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S'il est un fait à constater ces derniers temps dans notre pays, c'est
que la rage du jeune Algérien n'a rien de fortuit et n'observe aucune limite.
En ce sens que l'exaspération sociale ait pris un grand ascendant sur la vie
citoyenne de tous les jours.
L'algérien d'aujourd'hui est un produit composite d'une ruralité malgérée, une citadinité ensauvagée et surtout d'un marasme moral ayant atteint son pic paroxystique avec cet esprit de rapine et de caste qui mine la société politique. Quiconque s'intéresse aux racines de cette pathologie macro-sociale s'aperçoit bien que cela est dû en particulier à "une paralysie mentale" insidieuse qui frappe de plein fouet les soubassements du pays : des élites, le plus souvent mal-intentionnées ou manquant dans "l'art de management" recourent au populisme et la démagogie pour entretenir l'illusion du changement, des masses livrées à elles-mêmes sur les trois plans (économique, politique et social) ne savent à quel ciel se vouer, une couche moyenne presque sans consistance sinon inexistante souffre dans le silence. Bref, une sorte de fumée grisâtre qui s'accumule et se condense sans signe d'éclaircie dans le ciel algérien! Entre la dureté des conditions de vie dans l'Algérie profonde, l'amère fragmentation de la famille nucléaire traditionnelle et le sordide mais non moins triste exutoire de l'exil, le jeune algérien se retrouve devant un terrible cul-de-sac: mourir à petit feu (subir le poids de l'humiliation sous toutes les formes) ou s'immoler par le grand feu ! Pareille situation ne le projette point sur les chemins de la réussite et de l'accomplissement personnel si elle n'est pas déjà perçue comme une banqueroute! Car, la préoccupation inlassablement reconduite du chômage, la malvie, la hogra traîne encore ses guêtres dans son inconscient et le tourmente au quotidien. A vrai dire, le jeune algérien ne voit dans son sommeil pesant et sans rêves qu'un lointain glauque, barricadé d'impasses en plein milieu d'une inextricable toile de problèmes à n'en plus finir. En plus, la maison algérienne, parsemée de gouttières, charrie dans ses contradictions quantité de sédiments pathogènes et d'obstacles multi-formes: tandis que la société dans sa globalité est estampillé d'un sceau de jouvence que même la plupart des puissances occidentales lui envient, son encadrement vieillissant s'entête maladivement à garder le cap sur ses "triomphalismes passéistes" et ses tentations autoritaires et gérontocratiques, cultivant un halo narcissique autour de faits d'armes désuets, lesquels contrastent avec l'univers de la technologie qui prime dans le monde moderne, banalisant de la sorte la force de toute une jeunesse dans l'édification nationale " ...que de nouveaux arbres donnent vie à des fleurs neuves et à des fruits mûrs, jeunes au travail, vieux dans la tombe..." avait coutume de ressasser à ce propos le penseur péruvien Manuel Gonzalez Prada (1844-1918) dans son zèle anarchiste et pamphlétaire! On dirait que, dans le cas algérien, la notion du temps n'a plus aucune importance dans l'esprit de nos gouvernants. En ce sens, la relève intergénérationnelle entre la vieille-garde nationaliste et les nouvelles générations postindépendance n'a pas encore eu lieu et le "syndrome d'immaturité" cacheté sur le front de nos jeunes a, paraît-il, la peau dure. Certes, la culture patriarcale (prééminence du masculin sur le féminin, de l'ancien sur le nouveau, du vieux sur le jeune...etc.) y est pour quelque chose mais elle n'explique malheureusement pas, à elle seule, toutes les facettes de notre malheur collectif dans la mesure où les remugles du mépris citoyen et de l'autisme autoritaire ajoutent à "cette poêle de déconfitures" individuelles et collectives des ingrédients du pourrissement. Ce lamentable état des lieux remet de l'huile doucement mais sûrement sur les cendres mourant de la révolte. Le cas désespéré du jeune qui s'est immolé dernièrement à Khenchela participe de cette tendance générale à la revendication sociale sous forme de vengeance personnelle, d'abord sur la vie, puis sur les mortels, l'administration et les autorités. Vivre seul et sans soleil entre les quatre murs de la haine, de l'incompréhension et de la hogra n'incite aucunement à l'espoir. Sans doute, c'est l'indignation que sécrète le sort peu enviable du marginal ou du marginalisé qui provoque par des contrecoups une aspiration à la reconquête des parcelles perdues de la dignité humaine. En fait, un jeune n'a pas besoin seulement d'un plan A.N.S.E.J ou de moyens matériels pour se mettre en valeur dans le champ des représentations sociales, si vraiment ceux-là sont, bien évidemment, déjà à sa portée, mais d'une oreille attentive à ses moindres soucis et surtout d'une reconnaissance symbolique et formelle de sa présence en tant qu'être social actif, efficace et participatif dans le tissu sociétal. Ce qui exige de la part des organes de l'Etat et des autorités compétentes (services sociaux, institutions éducatives et centres d'écoute en ce qui concerne nos femmes), un travail de longue haleine en matière de proximité. Sous d'autres cieux, un homme qui met fin à ses jours de telle abjecte manière bat le rappel des troupes de journalistes, des analystes, des medias, des âmes conscientes et suscite les plus vives polémiques parmi les élites et les masses. Car, l'humain ou ce qui s'y réfère devrait être traité de la plus pointilleuse manière qui soit. Or, filmées et mises sur les réseaux sociaux, les séquences de cette tragédie n'ont pas fait réagir grand monde en Algérie. Dans un malaise aussi généralisé que tentaculaire comme celui que traverse le pays, il convient d'aller aux racines des abcès, les soigner et les guérir au plus vite afin d'éviter la recrudescence d'actes de désespoir de même nature et par ricochet, parer à la noyade sociale dans le fatalisme. Si en temps actuels, la famille, noyau central du corps social se désagrège et se fragmente assez rapidement, c'est parce qu'il n'y avait jamais eu auparavant "une absorption rationnelle et graduelle" des conséquences de la métamorphose qu'a subie la société de l'étape du ruralisme à celle de la citadinité avec tout ce que cela aurait pu comporter de nouveautés et de dérives. Une société qui se délite à la rencontre d'une certaine modernité frelatée consistant à chercher son salut dans la survie et l'esprit végétatif plutôt que dans la pensée et les projections d'avenir renforcerait les délires paranoïaques et fructifierait à son insu les virus de sclérose et de désunion dans la boîte de Pandore de ses fantasmes. De même un Etat qui se dessocialise, se privatise et se tribalise au galop, abandonnant dans sa régression son rôle de régulateur des déséquilibres sociaux au profit de celui de répresseur des libertés ne récoltera, à la longue, que des colères, des émeutes et un fort ras-le-bol citoyen, à son tour, une économie de rente qui tourne en rond ne pourrait générer que des prébendes et des passe-droits, lesquels, sans un pérenne effort de diagnostic et de traitement, cristalliseraient les facteurs d'implosion. Sans aucune assistance morale ou matérielle palpable apporté au citoyen lambda et en l'absence d'une atmosphère générale, psychologiquement apaisante, la situation actuelle de notre pays ne fera que dégénérer. C'est immanquablement "l'effet boomerang" d'une éducation défaillante et du rétrécissement de la zone vitale qu'aurait dû occuper le débat public franc et sincère dans le panorama social. Par-delà la vacuité politique et sémantique des échéances électorales à venir (notamment les présidentielles), il y a un manque irrémédiablement inguérissable de vision prospective sur "les réformes placebo" entreprises jusque-là par les sphères dirigeantes en écho aux convulsions du printemps arabe. Entre-temps, ni le mal qui ronge les os de la nation n'a été localisé ni des remèdes appropriés n'y ont été apportés, c'est une sorte de "stand-by" endémique où chacune des parties, à savoir pouvoir et plèbe s'est mise sur ses gardes en attente du "feed-back" de l'autre dans une perspective aussi revancharde que mesquine, empreinte de méfiance réciproque et de concurrence des narcissismes ! Un climat de tension qui sévit en profondeur dans la société laissant la place vacante aux spéculations de tout acabit, aux mauvaises interprétations et aux généralisations hâtives de part et d'autre. Il est vrai en effet qu'un Etat, une nation ou une société qui déserte le champ de l'autocritique sombrera tôt ou tard dans le chaos. Il ne s'agit pas dans mon propos de justifier un acte de suicide individuel en faisant le parallèle avec un suicide social mais d'en creuser les origines et les ramifications afin de donner une grille de lecture vraisemblable sur le mouvement général du pays. Incontestablement, la déprime citoyenne et les relents de fatigue sociale sont nées d'une profonde lésion des liens de solidarités paysannes/rurales ayant sous-tendu la constitution de la famille traditionnelle et partant de l'invasion des schèmes et des structures de pensées individualistes exogènes, corollaires de la modernité dans la gestion du quotidien ordinaire du citoyen algérien sans que celui-ci ait pu trouver une voie alternative en cohérence avec ses idéaux propres! Autrement dit, le surmoi collectif, jadis régnant dans le substrat traditionnaliste et paysan a sérieusement été malmené par l'idéal de la réussite personnelle dont le couple "corruptibilité-corruption", quoiqu'anthropologiquement (nature de l'algérien) et sociologiquement (religion et mœurs collectives) rejeté forme l'assise la plus sûre pour la complétude et la réalisation rapide des objectifs. Suivant cette floraison délétère et concomitante du processus de "la socialisation de la corruption" et de "la désocialisation de l'éthique", l'Etat-pouvoir-société ont mis hors norme, voire relégué hors orbite les vertus de la citoyenneté, du reste regardée comme une forme de naïveté et privilégié l'achat de la paix sociale via des concessions de fond sur l'exercice du pouvoir. En conséquence de quoi, les repères socio-culturels du citoyen sont chamboulés et "l'intelligence positive" se résumant dans le travail et l'effort, pierre angulaire de l'édifice social a été échangé dans le marché social par des clauses tacites de soumission, de débrouillardise parfois malsaine et de la recherche du gain facile sans le moindre sacrifice. Cet état de fait, du reste fort tragique, ne verrait jamais sa fin si les ressorts traditionnels de la famille-société ne convergent pas avec ses projections modernistes et l'aspiration du régime politique à l'alternance au pouvoir et à la démocratie. En effet, c'est la modernité qui devrait être socialisée et non pas la corruption! La garantie du bien-être individuel et collectif ainsi que l'encouragement du social sont les voies royales pour une réinsertion efficace des pans marginalisés de la population dans le giron de l'Etat-Nation. Si la tendance individualiste et "individualisante" s'est renforcée dans le tissu de la société algérienne de nos jours, c'est parce que l'Etat-providence des années 70-80 s'est retiré de façon inexpliquée, voire radicale de la sphère de gestion macro-familiale en s'occupant de sa survie lui-même ( la politique du tout-sécuritaire des années 90). C'est inconcevable ! La place du village, de la tribu, du douar, d'el-houma reste prépondérante dans l'imaginaire de l'algérien lambda sans que cela se traduise sur le plan personnel/individuel par une sacralisation de la patrie et du sacrifice à la nation-mère. C'est une dialectique subversive à l'envers d'une société moderne qui s'épanouit sereinement et dont les structures se marient en accordéon. Pour conclure, je dirais que le jeune algérien a besoin d'un peu plus d'égards, de respect et de compréhension, il ne cherche pas à se réfugier dans la culture d'assistanat mais voudrait bien que la société, l'Etat, et les autorités en général prennent en charge et surtout en considération ses doléances, ses cris de cœurs et ses revendications. Si on l'Etat s'ingénie à protèger l'avenir du jeune de façon efficace, il mettra le pays à l'abri de tout danger, c'est du salut collectif dont il s'agit... à n'en plus douter. * Universitaire |
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