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Le procès de la peine de mort,à travers le parcours d'un ancien magistrat, qui est devenu un farouche adversaire de la peine capitale , après avoir requis ce châtiment suprême et assisté à deux exécutions. «Il n'y a pas de plus dangereux qu'un esprit étroit dans une tête vide». Etroit, il se remplit vite, vide il ne trouve aucun obstacle. (BOILEAU 1636-1711) Pour ou contre, telle est la question qui revient chaque fois qu'on a abordé une discussion sur la peine de mort. Or, la formation de cette question prête à équivoque, elle donne l'impression de répondre par un oui ou par un non, de dire si c'est blanc ou noir. Elle bloque donc toute réflexion sérieuse. Pour cela et afin de forcer à la réflexion et élargir par voie de conséquence, le débat, il serait intéressant de formuler autrement la question, en l'empruntant à un philosophe allemand «Faudrait-il souffrir de mourir ? Ou mourir que de souffrir ?» Devant une telle alternative la conscience hésite, elle demande une réflexion assez sérieuse car à priori les arguments de part et d'autre semblent être équilibrés. En tout état de cause, la peine de mort restera toujours d'actualité, tant que la justice des hommes existera. En effet, il y a quelques décennies alors que j'étais collégien, j'ai assisté, au cinéma «IDEAL» situé place des victoires, pour le vieil oranais, à un début «Pour ou contre la peine de mort». Ce débat était animé par deux éminents juristes et criminalistes, l'un procureur de la république, qui devint par la suite un haut cadre du ministère de la justice française, et l'autre avocat, spécialiste des affaires criminelles. Au terme de ce débat, qui fut houleux, entre les partisans et les adversaires de la peine de mort, je ne savais plus s'il fallait être pour ou contre la peine de mort, tellement les arguments de part et d'autre me paraissaient équilibrés, «ma conscience hésitait». Des années passèrent et en ma qualité de magistrat représentant l'honorable société, j'ai été appelé à connaître certaines affaires criminelles. Entre autres, l'affaire que les médias à l'époque avaient appelée «L'affaire du siècle». Il s'agit de l'homme au pilon «Boumehrez» de triste mémoire. C'est un individu âgé de trente six ans, marié, qui s'attaquait exclusivement aux femmes pour les voler, à coup de pilon en fonte (Yed El Mehrez) sur le crâne. Sur dix agressions, il en tua cinq dont une femme enceinte, en blessa trois, et les autres s'en tirèrent à bon compte. Au cours de ce procès, compte tenu de l'ampleur des dégâts, et de l'émotion suscitée au sein de la population oranaise, j'ai basé mon réquisitoire sur le fait que : Si la peine de mort n'était pas indispensable, elle est par contre nécessaire pour une certaine catégorie de crimes, commis par une certaine catégorie de criminels. Une certaine catégorie de crimes à savoir : Les crimes contre les êtres sans défense ; les enfants,les vieillards, les infirmes, et comme dans ce procès, les victimes étaient toutes des femmes, j'ajoutai même les femmes, car que vous le vouliez ou non «la femme est un être fragile physiquement et tout ce qui est fragile est précieux et tout ce qui est précieux mérite doublement protection». Une certaine catégorie de crimes commis par une certaine catégorie de criminels c'est-à-dire les pervers,les êtres amoraux ou encore mieux associables ; ceux qui savent distinguer le bien du mal mais préfèrent faire du mal. A cette catégorie de criminels, je pensais dans mon réquisitoire qu'il fallait leur tenir ce langage : «Messieurs les assassins, quelle que soit la douleur et la souffrance que ressent un être humain, lorsqu'on l'ampute d'un de ses quatre membres atteint de gangrène ;la société aussi, quelle que soit la douleur et la souffrance qu'elle ressentira, il faut qu'elle passe à l'ablation de cette cellule cancéreuse qu'est le criminel, car il y va de la tranquillité au sein de la société». Et la société c'est vous, moi, la victime et aussi le criminel. Par la suite, j'ai assisté en tant que magistrat à deux exécutions et depuis ce jour là, je suis devenu un farouche adversaire de la peine de mort. Pourquoi et comment, cette évolution qui sera pleine d'interrogations. C'est une conviction acquise lors d'un examen de conscience d'un homme qui a suivi pas à pas le cheminement du condamné, du prétoire à la cellule et de la cellule au poteau d'exécution. Cette prise de conscience qui ne relève pas seulement d'un débat philosophique mais aussi de facteurs objectifs et même émotionnels,dont seul peu sentir celui qui a vécu le parcours du condamné lors de son exécution, est due : - A cette préparation du châtiment c'est-à-dire à tout cet aréopage de personnalités entourant le condamné pour lui signifier d'un ton solennel son exécution tout en lui réclamant ses dernières volontés. - Et aussi à cette marche funèbre emmenant le condamné mains et pieds liés au poteau d'exécution, en compagnie d'un imam désemparé, qui essaye de le réconforter par des paroles divines en lui rappelant la «Chahada». Mais le mal qui offense, qui punit et qui renforce cette prise de conscience vient surtout de cette scène insupportable, lors de l'exécution du châtiment. Imaginez cet être humain,fut-il un criminel, pieds et mains liés, un bandeau sur les yeux attaché au poteau d'exécution, qui au seuil de la mort, reprend dans un hurlement de bête humaine qui vous glace les os, le cri de l'enfant en danger qui appelle sa maman au secours et dont seul une mère peut ressentir sa portée «Yama Kheiti» «maman chérie». Imaginez ce chef du peloton qui, voulant donner le coup de grâce, ne fait que fracasser la mâchoire du condamné. Et ce médecin révolté, devant les gémissements du condamné agonisant qui ne cesse de répéter comme un possédé : «Il est encore en vie ! Il ne veut pas mourir celui là?». Que de questions ! Que de réponses ! Qui traversent l'esprit devant ce comportement inconscient du chef du peloton «perdant de sa superbe, arme au poing tremblant se retourne vers le médecin en le suppliant : Docteur ! Que Dois-je faire ?» Et celui-ci qui s'écrie en reculant : «Mais vous êtes devenu fou ? Vous voulez me tuer ? Otez votre arme de là et visez lui le cœur». C'est terrible d'assister à un tel châtiment, non seulement il vous humilie mais oblitère vos facultés intellectuelles, est-il indispensable ? La réponse vient de ce père de famille qui a été désigné pour faire partie d'un jury criminel. «Devant le réquisitoire implacable d'un ministère public qui réclame la peine de mort et un président imperturbable qui suggère à demi mot au cours des délibérations, la peine capitale, j'étais troublé. Plusieurs questions me traversèrent l'esprit. - Pourquoi le tirage au sort a voulu que ce soit moi qui aie été désigné pour faire partie du jury et pas un autre. - En tant qu'être humain aurais-je la conscience tranquille d'avoir ôté la vie à un de mes semblables fut-il un criminel. - Est-ce que la peine de mort est indispensable ? N'y a ?t-il pas de peine de substitution ? J'ai senti un certain soulagement lorsque la majorité des membres du jury a opté pour la réclusion criminelle . Depuis, j'ai décidé d'éviter à l'avenir de faire partie d'un tel jury pour ne pas vivre la même expérience. En effet, il existe des peines de substitutions telle que la réclusion criminelle à vie ou à temps, aussi efficaces pour faire payer au criminel sa dette envers la société dont il est issu, tout en lui laissant la possibilité, si Dieu lui prête longue vie, de se repentir et d'être éventuellement réinséré au sein de cette société qui l'a enfanté. Il n'échappe à personne que l'être humain quel que soit son crime est récupérable. Il est à même de s'amender à un moment ou à un autre de sa vie, après avoir subi pendant toute la durée de son incarcération, cette torture morale faite de privation, de solitude, de souffrance et d'angoisse qui lui fait prendre conscience de la valeur de la vie en société. Les exemples sont légion. Aussi la question qui se pose est de savoir si ce châtiment suprême est nécessaire en ce 21ème siècle, où règnent les inégalités sociales, dans une société sans état d'âme, indifférente par son égoïsme, son individualisme aux souffrances, source de délinquance, ceux que la vie n'a pas gâtés, qui se trouvent marginalisés, livrés à eux même, face aux dures réalités de la vie. La conscience nous interpelle, car le droit à la vie est le droit de l'homme le plus sacré. * Avocat à la cour, ancien Magistrat |