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Un commentateur tunisien, dans une chaîne satellitaire arabe a bien
résumé l'évènement de la qualification de l'équipe algérienne de football au
Mondial de 2010, et les générations qui ont vécu le moment féerique mémorable
de la déclaration d'indépendance sont unanimes.
La jeunesse algérienne, dans une parfaite symbiose de l'équipe avec ses inconditionnels supporters, vient d'offrir au peuple entier, du sommet de l'Etat aux hameaux les plus reculés de nos montagnes, sa plus grande fête nationale depuis ce grand moment de «Birth of a nation», célébrant la fin d'un coma colonial de près d'un siècle et demi. A cause de l'image que lui ont collé les échecs répétés et sa sanglante tragédie, l'Algérie a du s'éclipser de la scène internationale, et renoncer à l'aura qu'elle avait durement acquise. Les enfants de l'indépendance, qu'on croyait détournés, ont recréé ce moment féerique en hissant très haut la Bannière vert-blanc frappée d'un croissant-étoile rouge. L'enjeu du feuilleton footballistique de ces derniers mois ne se limite pas au seul domaine sportif. Personne ne l'avait compris au départ parce que nul n'y croyait. Mais tout un peuple, réveillé par les premières victoires, l'a subitement perçu. Le tournant a été pris avec les félicitations de la Fifa pour le professionnalisme et l'esprit sportif de l'équipe, et le sang froid de son staff,malgré les erreurs d'arbitrage qui ont entaché le score de l'avant dernier match à Blida. La qualification en coupe d'Afrique avait été un triomphe, celle pour la coupe du monde une gloire. Les commentateurs, de toutes les nationalités, ayant suivi cette aventure se sont accordés sur le même constat ; ce qui devait être un simple match, aussi important soit-il, est devenu un duel entre deux pays, par équipes de foot interposées. Des deux côtés, dans un même but mais pour des raisons différentes, l'intérêt national et l'adrénaline collective sont montés crescendo. La compétition entre une Algérie qui ne s'est plus montrée à un tel niveau depuis un quart de siècle, et la grande équipe Egyptienne, plusieurs fois qualifiée en coupe du monde et maintes fois championne d'Afrique, a retenu l'attention des médias sportifs et des chancelleries dans une bonne partie du monde, dès la victoire au stade Mustafa Chaker à l'aller. Au retour, l'Algérie jouait son ambition, l'Egypte son prestige. Mais un prestige bien sonnant et trébuchant. Pour un pays, surpeuplé, victime de la « trappe malthusienne », qui tire de gros revenus de son tourisme et de son leadership arabo-africain, il jouait son va-tout. On estime que les 80 millions d'habitants que compte le pays, vivent à 95% sur les rivages du Nil qui représentent environ 5% du territoire. A elle seule, la capitale abrite près d'1 habitant sur 5, avec une densité moyenne, record, dépassant les 40 mille habitants au kilomètre carré, pouvant aller à plus du double dans certains quartiers. Aux problèmes démo-économiques, se sont ajoutés ces dernières années des soucis politiques sans précédents pour les stratèges du pouvoir en place. Pour le projet de la « Goumloukia» (1), la question est devenue: «to be or not to be». L'enjeu, pour l'Algérie, n'est pas, tout à fait de la même nature mais, néanmoins, tout aussi stratégique. Le rêve de l'étendard national, flottant au milieu de ceux des plus grandes nations, au festival international le plus suivi par l'humanité entière, n'avait jamais été aussi proche de la réalité depuis l'épopée mémorable des années 1980. Pour la politique de réconciliation nationale qui marquait le pas, ce fut une providence et un don béni. L'impact de la victoire a immédiatement retenti par des images et des écrits. Une chaîne maghrébine passe un opposant islamiste, hier opposant prônant la violence, aujourd'hui repenti, déclarant son amour retrouvé pour l'emblème nationale qu'il embrassait qu'il embrassait sur le plateau même et la presse nationale rapportait que des condamnés pour terrorisme demandaient, pour la première fois, l'avis des docteurs de la foi sur leurs actes dont ils doutent désormais. L'enjeu était d'autant plus important que le pays pourra envoyer, de nouveau, l'image positive tant espérée depuis longtemps, d'une nation qui gagne et qui fait la fête, après celle d'un peuple occupé à se faire violence et à l'exporter aux autres. Dans leur contexte arabo-africain commun, les deux pays jouaient gros, très gros. Le vainqueur sera suivi et supporté par tout le monde arabe dont il est le seul représentant et jouera sur le terrain de cet autre leader africain ; l'Afrique du sud qui, faut-il le souligner, s'est empressé de féliciter l'Algérie en signe de franc soutien dans son bras de fer. Par l'agression de l'équipe al-gérienne, les conditions psy-chologiques d'accueil atroces du séjour et la pression insupportable qu'ils lui ont fait subir, les responsables de la fédération égyptienne de football ont dénaturé la compétition. Ils devaient absolument gagner, parce que le contraire n'a jamais effleuré leur esprit un seul instant. Dussent-ils, pour cela, déchaîner leurs troupes et recourir à des méthodes que beaucoup de leurs compatriotes, parmi lesquels les meilleurs penseurs, écrivains, artistes, politiciens et gents du petit peuple de la bonne pâte du don du Nil, ont dénoncées au milieu d'un tintamarre invraisemblable. Les appels à la raison, outrés de ces derniers, vite noyés dans une pollution médiatique inouie, ne nous sont pas tous parvenus sinon parasités par la haine et la mégalomanie de pseudo-journalistes dont l'incompétence médiatique trahit la véritable nature professionnelle. Le président de la fédération avait harangué les foules quelques jours auparavant, après avoir dénoncé des prétendues pressions, agressions et autres intoxications alimentaires que l'équipe égyptienne et son staff auraient enduré à l'aller, sue le sol algérien. « Les Algériens vont venir, faites-en ce que vous voulez, l'important est que l'Egypte gagne» leur suggère-t-il en substance, sans aucune retenue. Devant l'escalade, les Algériens ont bien fait d'alerter la Fifa, demandant que le niveau de sécurité soit relevé à la hauteur des risques réels encourus. Les Egyptiens ont pris cela comme une vexation presque, en considération de l'image du pays et au nom des relations de fraternité entre les deux peuples, ont-ils expliqué. Les autorités algériennes n'étaient pas pour autant rassurées. La suite des évènements leur donnera raison. Dans le cortège de l'équipe nationale, à sa sortie de l'aéroport du Caire, ne se trouvaient pas seulement des journalistes algériens et égyptiens frères. Il y avait aussi une équipe de télévision d'un géant européen des médias, grand ami du pays des pharaons, s'il en est. Canal+ est la toute première chaîne privée à péage en France, appartenant au groupe Canal plus, filiale du Groupe Vivendi qui a pignon sur rue dans plusieurs domaines ; Edition, Sport, Cinéma, Divertissement, Show ? biz,?. Sa diffusion dépasse l'Europe et l'Afrique grâce au Canal Overseas LBF (Le Bouquet Français) qui arrose jusqu'en Australie et Vanuatu. Un coup de maître. La théorie ridicule de l'auto-caillassage ne tient pas une seule journée, même pas auprès des Egyptiens les plus fanatisés. Les Algériens ont vécu la machination comme une trahison aux us et coutumes partagés de l'hospitalité sacrée. A la colère, adoucie quelque peu par la sympathie de tout le monde médiatico-sportif à travers la terre, y compris dans la chasse gardée égyptienne du Golf, succède, très vite, la passion. Le Maghreb, en particulier, envoie des signes de soutien médiatique clairs, et le souverain marocain n'hésitera pas à féliciter le Président de la République le moment venu. De l'autre côté, à défaut d'imagination pour réparer le délit et rattraper ce qui peut l'être, on choisit la fuite en avant, c'est le désarroi général et le délire médiatique pitoyable. De rebondissements en dérapages, une compétition sportive entre deux équipes nationales de sport devient, pour le parti au pouvoir en Egypte, un problème politique dont la gestion médiatique a fait la gêne de la presse amie de Londres, Washington, Paris, et l'étonnement de toutes les capitales pratiquement. Les médias israéliens, non plus, n'ont pas raté l'occasion d'ironiser sur le cafouillage. Avec leurs gros sabots, certaines presse et télévisions, privées surtout, n'ont pas épargné le Soudan que les Egyptiens eux-mêmes avaient choisi, oubliant les efforts gigantesques qu'il a fournis pour réussir la sécurité et l'impartialité d'un bras de fer aussi explosif. Ils ont été sourds aux félicitations de la Fifa dès le dernier sifflet du match. Mais il n'y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre. L'être national Battre l'Egypte par une soirée ramadhanienne à Blida, a provoqué le déclic, bien que les rencontres passées, entre les deux équipes, ont toujours réussi aux algériens à domicile. C'est le frémissement d'un espoir indéfini et la démangeaison d'ambitions enfouies depuis longtemps chez les inconditionnels de l'équipe nationale, dans le détachement quasi général. Au fil des victoires successives qui ont suivi, l'intérêt naissant de tout le pays devenait chaque jour plus grand, mêlé cependant à une lancinante peur des échecs répétés. Les jeunes qu'on avait, un peu trop rapidement et quasi définitivement, assimilés à des cohortes de harragas en puissance, se sont massivement retournés vers le drapeau national, presque oublié, pour en arborer fièrement les couleurs, aux chants d'amour de la belle Algérie qui gagne. Ils ont inventé un nouveau derby ; A qui ornera son quartier du plus grand nombre de fanions et couvrira ses rues des plus grands drapeaux, procédant parfois, à des cotisations et le bénévolat. Même l'opération dite «un drapeau dans chaque foyer» que les pouvoirs publics avaient lancée auparavant avec de gros moyens médiatiques et financiers n'avait pas eu autant de succès. Vue d'avion, l'Algérie entière devait être réellement «Khadra». Ils ont réinventé aussi le cinéma populaire en plein air, sur l'écran géant du mur d'un bâtiment badigeonné, comme aux premières années de l'indépendance. La seule différence est que la grosse machine de projection de l'époque, transportée par un gros camion spécial, a été réduite à un minuscule vidéo-projecteur. A l'indépendance, on s'asseyait par terre, cette fois-ci il y avait des chaises pour ceux qui voulaient s'asseoir car le rassemblement commençait tôt pour l'échauffement et l'entrain. Les chaises, louées, avaient aussi nécessité des quêtes citoyennes. Le résultat est une ambiance où il fait bon se sentir chez soi. On s'y sent, allégrement, en totale sécurité dans une doucereuse convivialité. De mémoire de quinquagénaires, on a oublié les danses mixtes dans nos cités, même lors des mariages. Cette soirée-là, de charmants groupes de jeunes ont, en frères et sœurs comme on aimait bien s'appeler à l'indépendance, dansé pour une nation. Les vieux n'ont pas été en reste, à l'exemple de cette octogénaire, non voyante et presque grabataire, sortie pour expliquer comment elle terminait toutes ses prières en implorant la force divine de faire gagner l'Algérie pour que ses enfants et petits enfants gardent la joie de vivre qu'elle a perçu chez eux ces derniers mois, jamais auparavant. La manifestation festive d'un peuple est la meilleure expression de son bien-être national, son bonheur à vivre ensemble. Ceci est vrai pour les adultes, ça l'est particulièrement pour les jeunes. A la fleur de l'âge, le goût du nectar enivrant de la réjouissance est plus tenace. La fête est le meilleur remède pour soigner les plaies des malheurs. Les pays qui ont souffert de la guerre civile savent combien des moments pareils sont importants pour la réconciliation des belligérants d'hier. Grâce à l'évolution exceptionnelle d'une équipe, un staff technique compétent et l'appui indéfectible, serein et efficace des plus hautes autorités du pays, ce moment, rare dans la vie d'un peuple, est arrivé. La suite importera moins que l'effet. Encore en sueur, celui que l'on appelle tendrement Rabah (ou) Saadane (gagnant (et) heureux en arabe, en même temps le (ou) est une particule amazighe d'appartenance lignagère presque de noblesse) appelle à «garder pieds sur terre». Par ce conseil, celui qui devrait être le plus euphorique, nous interpelle par le courage de sa sagesse et l'humilité des grandes âmes. Il y a des siècles, El Moutanabbi déclamait : « Mil a ?ssanabili tanhani touadou'an ouel fa righatou rou oussouhounna chouamikhou » (littéralement : les épis bien pleins sont par modestie révérencieux, les vides au contraire sont hautains, la tête très haut montée). Quel bel exemple de réalisme gagnant lorsqu'il déclare, après le tirage au sort pour la formation des groupes : « Nous avons des chances d'aller au deuxième tour » tout simplement dans l'ambiance de l'excitation générale. Le ton serein du travailleur infatigable et la persévérante détermination dans le regard dévoilent le secret de la réussite. Le sens du duel algéro-égyptien La première victoire sur l'Egypte a été le start up d'une épopée qui va insuffler une énergie rarement observable à tout un peuple et son porte-drapeau ; l'équipe nationale. Pour une partie de l'opinion algérienne, la passion s'explique par ce qui s'est passé au Caire en 1989 et l'injustice faite à la star nationale de l'époque. Les Egyptiens aussi, ont, presque tous, pensé à ça. Ils ont dépêché une équipe de télévision à Mascara pour lui rendre visite et l'inviter au Caire. Pour les plus avertis, ce n'était, après tout, qu'un évènement supplémentaire. L'histoire de l'amour-friction algéro-égyptienne date de plus longtemps. En filigrane se dessinait, pour d'autres, l'affaire du sommet de la ligue arabe à Alger et les propositions algéro-maghrébines d'un secrétariat tournant et d'une répartition plus démocratique des activités institutionnelles. Des chuchotements évoquent une plus vieille brouille avec un leadership égyptien-frère un peu trop envahissant. Du côté égyptien, d'aucuns trouvent finalement que le «petit frère» algérien est bien ingrat. D'un côté comme de l'autre, des esprits sont allés encore plus loin, essayant de trouver raison au pourquoi d'une opposition originelle, vraie ou supposée, entre amazigho-afro-arabes et arabo-afro-égyptiens. A suivre 1 Un néologisme, élaboré par des intellectuels égyptiens à partir des termes arabes Goumhouria (République) et Mamloukia (royauté), une sorte de république monarchique, allusion faite à la désignation du fils du Président au poste de chef du parti au pouvoir en vue de sa candidature, quasi certaine, aux présidentielles prochaines. |