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Vers un duo Benflis-Bouteflika

par Kamel Daoud

C'est énorme mais c'est vrai : l'opposition présidentielle à Bouteflika est, désormais, un exercice de la clandestinité, souvent. Khadra a réuni (pas lui mais des soutiens) quelques arrière petits-fils de Boumediene et de l'école des cadets, à Bel-Abbes, la semaine dernière. D'autres, pour d'autres candidats, le font eux aussi, mais en mode salon, discrètement, sans bruit ni publicité. Elle sera (la publicité), on le sait, fatale pour toute tête qui dépasse, avant l'heure. Aujourd'hui, les temps ont changé, en effet, on ne tue pas les opposants ou les concurrents, comme il y a des décennies : c'est plus sournois : on les utilise, on les use et on en fait l'usage du punching-ball et du ramasseur de balle. Bouteflika préfère annoncer sa candidature, en dernier, et cela paralyse, généralement, ses adversaires car ils savent qu'ils seront utilisés puis jetés à la foule et ridiculisés et perdre leurs chances et leurs cheveux et être des dindons, des cosmonautes, des gallinacés de la farce. Et cela a un effet d'anesthésie puissant. L'opposition est, aujourd'hui, clandestine, en essence, non pas parce qu'elle craint la répression, mais parce qu'elle veut éviter le ridicule et que ses militants craignent de se tromper sur la direction du vent.

Et donc, tout le monde attend tout le monde et donc personne ne bouge, ou seulement de l'index.

Dans le pays on n'entend que le grincement des poulies des martyrs qui font tourner, encore, le pays autour du drapeau ou la voix de l'ENTV qui ment et se répète. Rien d'autre.

D'où ce tableau étonnant d'une opposition qui redécouvre les vertus de la clandestinité, qui se réunit en informel, n'ose pas ouvrir la bouche avant le fauteuil roulant et qui ne dit rien, se prépare, contacte et soupèse les alliances. C'est dire que la leçon a été apprise depuis 1999. On a compris que se retirer de la course, à la dernière minute, ne sert à rien. Se présenter en même temps que le Concurrent Favori ne sert à rien, sinon à vous détruire et à vous pousser à la retraite. On a, aussi, compris que ne pas se présenter en laissant faire des Mohammed Saïd n'est pas utile. Pour la quatrième fois, il s'agit de se présenter, en même temps, en force, en confiance, en usant de la faiblesse de l'adversaire et sans se faire avoir par un général manipulateur, une aile dissidente ou des plébéiens qui vont insulter la mère et jeter la pierre, à Relizane ou ailleurs, sur ordre d'un conseiller rusé. Il s'agit d'attendre la dernière seconde pour voir si le régime est faible, a voté ou va laisser voter les gens.

Car, en gros, si on laisse de côté les illuminés, les écrivains et quelques autres appelés par leurs songes, la tendance est vers un bipolarisation, déjà vécue : Benflis d'un côté, Bouteflika de l'autre. Ce dernier n'a rien dit encore, et le premier ne dit rien encore, lui aussi. Le dernier a été sur chaise roulante, le premier a été roulé. Le dernier compte sur le FLN de Saïdani, le premier sur le FLN qui n'aime pas Saïdani. Le dernier croit ce que lui dit son général, le premier l'avait cru en 2004. Le dernier va jouer la carte de la stabilité, le premier va jouer la carte de la bonne santé. Bouteflika annoncera sa candidature au dernier moment, Benflis le fera aussi. Les deux attendent d'être priés, appelés ou suppliés. Les deux sont enfants du FLN et le peuple, quand il ne vote pas fils, vote toujours FLN.

C'est un peu le tableau du moment. Le reste est trop maigre pour nourrir l'actualité ou l'analyse ou les cheveux qui pensent. Juste des tractations de fidèles, des caresses, des rapprochements de couples ou de groupes et un peu de nostalgie.