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Le déclenchement
de l'action armée, le 1er novembre 1954, a été indubitablement, pour les
Algériens, le point de départ
d'une nouvelle ère. En effet, la révolution naissante s'inscrivait en totale rupture avec l'ancien régime, la domination coloniale. Bien que l'occupation du pays ait été longue et douloureuse, les Algériens de leur côté ont refusé d'entériner le fait accompli : la soumission pure et simple aux lois du conquérant. Ainsi, les Algériens avaient résisté militairement, jusqu'au début du XXème siècle, à la conquête de leur pays, et ce de façon ininterrompue. A partir du milieu des années vingt, une nouvelle forme de combat a été envisagée par les nationalistes. C'était l'avènement du combat politique. Néanmoins, une partie de la population était réticente à cette forme de lutte. Et même au sein du principal parti nationaliste, le PPA-MTLD (le Parti du Peuple Algérien - le Mouvement de triomphe des Libertés démocratiques), ceux qu'on appelait alors les durs étaient opposés à la moindre compromission avec le colonisateur. Cette catégorie, pour imposer sa vision, avait du pain sur la planche, aurait-on dit en hexagone. Car, il y avait le système colonial répressif, d'un côté, et il y avait certains militants nationalistes disposés à jouer le jeu politique, de l'autre côté. Mais aussi, il fallait organiser une société meurtrie par la domination effrénée des plus réactionnaires des Français, les colons. L'historien, Mohamed Harbi, a décrit la situation des Algériens avant le déclenchement de la guerre de libération en notant à juste titre: «A la fin du siècle [Il entend le XIXème siècle] la destruction de la société est achevée. Sous les coups des expropriations de terre et des effets de la distribution la société algérienne s'effondre.» Cependant, la question qui se posait à ce moment-là était de savoir à quel parti fallait-il faire confiance pour recouvrer l'indépendance nationale ? En effet, plusieurs partis ont fait leur apparition sur la scène politique. Mais un seul d'entre eux, le PPA-MTLD, revendiquait sans ambages l'indépendance nationale et la lutte armée comme moyen d'y parvenir. Mais lorsque ce parti a connu sa plus grave crise, à partir de 1953, opposant le président Messali aux membres du comité central, les activistes ont réussi à rassembler le peuple sous l'égide d'un seul parti, le FLN (Front de Libération Nationale). Ce parti a su transcender les difficultés en tirant sa force dans en moins deux aberrations de l'époque : les injustices de l'occupant et les limites du combat politique. Echec de la politique coloniale Le système colonial n'était pas philanthropique comme le supposaient ses concepteurs. Son action était dirigée dans le sens de l'exploitation des diverses ressources, humaine et matérielle, dont disposait le pays conquis. Du coup, on peut l'affirmer sans avoir le moindre doute que la colonisation française n'avait pas pour objectif d'assurer l'épanouissement de la nation algérienne. En effet, pour aider un pays à se développer, il faudrait que l'effort de scolarisation et de formation soient tout de même importants. Or, et c'est là que le bât blesse, le résultat sur ce point a été plus que décevant. Bien qu'il ait eu des écoles pour les «indigènes», 94% chez les hommes et 98% chez les femmes étaient illettrés en français, la majorité des colons était contre cet effort de scolarisation. Certains colons étaient moins opposés à la scolarisation des Algériens à condition qu'il puisse tirer un avantage de cette entreprise. Dans «Algérie: histoire contemporaine», Benjamin Stora a noté à ce propos : «Certains représentants des colons considèrent que l'instruction des indigènes fait courir à l'Algérie un véritable péril. Ils suggèrent, en 1884, que l'enseignement doit avoir pour but de procurer aux colons des valets de ferme, des maçons et cordonniers adroits.» Par conséquent, poursuit-il, en 1954, sur 1250000 enfants d'âge scolaire chez les Algériens musulmans, plus de 100000 reçoivent l'instruction primaire dans 699 écoles. Chez les Européens, 200000 enfants se rendent dans 1400 écoles. Par ailleurs, depuis que l'Algérie a été proclamée «terre française», les Algériens ont perdu leurs terres arables au profit des colons. Les chiffres auxquels faisaient allusion Charles Robert Ageron sont hallucinants. Dans son livre «histoire de l'Algérie contemporaine», il a avancé des chiffres qui étayent, si besoin est, la domination colonialiste : «En 1954, la colonisation possédait 2726000ha, répartis entre 22037 exploitations...6385 exploitants possédaient à eux seuls 2381900ha soit 87% des terres de la colonisation et obtenait 70% des revenus bruts. Au total, l'agriculture européenne qui intéressait moins de 10% de la population européenne percevait 55% de la valeur de la production algérienne totale (production animale et végétale), et 60% de la production végétale seule.» Ainsi, avec d'autres bourgeois dans l'industrie, ces derniers ont pu constituer un lobby très puissant. A mainte fois, ils ont réussi à influencer la décision de Paris sur de nombreux sujets. De l'autre côté, une population neuf fois supérieure nageait dans des difficultés multiformes. A l'accaparement de ses terres par une minorité colonialiste, il s'y ajoutait l'absence totale des investissements dans les régions où il n'y avait pas de colons. En un mot, il n'y avait aucune perspective politique d'avenir. Et le risque de ne pas voir la naissance de leur Etat compromise, quand ces représentants n'arrivaient pas à dépasser les querelles partisanes, a découragé la base. L'impossible aboutissement politique La France a célébré, en 1930, le centenaire de la colonisation en grande pompe. Cette manière humiliante a provoqué une onde de choc ayant heurté véritablement la sensibilité des Algériens. Ainsi, en étant exclus de la cité française (pour reprendre l'expression de Harbi), les Algériens n'avaient d'autres alternatives que de construire leur propre Etat garantissant à tous ses enfants les droits élémentaires. Et surtout, ils devaient le construire en mettant en avant leur propre identité. Car les différents statuts qui ont régi la colonie jusque-là étaient tous impartiaux, y compris celui de 1947. Celui-ci a été élaboré pour récompenser l'effort de guerre des Algériens à la libération de la France lors de la seconde guerre mondiale. Malheureusement, le statut a sauvegardé, de façon substantielle, les intérêts de la colonisation. A la découverte de son contenu, les Algériens l'ont jugé injuste et inacceptable. Cette hostilité a boosté les électeurs à offrir leurs voies aux partis nationalistes en leur donnant une victoire écrasante aux élections locales d'octobre 1947. Par ailleurs, la période qui a suivi ces élections n'était pas de nature a encouragé la poursuite du combat politique. En effet, le gouverneur de l'époque, Yves Chataigneau, jugé trop libéral par les colons, a été remplacé par le socialiste Edmond Naegelen. Son nom est désormais associé au trucage des élections. En tout cas, il a permis la victoire aux élections du second collège à 41 des 60 candidats de l'administration. Il faut rappeler que le parlement, selon le statut de 1947, comprenait deux collèges. Le premier collège regroupait 522000 personnes de statut civil français et le second comprenait, quant à lui, plus de 1500000 Algériens âgés de 21 ans au plus. Le jour du vote, Naegelen a faussé le jeu électoral en procédant au bourrage, sans vergogne, des urnes. Dans les grandes villes comme Blida, Cherchell, ce sont des urnes déjà pleines, a écrit Y.Courrière, que l'on a apporté au matin du 4 avril. A Ain El Hammam, l'administration n'a pas jugé opportun de convoquer les électeurs. Le paroxysme a été atteint lorsque 36 des 59 candidats du PPA-MTLD ont été arrêtés. Ainsi, si le statut quo arrangeait les colons, les nationalistes ont été submergés par le désespoir abyssal. Toutefois, la tergiversation des dirigeants a retardé moult fois l'échéance. En revanche, depuis le premier congrès du PPA-MTLD (février 1947), une partie des militants ne croyait plus à la politique de replâtrage. Regroupés au sein de l'OS (organisation spéciale), ces durs ne pensaient qu'à en découdre avec le système colonial. Ce moment est survenu lorsque le comité central a décidé de participer à la gestion des municipalités avec des représentants modérés de la colonisation tel que Jacques Chevalier, maire d'Alger. En septembre 1953, Messali, président du parti, a exigé les pleins pouvoirs pour redresser le parti. A partir de décembre, la base s'est saisie du sujet. Comment ressouder les rangs du parti était la question qui préoccupait la base ? Entre messalistes et centralistes, les activistes ont proposé une voie qui répondait plus à leurs desiderata : la lutte pour l'indépendance. L'action armée pour surmonter la crise L'échec du combat politique a donné raison plus tard aux tenants de la troisième voie. Bien qu'ils aient été militants du parti, les politiques essayaient, autant que faire se pouvait, de les éloigner de la vie du parti. Ils ont même été interdits de participer au congrès du PPA-MTLD en 1953. De 1947 à 1954, faute de ligne claire, le PPA-MTL vivait en état de crise, a estimé Mohamed Harbi. Cependant, bien que l'organisation spéciale ait été dissoute en 1950 pour protéger le parti, après son démantèlement par la police française, le conflit opposant Messali au comité central a permis le retour sur scène des ossistes. En effet, le 23 mars 1954, une réunion à l'école al Rachad a donné naissance au CRUA (Comité Révolutionnaire pour l'Unite et l'Action). Selon Gilbert Meynier, dans « histoire intérieure du FLN», l'orientation du CRUA avait pour mission de réunir toutes les tendances du mouvement national en vue de préparer le passage à l'action armée. Leur dénominateur commun était la lutte armée pour parvenir à l'indépendance du pays. En revanche, sur les responsables du déchirement du mouvement national, les activistes ne désignaient pas un seul responsable. Si la plupart des activistes n'estimaient pas opportun d'accorder les pleins pouvoirs à Messali, les maquisards du Djurdjura, à leur tête Krim Belkacem et Ouamrane, étaient plus proche de ce dernier. Ce qui expliquerait leur absence à la réunion des 22, tenue le 25 juin 1954 à Alger, bien que, dés mai, la liaison ait été établie avec eux. Cependant, une fois les derniers détails ont été peaufinés, l'Algérie s'est réveillée le matin du 1er novembre 1954 avec une série d'actes visant les intérêts de la colonisation. Ainsi, de l'est à l'ouest, une trentaine d'attaques ont été perpétrés concomitamment sur le territoire national. La coordination des actes ne pouvait pas ne pas renseigner les responsables coloniaux sur l'étendue de l'organisation. C'était en fait l'empreinte du parti qui a permis au peuple algérien de se libérer du carcan colonial. En revanche, cela ne pouvait pas se réaliser sans la grande participation du peuple qui n'attendait que le moment propice. Car, selon Harbi, le terrain était favorable. Pour lui : «la base ne pensait qu'à l'action. Pour cette raison, toute entreprise qui pourrait rompre avec le byzantinisme où s'enfonçait les discours avait des chances de succès». Finalement, malgré la division tant douloureuse des politiques algériens au sein du principal parti nationalistes, l'histoire ne retiendra que l'immense oeuvre de ses meilleurs fils : la libération du pays. |