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L'Algérie a accepté de payer un prix exorbitant pour redevenir un acteur
de l'Histoire. Ce fut le 1er Novembre. Mais aujourd'hui, elle décroche,
incapable de coller au train de ceux qui font l'Histoire.
Il y quatre ans, l'Algérie a vécu un des plus grands moments d'enthousiasme de son histoire. Une euphorie comme elle n'en n'avait jamais vue. Comme si tout le pays avait été pris d'une folie collective, une de ces émotions qu'on connait une seule fois dans sa vie. Ce fut le délire d'Omdourman, lorsqu'une bande de jeunes sportifs, dont beaucoup parlaient difficilement les langues de leurs parents, réussissaient à qualifier l'Algérie pour la phase finale de la coupe du monde, à l'issue d'un match joué dans un contexte exceptionnel. L'euphorie d'Omdourman a beaucoup contribué à apaiser la tension politique et sociale en Algérie. De là à dire qu'elle a permis au président Abdelaziz Bouteflika de passer un troisième mandat relativement tranquille, il y a un pas, que beaucoup ont franchi. A un point tel qu'il est possible de faire le rapprochement avec ce qui s'est passé il y a deux semaines, avec le « coup » tenté lors du match contre le Burkina-Faso, lorsque la télévision algérienne a diffusé le match de manière illégale. N'y avait-il pas, dans cette décision de « piratage », une volonté de rééditer le coup d'Omdourman, en prenant cette fois-ci pour cible Al-Jazeera, une chaine qui suscite une véritable aversion chez beaucoup d'Algériens ? Le résultat fut pitoyable. Les auteurs de la tentative se sont trompés sur la nature de l'évènement. Omdourman et Al-Jazeera ne sont pas des batailles. Ce sont plutôt des révélateurs de ce qu'est devenue la société algérienne, de sa manière de concevoir le nationalisme, de percevoir le pays, de ce que les Algériens attendent de l'Algérie et ce qu'ils sont disposés à lui offrir. Après Omdourman, une jeunesse, qui semblait totalement déconnectée de certaines idées (nationalisme, amour de la patrie), a brutalement basculé dans l'euphorie, redécouvrant le drapeau et des symboles considérés jusque-là comme désuets. Et là où le discours politique avait échoué, là où les mots n'avaient pu mobiliser, un but a réalisé l'impossible, en donnant un contenu à quelque chose que des millions d'Algériens cherchaient depuis des années : être fiers de leur pays. C'est que l'Algérie a changé. En bien, en mal, là n'est pas le plus important. Elle a changé. Elle n'a plus les mêmes repères, ni les mêmes valeurs. Ce qui peut émouvoir un Algérien de 25 ans est totalement incompréhensible pour un autre de 70 ans, qui avait pris l'habitude de vibrer en écoutant un chant patriotique ou en lisant la biographie de Mustapha Ben Boulaïd. Celui qui est né avec facebook, une tablette entre les mains, conçoit forcément la liberté de manière différente de celui qui a vécu dans un gourbi et n'a connu l'électricité qu'à l'âge adulte. Travailler, vivre, militer, tout a changé. Ce qui pose problème, ce n'est donc pas le décalage entre les premières générations. Ce décalage, produit d'une conjoncture historique, est « normal ». Une génération au sein de laquelle seuls dix enfants sur cent allaient à l'école ne peut pas ressembler à une autre où 95% des enfants sont scolarisés. Dans mon enfance, j'ai le souvenir précis d'une école, la seule d'un village, où il n'y avait pas une seule fille. Non parce que c'était une école de garçons, mais parce qu'aucune fille n'était scolarisée dans ce village. Cette société-là ne peut pas ressembler à celle où plus de la moitié des étudiants sont en fait des étudiantes. Je disais que ce n'est pas ce décalage entre générations qui inquiète. C'est plutôt le décalage entre la nouvelle génération et ce qui est en vigueur dans les pays avancés, ceux qui ont pris de l'avance dans le domaine des sciences, de la technologie, de l'organisation sociale, du respect des libertés et des Droits de l'Homme. Ce qui inquiète, c'est ce refus collectif d'aller vers ce qui a fait le succès des autres. On voit bien que certains pays ont réussi à avancer et à assurer le bien-être de leur population, en mettant en place certaines règles de fonctionnement de la société, basées sur le respect des libertés, notamment la liberté de penser, d'expression, de conscience. On voit cette réalité, on est émerveillés quand on voyage dans ces pays, mais dès qu'on est entre soi, on s'enferme, on ferme les yeux, on détourne le regard, pour vanter des « constantes » et des traditions, pourtant liberticides et injustes. Ce qui inquiète, c'est qu'après le 1er novembre, point de départ d'une période de sacrifices inouïs consentis pour que l'Algérie redevienne un acteur de l'histoire, on se résigne, aujourd'hui, à voir l'Algérie décrocher, incapable de coller au train de l'Histoire, à défaut d'être parmi ceux qui font l'Histoire. |
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