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LA DOCTRINE ET LE REEL
par M. Saadoune
Les dénégations officielles sur le nonversement des
rançons après la libération des otages français enlevés au Niger font partie du
rituel. On a officiellement énoncé une «doctrine», on s'y tient officiellement.
La France n'a officiellement pas payé de rançon mais une rançon a bien été
payée. Un groupe djihadiste a dans ses mallettes de l'argent pour aller
s'approvisionner dans le free-shop libyen des armes et entretenir les troupes.
A Paris, le gouvernement met sans surprise l'accent sur l'émotion des
retrouvailles entre les otages et leurs familles. De bonne guerre. Tout comme
les remerciements appuyés aux autorités du Niger. C'est là, en implicite, que
l'on comprend, une fois de plus, que la rigidité officielle sur les questions
de paiement de rançon ne dispense pas de faire travailler les réseaux et les
amis. Ils permettent de sauver les apparences. Et de payer à la place de l'Etat
qui s'est engagé à ne pas payer. Car, il n'y a pas beaucoup de solutions dans ces
affaires: soit on mène, rapidement, une opération militaire pour libérer les
otages, soit on négocie et on paye. Et beaucoup d'Etats ont payé, même ceux qui
ont une attitude de fermeté sur cette question. Paris est officiellement sur la
ligne du non-paiement des rançons et les dirigeants français maintiennent
contre vents et marées qu'ils n'ont rien versé. La presse française croule de
détails et d'éléments pour démontrer qu'il n'en est rien. Le Niger a pris en
charge la négociation mais avec l'assentiment des autorités françaises et avec
la collaboration des services français. On est dans le schéma classique du
recours aux intermédiaires qui permettent aux officiels de ne pas apparaître en
première ligne. Et au fond, le gouvernement français, même s'il s'accroche aux
apparences, sait que son opinion ne lui fait pas le reproche d'avoir négocié et
traité. S'occuper du sort des citoyens à l'étranger est un devoir d'Etat.
L'essentiel est qu'il soit parvenu à une solution et que les télévisions
filment les grandes scènes du retour sous le regard attendri du chef de l'Etat.
Cela fonctionne. On est dans le réel. Les Etats peuvent afficher des grands
principes, ils savent aussi qu'on leur reprochera de ne pas avoir fait «ce
qu'il faut» pour obtenir la libération de citoyens qui ont subi un long
calvaire. Le «principe» sert toujours dans les déclarations officielles mais il
pèse moins lourd que la réalité de la libération des otages. Une attitude
rigide qui interdit d'explorer les voies non officielles pour mettre fin au
calvaire de citoyens pris en otages ne sera pas comprise. Il sera difficile
pour les responsables algériens qui ont défendu au niveau des instances
internationales l'idée d'une «criminalisation» des paiements de rançon de se
contenter des dénégations officielles françaises. La libération des otages
français contre le paiement de rançon exerce de facto une pression forte sur
eux-mêmes si les familles des otages algériens du consulat de Gao ne sont pas
dans la visibilité médiatique. Mais personne ne manquera de faire la
comparaison. Ici, également, l'opinion est encline à dire aux officiels:
défendez le principe jusqu'au bout mais trouvez la formule pour sortir les
otages du pétrin.
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