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Un dicton suisse affirme: «Quand on sait ce
qu'on sait, quand on voit ce qu'on voit, on a raison de penser ce qu'on pense.»
Oui on pense que la Suisse n'est plus ce pays neutre que l'on savait.
Désormais on voit qu'elle se met à l'heure ou à l'horloge de la cathédrale européenne de l'islamophobie. Les Suisses ont décidé par référendum à plus de 57% des votants d'interdire la construction de minarets, ce vote antiminaret montre une restriction injustifiée de la liberté de manifester sa religion. En créant cette controverse les Suisses n'ont fait que devancer une Europe qui s'apprête à lui emboîter le pas dans l'organisation de référendums aussi affligeants que désobligeants. Les partis politiques font leur paradis sur la crainte, la peur de l'autre, de l'étranger, d'une autre religion pour se détourner des questions sociales et économiques. Cet «air du temps» s'empare de l'Occident. Chaque pays y va avec sa couardise - désormais permise - à l'égard de la symbolique musulmane perçue comme le cheval de Troie d'une culture étrangère devenue trop envahissante et pressante. En somme, une trouille obsessionnelle: le burqa, les prières sur voie publique, le voile, la construction de mosquées, le mouton de l'Aïd ou le jeûne des sportifs musulmans. Pour ratisser large dans ce suffrage initié par la droite populiste, les politiciens à court d'arguments s'engagent dans la politique de l'intolérance au droit à la liberté de religion ou de conviction des membres de la communauté musulmane. Le message de ce vote dégage une discrimination évidente, on passe de l'harmonisation à la dissonance: oui au clocher, non au minaret. Cette interdiction dans un pays qui compte environ 400.000 musulmans [1] et qui était jusqu'à ce scrutin sans tapage antimusulman, dénote on ne peut plus clair que l'avenir des communautés musulmanes en général dans le vieux continent n'augure rien de bon. «Quand apparaissent des réalités nouvelles, nous avons besoin de reconsidérer nos attitudes, nos habitudes; parfois quand ces réalités apparaissent trop vite, nos mentalités demeurent à la traîne et nous nous retrouvons en train de combattre les incendies en les aspergeant de produits inflammables» [2] Au lieu d'inventer une laïcité équitable, où toutes les religions auraient les mêmes droits et les mêmes devoirs, l'Europe s'entête à faire de l'Islam son cheval de bataille à l'approche des manoeuvres électorales. Les sujets de controverse prennent déjà des allures vertigineuses dans toute l'Europe de l'Ouest: mosquée petite ou grande soit-elle, burqa ou voile. L'UDC [3] saute sur l'occase pour se propulser au devant de la scène politique suisse en menaçant «l'Islam deuxième religion du pays et bientôt première.» [4] L'argument-choc et le tour est joué. L'opinion bascule dans la terreur. La Suisse d'ordinaire plutôt réputée pour son multiculturalisme et sa tolérance sombre dans le relais de l'islamophobie pour relancer, de manière aussi brutale à travers ce vote antiminaret, le fameux «choc des civilisations». Que narrer de plus si l'Helvète met un coup d'arrêt aux minarets, si ce n'est que ce pays connu pour sa neutralité se retrouve à l'avant-garde d'une controverse aux forts remugles xénophobes. Un nouveau suicide de la «suissitude» est enclenché. Prendre un minaret pour un signe de puissance indiquant le caractère agressif de l'Islam ou d'un missile pointé en direction de l'Occident, c'est puiser dans le farfelu pour saupoudrer et alimenter sa pétoche. L'Alhambra, patrimoine mondial, existe toujours à Cordoue et ne représente pas une menace pour l'intégrité religieuse de l'Espagne. Un sujet aussi banal est transformé en une question d'avenir pour servir une politique extrémiste. Conséquence aux relents de peur et de rejet chez l'un et sentiments de dénégation, de frustration et de rebuffade chez le musulman, l'autre. En forçant cette fois-ci sur le système de consultation populaire et en obnubilant une donne incontournable qui dit qu'il y a aujourd'hui de plus en plus de musulmans européens de souche très convaincus, l'harmonie sociale qui régnait jusqu'à maintenant risque alors d'en pâtir dans l'avenir de ce pays. Ce qui est inaliénable dans une démocratie, ce sont les principes, pas les mécanismes car la dignité des minorités quelles que soient leurs croyances doit être respectée. Tout scrutin doit être conforme à cette exigence. Comme il est tout aussi contradictoire de s'ériger en donneur de leçon sur le droit d'asile et de liberté de manifester sa religion puis les refouler publiquement d'une manière autoconvictionnelle abjecte. En terme définitoire, le statut laïque d'un Etat ou d'une institution suppose son indépendance à l'égard des influences, hiérarchies et organisations religieuses [5] et n'autorise nullement ce même Etat à s'immiscer et à s'ingénier à répétition dans la gestion du culte dans ses moindres particularités. Dicter aux autres le respect des minorités et leurs valeurs et les piétiner chez soi en un tour de voix, c'est malheureusement piocher dans l'incongru par cette votation ségrégationniste. Un modèle de société fondé sur le respect, la cohésion et la solidarité entre citoyens est en train de s'effriter de jour en jour dans cette vieille Europe. L'attelage est dirigé vers la direction opposée du moment que la place du citoyen dans la société du pays d'accueil continue à dépendre de l'appartenance à telle ou telle communauté, ce réflexe perpétue inexorablement un système pervers qui ne peut qu'accentuer les divisions. En parallèle, le débat sur l'identité nationale en France multiplie les insinuations à l'égard des Algériens et des Français d'origine algérienne. La présence de «drapeaux étrangers» dans les mariages, les défilés de supporters de football et le sifflement de la Marseillaise lors de la confrontation footballistique algéro-française en 2001 constituent le répertoire argumentaire le plus redondant dans les discours des intervenants. L'hystérie aux emblèmes, particulièrement celui de l'Algérie, a poussé un député UMP [6] à proposer carrément l'interdiction des drapeaux étrangers lors des cérémonies de mariage. La flagrante caractéristique de la France d'aujourd'hui est celle qui préfère embaucher des médecins de l'Est de l'Europe non pas pour leurs compétences mais uniquement pour des raisons certes communautaires mais surtout religieuses. Lancer une campagne pour distinguer le vrai Français du faux ou interdire la construction de minarets verse dans le même amalgame pernicieux qui vise et stigmatise la même communauté. Ce débat sur l'identité, dont le niveau se dégrade sans cesse avec son unanimisme bêtifiant de peur et de rancoeur et se transforme au fil des séances tenantes en tribune antimusulmane. Les propos tenus contribuent à perpétuer des préjugés qui se sont avérés tout au long de l'Histoire, pervers et meurtriers. En faisant d'une casquette portée à l'envers un signe ostentatoire, la dernier sortie de la secrétaire d'Etat à la Famille du gouvernement français Nadine Marchiani édictant aux jeunes musulmans français la conduite à tenir, illustre indiscutablement le niveau de bas étage atteint par cette campagne construite sur une ségrégation néocoloniale. En revisitant l'histoire de l'Algérie colonisée, les propos du visionnaire écrivain Amin Maalouf retrouvent toute la résonance de leur charge sémantique dans ces assises de la bêtise. «Je n'ai jamais compris comment un Etat qui se disait laïc avait pu désigner certains de ses ressortissants par l'appellation «Français musulmans» et les priver de certains de leurs droits pour la simple raison qu'ils étaient d'une autre religion que la sienne...» [7] A vrai dire, il ne faudra plus s'étonner ni s'en offusquer à chaque dérapage d'un pays d'Europe. Cette configuration qui consiste à désigner la norme d'un côté et les exceptions de l'autre, n'a rien de troublant si l'on se réfère à l'histoire des événements politiques. On se rend compte que la démarche européenne ne souffre point d'incohérence. Les conquêtes de colonisation « civilisationniste ! », l'occupation de la Palestine, la destruction de l'Irak, le bombardement du Liban, le blocus et le massacre de Ghaza, les sanctions aujourd'hui contre l'Iran représentent des arguments manifestes du mensonge et de l'hypocrisie occidentale. Arguer aujourd'hui une campagne d'intolérance du fait de ce vote antiminaret, c'est se gourer pour ne plus percevoir que cette campagne a toujours existé sauf que la différence aujourd'hui est qu'elle devient de plus en plus indéniable dans ces dérapages du «politiquement correct». Posons-nous ces questions troubles qui font que ce sont ceux qui ont bénéficié de la tolérance du communautarisme qui prônent aujourd'hui l'identité ou le vote antiminaret à l'image du pourfendeur des minarets Oskar Freysinger de l'UDC, ou ce paradoxe d'aimer l'argent des autres mais pas leur religion. Attitude méprisante d'une tolérance au rabais. Quoi qu'il en soit, ce nouveau chocolat enrobé à l'intolérance, inventé à l'occasion de ces fêtes de fin d'année qui nous vient de Suisse, risque de fondre tous ses pairs, et de faire fondre la qualité des montres de ce pays ainsi que la prospérité de ses banques. Notes 1- www.la-croix.com/afp.static 2- Amin Maalouf. Les identités meurtrières, édition Grasset, 1998, p. 44 3- L'Union démocratique du centre (UDC) est un parti politique suisse de droite, moralement conservateur et économiquement libéral 4- www.lepoint.fr/content 5- http://www.europe-et-laicite.org/spip.php?article69 6- Union pour un Mouvement Populaire, parti politique français, il s'agit du député UMP de l'Hérault Elie Aboud 7- Amin Maalouf. Les identités meurtrières, op.cit.,p.154 *Universitaire ? Saïda |