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Un peu d'humour
ne faisant jamais de mal, les faits relatés ci-après ne sont qu'une histoire imaginaire
mais c'est tout de même au lecteur de décider si elle est crédible ou pas.
La salle de conférence du Grand Hôtel d'Alger est comble. De partout dans la capitale, de toute l'Algérie et même d'ailleurs, les gens se sont déplacés pour assister à la conférence du Dr Dirwalou, grand sociologue de renommée internationale. Dans quelques minutes, l'expert installé aux Etats-Unis va présenter le compte-rendu de sa dernière recherche qui, selon la revue The New Sciences, " aurait pu lui ouvrir la voie du Prix Nobel de sociologie si cette récompense avait existé". Voici donc Dirwalou qui s'installe à son pupitre d'orateur avec, derrière lui, un immense portrait présidentiel accroché à une lourde tenture de velours rouge et vert. Une chose normale puisque la conférence, comme toutes les manifestations d'envergure, a été placée sous le haut-patronage du raïs. " Mes chers compatriotes, mes chers amis, commence-t-il. Je suis heureux d'être enfin de retour dans mon pays natal. En le quittant, il y a trente ans, je n'étais qu'un boursier parmi tant d'autres et je ne me doutais pas que mon absence durerait autant. En tous les cas, je suis fier d'aborder devant vous le résultat de travaux qui ont duré plusieurs années. Je ne vais pas faire de grands discours et voici donc le point essentiel : contrairement à ce que l'on pense, l'être humain ne connaît que trois grandes familles d'états émotionnels. D'abord, la tranquillité qui lui permet, entre autre, d'être gentil, avenant et serviable. Ensuite, le stress, qui le rend vite désagréable et peu disponible. Enfin, il y a la colère qui peut le mener à tout y compris l'irréparable. " L'assistance est impressionnée. On entend quelques applaudissements mais plusieurs voix réclament un exemple concret. Le sociologue brandit alors un téléphone portable dernier-cri aux reflets argentés ce qui provoque quelques sifflets admiratifs. " Je vais appeler un numéro au hasard, annonce Dirwalou en précisant que la conversation sera relayée par les haut-parleurs disséminés dans la salle. A peine quelques secondes et l'on entend une sonnerie suivie d'un allô à la fois viril et pâteux. - Allo, Kader ? interroge le docteur. Surprise à l'autre bout de la ligne. - Ah non, makache, pas de Kader ici ! - Ah smahli khô. Je suis désolé. Je me suis sûrement trompé de numéro. - Ya pas de problème, khô. C'n'est pas grave. Dirwalou raccroche et s'adresse à la salle. - Voilà donc un exemple du premier état. Passons maintenant à la deuxième phase. Je rappelle la même personne. Nouvelle sonnerie, nouvel " allô ", toujours viril mais un tantinet plus agressif. - Salut Kader ! lance le docteur en criant comme s'il parlait à un ami perdu de vue depuis très longtemps. - Je viens de te dire qu'il n'y a pas de Kader ici ! hurle l'autre. T'es mbouchi ou quoi ? - Ah, smahli, s'excuse le docteur d'un ton catastrophé. Pardon, pardon ya khô. Je suis désolé, ajoute-t-il avec empressement. Vraiment désolé. Pardon pour le dérangement. - D'accord, d'accord, bougonne l'autre mais vérifie ton numéro s'il te plaît. - Oui, oui, et encore pardon. Satisfait, Dirwalou raccroche, boit un verre d'eau minérale importée puis dit: - C'était donc le deuxième état. Maintenant, nous allons passer au troisième état. Si parmi vous, il y a des personnes sensibles, qu'elles quittent la salle ou qu'elles se bouchent les oreilles car ce qui va suivre ne sera pas beau à entendre. Il appuie ensuite sur la touche bis de son téléphone et prend une grande inspiration. Cette fois, c'est un allô belliqueux qui lui répond. - Kadeeeer ! Khouya ! s'exclame Dirwalou. Mon frère ! Ça fait longtemps! Ouèche, c'est quoi ce silence ? - Que Dieu maudisse la religion des parents de ta mère hurle l'autre. Espèce de fils de ?, j'vais venir te ? pour t'apprendre à te moquer de moi et je vais t'éclater le? Le docteur coupe la conversation et donne quelques minutes à la salle pour qu'elle reprenne ses esprits. Il va pour livrer ses conclusions quand une main se lève avec insistance. C'est un doctorant en sociologie de l'université de Mascara qui veut intervenir. Après quelques hésitations on finit par lui tendre un micro. - Félicitations docteur, dit-il mais? pardon? Je m'excuse hein ? Mais votre étude est incomplète parce qu'elle oublie de mentionner le cas particulier des Algériens. - Quel cas particulier ? s'exclame Dirwalou à la fois surpris et irrité. - Oui, c'est bien un cas particulier. Vous ne le savez pas parce que ça fait longtemps que vous avez quitté le pays mais les Algériens connaissent aujourd'hui quatre états possibles. - Quatre états ? gronde Dirwalou de plus en plus fâché. C'est quoi encore que cette invention ? - Si, si, je ne vous raconte pas de sottises, jure l'autre. Prêtez-moi votre téléphone, je vais vous en donner la preuve. Le doctorant soupèse l'objet sous l'œil inquiet de Dirwalou puis tâtonne un peu avant de trouver la touche bis. Souffle coupé, l'assistance entend de nouveau la sonnerie retentir dans les haut-parleurs. Cette fois, le allô est rageur mais pour qui sait tendre l'oreille, on discerne tout de même une pointe d'accablement résigné. - Allô, kho ? Kader à l'appareil, dit le doctorant avec assurance. Pardon, hein, on ne se connaît pas et j'mexcuse de te déranger. Dis-moi, est-ce que par hasard quelqu'un m'a appelé sur ton téléphone ? - Oui, répond l'autre en laissant échapper un soupir plaintif. Trois fois ! - Trois fois ? Je suis désolé ! Ça doit être mon cousin Nabil. Je vais l'appeler. - D'accord. Dis-lui de bien noter ton numéro et de ne plus m'ennuyer s'il te plaît. - Promis. Pas de problème. Excuse-moi encore. Le doctorant raccroche et lance un regard satisfait au Dr Dirwalou : - Voilà monsieur le professeur, triomphe-t-il. Vous venez d'avoir la démonstration qu'il existe bien un quatrième état émotionnel chez les Algériens, celui du blocage mental post-traumatique ! P.S : remerciements à Salim A. qui m'a livré une version (moins soft?) de cette histoire. |
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