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« Plus qu'un
simple regroupement d'universités ou un vœu pieux, les pôles ont su trouver
leur rôle. Ils redynamisent une vie étudiante parfois moribonde sur les campus,
sont souvent à la source de projets originaux, et permettent de renforcer les
liens des établissements avec les collectivités territoriales ». AMUE. Pôles
universitaires : quand l'union fait la force 13 octobre 2003.
Dans une société en pleine évolution, l'université se trouve au cœur de demandes très diversifiées : formation répondant aux exigences de la société, formation ouvrant de réelles perspectives aux étudiants concernant l'employabilité, recherche toujours actualisée et valorisée (dialogue entreprises-université), demandes citoyennes posées par les défis sociotechniques (dialogue recherche-société)... L'université se trouve donc à l'interconnexion de plusieurs systèmes d'objectifs différents mais complémentaires poussant le plus souvent à traiter l'instabilité, l'évolutivité et la complexité qui en résultent. Personne ne peut nier la place qu'occupe l'université (j'utilise ici le mot « université » pour désigner tout type d'établissement de l'enseignement supérieur (université, école, centre universitaire, institut...)) dans les prises de décision stratégique d'un pays. La ressource « compétence » qui s'y trouve est aujourd'hui plus précieuse que jamais, qui fournit un avantage concurrentiel, elle est conçue, aujourd'hui, comme un levier indispensable dans tous les domaines, afin de maintenir un avantage d'existence d'abord puis concurrentiel ensuite dans le contexte économique, technologique et social. Cette université qui est considérée comme un des plus complexes systèmes, une complexité qui réside dans son fonctionnement pour des objectifs bien définis, dans la diversité de ses parties prenantes (responsables, enseignants, étudiants, personnel administratif, les parents d'étudiants, le monde socio-économique...) et surtout dans la finalité tant attendue de satisfaire les besoins de toutes ses parties prenantes. L'université est l'un des rares systèmes où le client est confondu avec le propriétaire et l'utilisateur, où l'utilisateur peut être propriétaire, ce qui rend notre système « université » encore plus complexe. Est-ce qu'elle continue à fonctionner de la même manière qu'auparavant ? Aujourd'hui beaucoup de données ont changé, notre mode de vie devient de plus en plus dépendant des nouvelles technologies. La concurrence internationale devient tellement rude (dans tous les domaines) que des changements stratégiques s'imposent dans les méthodes de management et de fonctionnement. L'université, productrice de « compétences », n'échappe pas à cet effet. Elle ne peut pas rester isolée, en train de souffrir toute seule. Elle doit s'intégrer dans des démarches ensemblistes, globalistes qui lui permettent de subsister et de jouer son plein rôle. Elle doit s'ouvrir, plutôt s'associer à d'autres systèmes. Oui l'université ne peut être qu'un système qui est complexe de par son fonctionnement, ouvert sur les autres systèmes de par ses interactions, dynamique de par les évolutions que connaît le monde et très influencée par son environnement interne, externe, technique... Regarder l'université ainsi, cette vision systémique, permet surtout de fournir l'intelligibilité qui permet de comprendre l'ensemble du système « université » et d'expliciter sa finalité, son organisation et ses interactions avec son environnement. Ces interfaces qu'on a toujours tendance à négliger et qui constituent la clé de la réussite de tout système, se font généralement par des activités liées au fonctionnement du système. C'est pour cela que la vision systémique, le plus souvent pour une bonne optimisation, s'intéresse à la « fonction » avant la « forme ». Tout doit être vu comme des entités liées et doit être étudié selon ce concept ensembliste. C'est bien de réduire le nombre de domaines de l'enseignement supérieur, de limiter le nombre de filières et de spécialités, mais quel serait le vrai impact sur la qualité de l'enseignement lui-même, sur la structure administrative actuelle de l'université, sur la présence de l'université à l'échelle local, régional, national et international, sur l'autonomie de l'université... Est-ce vraiment une priorité actuelle. Notre grand problème est que souvent on regarde localement, ce que les spécialistes appellent l'approche bottom-up où la notion de « deliver it now and fix it later » (le livrer maintenant et le fixer plus tard) reste très dépassée ces temps-ci et ne donne plus de résultats acceptables. On essaye de trouver des solutions en ne considérant que le point spécifique à étudier, sans se soucier des conséquences sur les autres composants. En réduisant les domaines, on va sûrement engendrer des financements conséquents. Est-ce que c'est vraiment justifié ? Ne dit-on pas que dans certains projets il ne faut surtout pas négliger l'alternative « Ne rien faire pour le moment » car la mise hors service d'un système peut coûter beaucoup plus cher que de développer un autre système. La définition des priorités doit être revue pour des objectifs d'amélioration de qualité et de satisfaction de toutes les parties prenantes. Le seul souci de « visibilité » ne va pas, à mon avis, résoudre nos problèmes qui nous sont spécifiques. La priorité est peut-être ailleurs. Je ne dis pas qu'il faut négliger le paramètre « visibilité », non, mais il ne faut pas qu'il soit le paramètre principal sur lequel on doit bâtir toute une stratégie. La connaissance de ce seul paramètre nécessite des thèses et des thèses de doctorat, et ce n'est pas en quelques semaines ou bien en quelques actions prises à la va vite qu'on va le maîtriser et le comprendre. Actuellement, les plus grandes écoles et universités à travers le monde misent sur l'apprentissage, l'employabilité, l'internationalisation, le renforcement des liens avec l'entreprise, l'entrepreneuriat, l'optimisation des ressources humaines et matérielles afin d'arriver à l'excellence et permettre aux étudiants de concrétiser leur projet. L'évolution permanente et rapide des techniques et technologies, des outils, des réglementations...etc. imposent de relever le défi de la « bonne formation » dans l'enseignement supérieur, une formation non seulement de qualité mais qui ne doit pas aussi coûter très cher vue la situation économique. Le temps des grands investissements, dans tous les domaines, est révolu. L'Etat algérien a tellement investi dans le domaine de l'enseignement supérieur, qu'on trouve par exemple dans nos laboratoires actuels des équipements de dernière génération souvent sous-utilisés. On trouve des fois les mêmes équipements, les mêmes compétences, les mêmes formations dans des universités, voire dans des facultés très proches. Aucun bilan financier sur l'investissement. Acheter pour acheter ou former pour former. Le monde actuel est en train de muter vers des approches plus ensemblistes regroupant autant que possible des personnes (ou entités) pouvant s'investir autour d'objectifs communs dont le plus prisé est celui de l'économie. On parle alors de regroupements, de fusion, d'alliances, de pôles universitaires, de pôles d'excellence, de pôles universitaires d'innovation, de pôles technologiques, de pôles thématiques... Certains pays développés ont compris ceci, il y a plus d'une cinquante d'années. Dans le milieu des années 80, l'université où je préparais ma maîtrise, à l'étranger, proposait déjà avec la collaboration d'une autre université un programme conjoint (Joint program) de maîtrise et de PhD (les études sont chèrement payées dans ce pays) où nous pouvions choisir le contenu de notre formation par semestre des deux universités en même temps, alors qu'on était réellement inscrit que dans la première université. Cette démarche s'est imposée à travers le temps et à travers tous les domaines. Que d'entreprises se sont mises ensemble pour plus de profit. Le cas des compagnies aériennes est très instructif. On les appelle les « alliances », les plus grandes alliances aujourd'hui : Oneworld, Star Alliance et Skyteam qui regroupent de nombreuses compagnies et dont l'impact était direct, plus de la moitié des vols réguliers sont assurés par ces alliances. Même l'organisation d'une coupe du monde de football n'est plus l'affaire d'un seul pays, plusieurs pays s'unissent actuellement pour l'organiser de façon efficace et surtout économique et rentable. C'est cette idée de regroupement que propose notre ministère à travers la création de pôles universitaires algériens. Dans cette démarche, il faut juste préciser la spécificité de l'université, sa complexité et ses exigences. En effet, il y a une étroite relation entre la réussite totale d'une université, à atteindre ses principaux objectifs et la réussite de l'acte lui-même tant pédagogique que de recherche qui doit être une partie d'un ensemble de fonctions qui contribueront toutes à répondre aux exigences de l'université. C'est dans ce contexte que je propose cette modeste réflexion qui vise surtout à donner quelques éléments intéressants qui peuvent aller dans le sens de l'amélioration du système « université » existant tout en se focalisant sur le point soulevé en question. Avant cela, j'aimerais préciser que quelles que soient les décisions prises, elles doivent tenir compte de l'organisation pédagogique, de recherche, administrative, réglementaire...et pourquoi pas aussi géographique, des différents établissements formant le pôle. Une telle démarche va sûrement impacter les traditions spécifiques à chaque établissement et surtout engendrer des dépenses financières à ne pas négliger. Le coût et le temps seront alors d'une autre dimension et importance. Tout d'abord un pôle universitaire est un regroupement d'établissements d'enseignement supérieur et de recherche. Le but principal recherché au début de l'apparition de l'idée dans certains pays est de créer des entités plus visibles à l'échelle internationale où les différents classements ont été visés. L'idée a pris beaucoup de temps de réflexion et de préparation pour se concrétiser dans ces pays. Se regrouper c'est bien, c'est la mutualisation des équipements, des efforts...mais comment se regrouper ? C'est ça la question. D'ailleurs, les statistiques montrent que la plupart des regroupements actuels dans le monde visent beaucoup plus la création de pôles de recherche qu'autre chose. On se regroupe pour faire de la recherche ensemble, recherche consommatrice d'équipements lourds et de compétences plus pointues. Très rares, on se regroupe pour la formation et la pédagogie. Alors, qu'est-ce qu'on cherche réellement, nous, à travers ces regroupements et surtout est ce qu'on est prêt pour le faire. Si les pays anglo-saxons ont des traditions et d'anciens réflexes dans les regroupements c'est surtout grâce au système d'enseignement supérieur adopté par les universités qui est un système très décentralisé et que les établissements d'enseignement supérieur sont très autonomes. Chose que les établissements des pays francophones ne le sont pas et que les tentatives de regroupement n'ont pas donné les résultats attendus, au point où l'idée a été remplacée, quelques années après, par la notion de « fusion » d'universités existantes. C'est le cas par exemple des universités de Strasbourg, Montpellier, Marseille, Lille... Est-ce qu'on va dans ce sens ? Est-ce qu'on ne doit pas prendre plus de temps pour la réflexion et surtout donner plus de temps et de données supplémentaires pour les responsables des universités qui vont constituer le futur pôle au lieu de les presser à donner des scénarios de regroupement à la va-vite ? Ne ratons pas SVP l'opportunité et essayons de réfléchir mûrement. L'importance du projet nécessite beaucoup plus que ça. Il faut partir de la grande question : que va nous ajouter la création de pôles universitaires, sur tous les plans ? D'abord, quels sont les critères qui vont nous aider à créer des pôles universitaires. Premièrement, la complémentarité. En effet, on peut se regrouper pour combler les vides des uns et des autres et pour offrir plus d'opportunité à nos étudiants tant en formation qu'en recherche et innovation. A travers la complémentarité, on cherche beaucoup plus la transversalité au lieu de la spécialisation, car cette dernière est plus pour les pôles d'excellence que les pôles classiques. La complémentarité se verra dans les filières et spécialités, dans les équipements pédagogiques et de recherche, dans les compétences d'encadrement et dans les thématiques de recherche. D'ailleurs, dans cette dernière, on a déjà pensé à la création des fameuses « écoles doctorales » qui n'ont jamais vu le jour ? Cette complémentarité va induire des mobilités, des prises en charge, du consommable de laboratoire et surtout des textes règlementaires. Je pose la question comment ? Deuxième critère : création d'une « force » locale ou régionale dans la prise des décisions stratégiques de la région. Le pôle doit constituer un repère pour tous les autres domaines et surtout pour le développement économique social et technologique de la région. Là, l'interface entre le pôle universitaire et les autres secteurs doit être, d'abord bien conçue puis bien développée pour s'imposer en tant qu'acteur principal. Troisième critère, l'engagement du top management. Un critère à ne pas négligé, puisque dans tout changement il y a de la résistance. La sensibilisation, la participation, la formation restent essentielles dans ce type de projet. Quatrièmement, la présence d'un tissu économique et social fiable et puissant avec des objectifs communs avec le pôle universitaire. L'implication de ce tissu est primordiale. Reste comment l'impliquer, l'intéresser et surtout qu'est-ce qu'il va gagner ? La notion de gagnant-gagnant est défendue par tout un chacun. Est-ce qu'on a prévu ceci dans l'idée de création de ces pôles ? C'est aux universitaires de faire le nécessaire. Cinquièmement, la position géographique. En effet, plus on est proche et plus on va économiser. Pour des établissements éloignés les uns des autres, il faut peut-être privilégier d'autres formes de coopération comme les partenariats ou les conventions. Sixièmement, la catégorie, l'importance et la « classe » des établissements à former le pôle. En effet, il ne faut pas tomber dans le jeu classique où généralement on se retrouve souvent dans la situation de « tirer vers le bas » et essayer de mettre certains établissements à la même échelle que d'autres au lieu de développer mutuellement les compétences et aller toujours vers l'avant. Dans ce type de regroupement il y a toujours un qui tire et l'autre qui est tiré. Le cas de l'Union européenne qui s'est étendue à d'autres pays est plus qu'instructif. A partir de ces critères, on se pose la question. Est-ce qu'on est vraiment prêt ? Dernier point, qu'est-ce qu'on attend de ces pôles universitaires. Commençons d'abord par poser cette question à toutes les parties prenantes de l'université. Le point qui mérite vraiment d'être défendu à travers ces regroupements (à mon avis le plus important et le plus prioritaire) est la mutualisation des moyens pédagogiques de recherche et des ressources humaines. On est dans l'ère de l'économie, de l'investissement ciblé et justifié et de l'économie circulaire. A mon avis, le regroupement doit tourner autour de ce point. Un deuxième point qui peut être pris en considération est la mise en valeur d'une troisième mission de l'université à côté de celles de l'enseignement et de la recherche. C'est la mission « Services à la collectivité », à travers laquelle le pôle participera au développement local ou régional. On a beaucoup parlé de la relation université-entreprise, relation université-collectivités locales mais on a rarement dépassé le stade de la signature de conventions. Voilà un chantier très intéressant à aborder dont les résultats vont sûrement conduire à une participation efficace de l'université à la vie quotidienne et à l'amélioration du cadre de vie du citoyen. Enfin la notion de visibilité, comme je l'ai déjà dit est une conséquence et non une cause. Les dix premières universités mondiales (selon le classement de Shanghai) ne se sont jamais constituées en pôles, malgré leurs anciennetés d'existence, et dont le nombre moyen d'étudiants ne dépassent pas 20.000. Où sont alors les vrais critères de visibilité ? L'université de Harvard fondée en 1636, le nombre de ces étudiants est de 19.218 (année 2020/2021). L'université de Berkeley, existante depuis 1868 comporte 23.524 étudiants. Alors regardons cette notion de visibilité d'autres angles. A la fin je dirais qu'il vaut mieux commencer par le début, ça me rappelle l'idée que pour entamer un sujet, et répondre à des questions posées et des objectifs recherchés, l'une des étapes les plus importantes en management est de pouvoir démarrer par l'existant pour prévoir le futur. Faire l'expertise et le diagnostic de l'existant dans les universités qui veulent se constituer en pôles (les points forts et les points faibles) permet surtout d'identifier les éléments principaux qui peuvent constituer des leviers des objectifs stratégiques. Le but de l'analyse est de prendre en compte dans la stratégie, à la fois les facteurs internes et externes, en maximisant les potentiels des forces et des opportunités et en minimisant les effets des faiblesses et des menaces. Les responsables de ces universités sont les plus aptes à faire ceci en associant toutes les parties prenantes qui peuvent contribuer à la réussite du projet. Des réunions périodiques sont nécessaires pour définir un cahier de charges adéquat et susceptible de prendre tous les points essentiels en considération. Pour conclure je dirais qu'on commencera par des cas pilotes qui peuvent réussir vu l'existence déjà de certains paramètres. Je pense aux universités d'Alger 1, Alger 2, Alger 3 et USTHB. Je pense aussi à Oran 1, Oran 2 et USTO...Si on arrive à accompagner ces 02 cas, je pense qu'on apprendra beaucoup de ces pôles universitaires. Dans cet article vous avez trouvé et parcouru de modestes points autour de la question de création de pôles universitaires. J'espère que ces idées trouveront des oreilles attentives pour le bien de notre université. Donc, SVP ne nous précipitons pas et essayons de ne pas perdre l'opportunité de réussir avec notre université. Parler de « l'université » demande beaucoup plus que ça, un système tellement complexe et unique qu'il nécessite une démarche managériale spécifique et efficace et une stratégie très réfléchie. L'université est et restera pour toujours le lieu privilégié du développement, de la croissance et de l'innovation. Pour bien la comprendre, il faut d'abord l'aimer plus qu'autre chose et il faut surtout savoir ce qu'on veut de cette université. *Professeur, Université de Tlemcen |
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