«?Je suis d'accord, le pays est menacé. Mais je ne sais pas
si je vais voter pour lui. Je suis d'accord avec toi, il fait partie du bon
vieux temps, à l'époque où j'y croyais (j'avais ma photo sur un tracteur dans
les billets de 50 dinars) et c'est tout ce qui me reste de Boumediene et ses
moustaches. Il parle bien, du moins, il parlait, car maintenant il murmure. Les
autres n'ont pas d'os et je ne les connais pas, sauf peut être Zeroual. Bien
sûr, quand je le regarde parfois, c'est comme autrefois, quand le FLN n'était
qu'un voleur ou joueur de flûte ; il me rappelle ma jeunesse quand le pays
avait mes muscles et la terre était comme ma femme, mais maintenant je ne
comprends pas. Ce n'est pas que je ne lui fais pas confiance mais je ne crois
plus qu'il est capable de mettre ses chaussures ou de hisser un drapeau. Il est
malade Larbi ! Il est malade. A peine un bras qui bouge, un tricot et une
lèvre. Et je me demande surtout pourquoi il tient tant à rester encore quatre
ans président ? Pourquoi ? Je me méfie des gens qui sont comme ça. On dirait
qu'ils sont malades de l'esprit. On dirait qu'il a peur, pas qu'il a raison.
Ou bien ce sont les autres. Son frère comme on dit, ses
proches, ses hommes qui mangent à sa place. C'est leur appareil dentaire à eux.
Lui, il mâche, eux ils avalent. Je suis sûr que se sont eux qui lui murmurent à
l'oreille et le poussent dans le dos et sur sa chaise. Le pauvre, il doit être
intoxiqué avec les enregistrements de nos applaudissements des années 70 qu'on
lui diffuse dans les oreilles pendant des heures. Je suis sûr que dans sa
maison tout est en noir et blanc, les calendriers sont à l'année 70, il y a
même des pattes d'éléphants, les chansons de Deriassa et les bilans agraires de
cette époque et on doit lui dire que les non-alignés le réclament. C'est pour
ça, je suis sûr. Ils l'utilisent et se sont eux qui veulent être là. Et je
n'aime pas cette façon. C'est comme l'histoire de nos voisins et de leurs
terres. Cela dure depuis dix ans, leur histoire entre héritiers. Ça n'en finit
pas et personne ne sème ni ne récolte. Cela a tué la terre alors que leur
grand-père est encore vivant. Il tremble, ne dit rien et personne ne travaille.
Tu sais, au début j'ai voté pour cet homme parce qu'il me rappelait Boumediene.
En suite, j'ai encore voté pour lui parce qu'il était encore là. Et j'ai encore
voté pour lui, parce qu'il m'a donné de l'argent. Mais là, c'est un peu trop.
Je sens que je fais une mauvaise chose. Je n'ai plus la conscience tranquille.
C'est comme si je participais à voler un mort. Ou à lui mentir. Il doit aller
se reposer. On lui rendra visite comme le veulent nos traditions. On ne l'oubliera
pas. Il faut sauver cet homme des siens. On n'a pas le droit de manquer de
respect à un malade en lui faisant croire qu'il a vingt ans. C'est une honte
d'exploiter un homme de son âge. Je ne crois pas que je vais voter pour lui
cette fois. Justement parce que je respecte son âge. Il mérite de se reposer au
lieu d'être exhibé et exploité pour les signatures et les chèques. C'est
honteux».