nous plus libres et plus heureux avec nos nouvelles valeurs ? Avons-nous atteint ce stade qui faisait fantasmer Nietzche lorsqu'il disait : « Je vous enseigne le surhumain. L'homme n'existe que pour être dépassé. Qu'avez-vous fait pour le dépasser ». C'est une question que tout le monde doit se poser. Je doute fort que ce surhumain annoncé par le philosophe soit cet « Homo consumeris » qui n'arrête pas de baver de plaisir face à l'immensité de sa volonté de puissance axée essentiellement sur la satisfaction immédiate d'un désir renouvelé et régenté par de nouveaux vicaires invisibles et créateurs d'un nouvel ordre œcuménique si subliminal qu'il nous laisse malgré tout et charitablement cette impression que nous sommes les maitres de nos résolutions , de nos choix et de nos goûts. Et oui ! La chaîne Ennahar a commis une bourde par son reportage fouille merde sur nos campus concupiscents. Son manque de professionnalisme n'est pas lié au fait qu'elle s'est délectée en faisant semblant de dévoiler aux algériens un secret de polichinelle dont ils s'en foutent royalement, sa maladresse réside plutôt dans le choix d'un sujet qui discrédite immédiatement son projet. Et combien même ces chaines d'obédience religieuse aborderaient impartialement des sujets multiples ayant un rapport avec des crises sociétales, il n'en demeure pas moins que chaque fois que leur discours se cristallise autour de l'éthique et de la politique, elles seront immanquablement suspectées de vouloir talibaniser la société, on aura droit alors aux mêmes couplets : intégrisme, intolérance, prêches liberticides?Le malheureux éditorialiste aurait du savoir qu'il y a des sujets qui ne doivent être traités ( autant que faire se peut ) qu'avec le plus grand tact ( chose qui s'avère hélas impossible) : 1- Les mœurs et les plaisirs (Sexe-nudité- droit « fondamental » de disposer de son corps- Adultère-Fornication-Alcool?) 2-La politique et le pouvoir. Il faut reconnaitre qu'une fois ces sujets brulants expurgés de leur cahier des charges, que restera-t-il à nos censeurs de politiquement correct à traiter, hormis bien sûr ce loisir inoffensif de gloser sur l'environnement et la préservation des espèces menacées. Qui pourra se fier à des médias irrémédiablement versés dans l'anathème et l'excommunication ? Je vous le dis. En vérité il n'y a point de prostitution dans nos universités. Ce n'est qu'une simple question de « Point de vue ou de Convictions » puisque paraît-il « Une norme tire son sens, sa fonction et sa valeur du fait de l'existence en dehors d'elle de ce qui ne correspond pas à l'exigence qu'elle sert. »(1) Les exigences d'aujourd'hui ont été délocalisées. Elles sont dans la 3G, les prêts à tout-va et les crédits de consommation, dans la quête désespérée d'un logement, d'un emploi par n'importe quel moyen et d'une ambition démesurée, dans le pillage et l'enrichissement infini, dans la corruption et les passes droits, dans la lutte des clans et la monopolisation du pouvoir, dans la gestion de la rente pour pérenniser les équilibres régionaux et acheter la paix sociale. Bref ! En ces temps de récession économique et morale, nous devons admettre que ce que nos anciens dogmes et coutumes définissaient comme étant de la prostitution s'avère aujourd'hui politiquement et socialement plus que salutaire, sans oublier que d'un point de vue légal, aucun législation ne viendra au secours de notre clergé à moins bien sûr de réaliser cet exploit intellectuel inédit qui consiste à insuffler à l'article 2 de la constitution (« L'Islam est la religion de l'Etat ») une âme qu'il ne pourra posséder que sous les cieux d'une république islamique. Lorsque le moment viendra et quand il s'agira de diviniser nos présidents au moyen d'un rafistolage constitutionnel puisque l'envie ne cesse de nous tarauder, il faudrait peut-être penser à caser cet « article 2 » dans une littérature propre à un patrimoine immatériel et autres antiquités moins polémiques et moins ostensiblement invasifs et rétrogrades puisque l'image que nous exhibons de nous mêmes ne semble correspondre ni aux traditions ni à une quelconque contemporanéité positive. Ca fait plus de deux siècles que la révolution française a confisqué à la religion ce droit millénaire d'envoyer les gens au bûcher pour des broutilles qui ne cadraient pas avec leur archétype d'une morale-camisole. Parler de sexe est une aberration en soi dans ce 21siècle qui vit une hyperinflation sexuelle (Pornographie- pédophilie- tourisme sexuel ? traite des blanches - légalisation de l'homosexualité, du mariage homosexuel. (2) Partout ailleurs, on ne cessera de faire fructifier les acquis de la Révolution française, les années soixante verront l'émergence d'un mouvement social qui sera porté aux nues : «L'Amour libre». Une philosophie de vie qui prône la non-ingérence de l'état ou de l'Eglise dans les relations humaines ainsi que l'absence de régulation par la loi des relations amoureuses engagées librement et notamment le droit au plaisir ou à des relations multiples. La culture anglo-saxonne y introduira certaines variantes dans cette nouvelle religion : Le polyamour (en anglais, polyamory), un mouvement qui revendique des relations sentimentales assumées avec plusieurs partenaires simultanément mais sans que cela n'implique nécessairement une dimension sexuelle et avec en prime une forme bizarre d'honnêteté morale qui astreint les individus à se dévoiler l'existence de leurs autres partenaires respectifs. Toutes ces tendances affirment combattre un «exclusivisme sexuel» et une «monogamie» castratrice et étouffante contraire à un certain idéal de liberté intrinsèque à une nature humaine fondamentalement libre et vouée à chercher son épanouissement en dehors de tous les carcans idéologiques possibles. Rien ne pouvait ralentir une révolution sexuelle qui enregistrera des avancées spectaculaires : (La dépénalisation de l'avortement et l'encadrement légal de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) ? La publicité, la commercialisation et l'usage généralisé de la contraception et du préservatif. ? La légalisation du mariage homosexuel avec le droit à l'adoption homoparentale?) Cette morale sans cesse revisitée fera toujours l'objet de virulentes controverses et de remises en question qui bien qu'objectivement fondées, elles demeurent incapables de créer un consensus et de dissoudre des antinomies et des imbroglios juridiques grotesques. Depuis les années 1990, le monde arabe a entamé lui aussi pudiquement sa révolution sexuelle underground. Le sexe fait partout florès, nos universités ne sont pas des temples sacrés, on y trouve du sexe, de la drogue, de l'avortement. Il faut seulement se résigner à faire ce distinguo (si essentiel à nos choix culturels assumés) entre l'amour libre (composite de sexe et de plaisirs multiples) et la Prostitution telle qu'elle est définie par la Loi et notamment la législation algérienne.(3) Et oh combien serait-il malhonnête et ridicule de s'amuser à faire une sociologie de notre sexualité afin de prouver que nos mœurs ont été épargnées par cette mondialisation (occidentalisation ou modernité orientale) omniprésente qui tend à tout uniformiser. Ce que l'éthique et la morale réprouvent n'est pas forcément accrédité par la Loi. En somme cette prostitution si décriée tend à devenir partout dans le monde sinon licite du moins difficilement encadrée par une quelconque référence juridique aisément capable de qualifier pénalement l'acte en tant que tel. Si la Religion considère et condamne dans la prostitution toute relation sexuelle sans exclusive qui s'effectue en dehors des liens du mariage, le Droit positif ne considère comme répréhensible dans cette activité que le projet ou l'intention d'en tirer rémunération, ce qui fonde d'ailleurs sa définition juridique un peu partout dans le monde. La Loi réprouve dans cette activité moins son côté « immoral » qui relève d'un ensemble de valeurs versatiles qu'un certain ordre public qu'il s'agit de préserver. Ce n'est donc plus une morale immuable qui façonne, légitime et légalise nos réactions mais plutôt des paradigmes soumis indéfiniment au changement et réinterprétations multiples. Durkheim disait : « Un acte est criminel quand il offense les états forts et définis de la conscience collective ». Ignorer ces processus cycliques d'interactions fondatrices de notre être social c'est se condamner à vivre écartelé entre des exigences qui s'opposent et s'affrontent cruellement. La variabilité des normes semble intrinsèque à la vie. Tantôt ce sont tels faits sociaux qui « choquent nos consciences », tantôt c'est plutôt notre conscience qui s'efforce à leur trouver des réajustements sémantiques et conceptuels et à abolir ce qu'il y a en eux de choquant et de répréhensible. «Le normal n'est ni un concept statique ou pacifique, mais un concept dynamique et polémique »(4) Les changements et les espérances annoncés par Mai 1968 ont sans doute permis à la liberté de se substituer aux anciens dogmes tyranniques néanmoins cela n'a pas forcement crée ce bonheur infini escompté. Les philosophes Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut en feront l'éloge de cette période charnière plein de défis et de promesses (5), cependant trente années plus tard l'encensement se dissipe pour laisser place à plus de visibilité, de défiance et pourquoi pas de sagesse, Le philosophe Pascal Bruckner en fera un bilan assez mitigé de cette révolution sexuelle qui n'arrive quand même pas à se délester de certains paradoxes qu'elle pensait facilement gommer : «Comment l'amour qui attache peut-il s'accommoder de la liberté qui sépare?» C'est le dilemme que posera le philosophe en guise de défi permanent à cette prétendue liberté outrecuidante. (6) Dans un entretien accordé à l'Express en 2002, le philosophe se résoudra à cette amère et prévisible conclusion:» Nous découvrons maintenant en Occident que cette liberté a pour contrepartie la responsabilité et la solitude. « Les paradoxes et les revirements ne s'arrêtent pas là. Le 04 décembre 2013, en France, une nouvelle loi votée par une nette majorité des députés (268 voix contre 138) prévoit de sanctionner les clients de la prostitution et de dépénaliser le racolage auparavant réprimé par le code pénal. Pour en revenir à nos étudiantes, aucune Loi ne pourra les empêcher d'entretenir des relations amoureuses et sexuelles bien entendu si leur morale familiale ou celle du patelin dont elles sont issues le permet. Notre code pénal est aussi peu précis que laconique sur le sujet, comme pour le cas des mangeurs de Ramadhan. Par contre, si au cours de ces relations amoureuses, nos étudiantes offrent leur présence galante en contrepartie de bénéfices financiers ou d'avantages liés à leur cursus universitaire, lorsqu'elles se font entretenir de quelque manière que ce soit sous forme de cadeau (Argent de poche et récompense pour service(s) charnels rendus ? Flexy Djezzy- Vêtements-Diners et soirées dansantes - gonflement des notes scolaires?) Dans ce cas , force est de reconnaitre qu'il ne nous reste plus qu'à assimiler ce loisir ou cette activité à ce que le monde civilisé nomme «Escort-Girl » et au pire ça restera quand même de la prostitution telle que cela est définie par les législations des pays les plus libres en la matière. Et c'est là où le concept d'émancipation nous fait défaut. Il faudrait apprendre à aimer sans se vendre. Notes : (1) G.Canguilhem, «Le normal et le pathologique» (2) Le 17 mai 1990, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) supprime l'homosexualité de la liste des maladies mentales. En 1999, le législateur français inventait le Pacte civil de solidarité. Une forme d'union à mi-chemin entre le mariage et le concubinage ouverte aussi bien aux couples hétérosexuels qu'homosexuels. En 2012, plusieurs pays dans le monde légalisent le mariage pour les personnes homosexuelles sur l'ensemble de leur territoire. Plusieurs pays ont même consenti à accorder « L'homoparentalité » et admettent dans leur législation l'adoption d'enfants par des couples homosexuels, sous des formes plus ou moins étendues. (3) La loi française ne réprime la prostitution que lorsqu'elle trouble l'ordre public, à travers deux incriminations : l'exhibition sexuelle et le délit de racolage. Depuis 2003, le code pénal sanctionne de deux mois d'emprisonnement et de 3 750 ? d'amende « le fait par tout moyen, y compris par une attitude passive, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à avoir des relations sexuelles en échange d'une rémunération » Dans la société algérienne, la prostitution n'est plus considérée comme telle lorsque celle-ci se cantonne à une relation entre deux personnes consentantes qui évitent cette publicité qui potentialise le caractère délictuel de l'acte. Il s'agirait seulement de ne pas troubler l'ordre public, un voisinage trop puritain, d'éviter de se retrouver à plusieurs dans des lieux qualifiés de débauche, de faire de cette activité un commerce lucratif ou de s'en prendre à des mineurs ou à des personnes non consentantes. Pour le reste, chacun est libre de satisfaire ses désirs dans une société où l'on doit faire des efforts pour préserver cette équilibre essentiel entre des lois répressives et des mœurs qui aspirent à s'affranchir d'un passé rigoriste. (4) G.Canguilhem, «Le normal et le pathologique» (5) « Le Nouveau Désordre amoureux », essai paru en 1977 et coécrit par les philosophes Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner. (6) Pascal Bruckner «Le paradoxe amoureux» (2009) * Universitaire |