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Je ne suis pas de
taille et je n'ai pas l'envie ni le temps de me dresser contre les discours
officiels et partisans. Mais je ne peux rester insensible à certains propos
écrits ou dits.
«Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose», disait Voltaire. Certains l'ont aujourd'hui bien compris. Je ne peux parler que de ce que je connais, les camps sahraouis. Pour y vivre régulièrement depuis 3 ans. Les propos rapportés sont donc tous des témoignages directs. Le fait d'avoir des prisonniers donne une légitimité d'humanité à celui qui les réclame. Certains ne se privent donc pas de les réclamer à cor et à cris. Les réfugiés sahraouis dans les camps de Tindouf ne sont pas prisonniers du régime algérien et d'une « horde de séparatistes », comme le scande l'organe de presse royal marocain MAP (Maghreb Arab Press). Il n'est que d'aller sur place pour se rendre compte que les «fidèles sujets séquestrés» sont des hommes et des femmes ayant fui devant deux armées d'occupation (marocaine et mauritanienne) et se réclamant librement d'une République en exil depuis 35 ans. Que l'on accède enfin à la requête marocaine. Les réfugiés sahraouis ne demandent pas autre chose que d'être visités, inspectés. Exigeons qu'ils le soient dans les camps et de l'autre côté de ce mur miné, le plus long au monde. Qui en vérité refuse aujourd'hui la transparence des visites de commissions d'enquête et des médias ? Et en ce qui me concerne, je ne me suis jamais senti aussi libre et en sécurité qu'au milieu des réfugiés du camp d'El Ayoun. S'il existe des prisonniers dans les camps, c'étaient des prisonniers militaires marocains, dont les derniers furent libérés en 2005. Quelques-uns sont d'ailleurs revenus vivre dans les camps à la suite de l'accueil dont ils furent l'objet lors de leur retour au Maroc. J'ai parlé avec l'un d'entre eux, ancien de l'aviation marocaine, qui m'a fait comprendre qu'il avait été plus utile au Maroc prisonnier que libre et qu'on lui avait fait comprendre. Autre polémique : Ces derniers mois, un Sahraoui, passé côté marocain et ayant choisi de revenir convaincre, naïvement ou d'une façon plus subtilement calculée, ses frères des camps du bien-fondé de la proposition unilatérale marocaine a été arrêté lors de son retour vers les camps. Le Polisario avait rapidement consenti à sa libération à la demande d'une commission humanitaire. L'émissaire du HCR, en charge de son raccompagnement par avion au Maroc, s'est vu notifier au tout dernier moment l'arrêt de cette mission et l'interdiction de cette remise en liberté par? les autorités marocaines. Là encore, l'homme était plus utile prisonnier que libre ! Les vrais prisonniers sahraouis sont au Sahara Occidental ou dans les prisons marocaines. Ceux des camps sont les otages de ceux qui souhaitent par intérêt que la situation perdure. A la liste des quelque 500 disparitions forcées sous le règne de Hassan II sont venus s'ajouter ceux de ces dernières années et de ces dernières semaines suite à la destruction du camp de Gdeim Izik. Je vis dans ce monde surprenant où j'ai vu des femmes soulagées dans un premier temps d'apprendre que leurs maris allaient comparaître devant des tribunaux d'exception parce qu'elles les croyaient blessés ou disparus, puis dans un second temps, désespérées de les avoir vus méconnaissables. Un monde où j'ai entendu des déclarations d'enfants réclamant qu'on libère leurs pères emprisonnés depuis plus d'un an sans jugement, d'une mère en grève de la faim, trouvant plus indispensable de se battre pour la justice et l'avenir de son peuple plutôt que de rester en vie pour ses propres enfants. J'entends encore une jeune femme sahraouie, enseignant le français au camp d'El Ayoun, me dire sa joie d'avoir vu sa famille dans les territoires occupés pour la première fois de sa vie (dans le cadre des programmes d'échange entre camps et territoires occupés), me conter la surprise d'avoir vu une ville et l'océan également pour la toute première fois. Mais je ne pourrai oublier ses larmes lorsqu'elle a conclu: «Malgré les conditions de vie dans les camps, ici au moins nous sommes en sécurité, nous n'avons pas à souffrir des brutalités que j'ai vues là-bas !» J'ai rencontré dans les camps un peuple exilé, souffrant et espérant contre tout, curieusement libre de pouvoir exprimer ce mélange d'humanité. J'ai rencontré le Mandela d'Afrique du Nord, Mohamed Daddach, 26 ans de prison, Daffa, Dahane, Naciri, Tamek, Asfari, reconnus et récompensés comme défenseurs des Droits de l'Homme et non violents, et combien d'autres, tous emprisonnés et torturés qui, de leurs seules voix d'hommes, bien mieux que Voltaire, disaient: «Témoignez, témoignez de la vérité. Pour qu'il ne reste ni silence, ni mensonges ! » |