L'espionnage américain de l'Europe et la question de l'immigration
clandestine ont dominé l'agenda du Sommet européen. Sujets qui divisent encore
l'Union plus qu'ils ne la rassemblent.
L'actualité internationale a bouleversé l'agenda du Sommet européen de
jeudi et vendredi. Réunis à Bruxelles pour faire avancer le projet de l'Union
bancaire, renforcer les leviers de la croissance économique et booster la
machine de l'emploi, les 28 chefs d'Etats et de gouvernements ont été
confrontés, dès les premières heures de l'ouverture du Sommet, aux deux
événements de l'actualité mondiale de ces derniers jours : l'espionnage
américain de l'Europe (et du reste du monde) à une très haute échelle institutionnelle,
jusqu'aux téléphones personnels de chefs d'Etats, et la question de
l'immigration dite clandestine, et les drames générés ces dernières semaines,
notamment celui de « Lampedusa » et ces 360 morts sur les côtes italiennes.
Journalistes et observateurs s'attendaient à des décisions radicales, ou du
moins qui marqueraient une vraie prise de position commune des Européens face à
de tels événements. Malheureusement l'Europe n'arrive toujours pas à trouver
cette « voix commune » qui lui donnerait son véritable poids politique et
diplomatique sur la scène internationale. Les contenus des communiqués à
l'issue de ce Sommet usent de la langue de bois et illustrent les profondes
divisions qui minent l'Union. A la violation de la vie privée de ses citoyens
et de ces dirigeants, y compris les chefs d'Etats, le communiqué final évoque
l'importance de « la confiance » qui doit régir les relations euro-américaines.
L'Allemande Angela Merkel et le Français, François Hollande, dont les
téléphones portables ont été piratés par l'Agence américaine de sécurité (NSA)
appellent à « une coopération étroite en vue d'élaborer, d'ici la fin de
l'année, des règles communes sur les pratiques des services de renseignements
». Une réponse molle qui « excuse » quelque part la « maladresse » de la NSA.
Au final, pas de position commune de l'Union, ni une condamnation ferme et
énergique et encore moins une demande d'explication circonstanciée sur la
violation des règles diplomatiques élémentaires par les services secrets américains.
Mieux, aucune allusion à la mise sur écoute de plusieurs millions de citoyens
européens par l'agence américaine. D'aucuns verront dans cette attitude molle
et « prudente », l'influence de la Grande-Bretagne, allié inconditionnel des
USA, et les intérêts recherchés par quelques pays de l'ex-Europe de l'Est tels
la Tchéquie, la Pologne (confer l'installation chez eux du bouclier
antimissiles). Du coup, le communiqué final laisse la liberté aux Etats membres
de décider, chacun pour ce qui le concerne, de la suite à réserver à ses
relations avec les USA dans le domaine du renseignement. Et comme toujours, le
Parlement européen (PE) s'est fendu dans un communiqué par lequel il appelle
les 28 Etats membres à élaborer, vite, un « code de bonne conduite » entre les
Etats de l'Union ( ?) et de veiller à une relation transparente avec les USA.
Dans ces conditions, dire que l'Europe est « atone » et « timide » face à
l'insolence américaine est une lapalissade. Et ce n'est pas mieux pour ce qui
concerne la question migratoire. Signalons que dès son arrivée à Bruxelles, le
président du Conseil italien, Enrico Letta, a signalé l'urgence de la question
et appelé à une réaction de l'Union ferme, solidaire, et quitte à revoir
l'accord de Dublin II (2003) qui désavantage grandement les pays sud de
l'Union. Rappelons que « Dublin II » oblige le candidat réfugié à introduire sa
demande d'asile dans le premier pays européen où il a débarqué. Du coup, ce
sont les pays du sud européen (Italie, Espagne, Grèce, Portugal et France) qui
se trouvent confrontés à l'arrivée des réfugiés. Là aussi, les autres pays de
l'Union, ceux du Nord, font de la résistance. Face à ce blocage, les pays du
Sud souhaitent, pour le moment, le partage des charges financières d'une
manière plus adaptée. Notamment en ce qui concerne les moyens de prévention et
de lutte contre l'immigration clandestine. Ainsi, l'Agence de surveillance des
frontière, « Frontex », opérationnelle depuis 2008, concentre actuellement ses
moyens sur la façade atlantique de l'Europe (Espagne, Portugal) et n'est pas
d'une grande efficacité en méditerranée. C'est pourquoi, la mise en action de
l'autre organisme de surveillance qu'est « Eurosur » centré sur la méditerranée
a été au centre des débats. Les chefs d'Etats et de gouvernements se sont
engagés à mettre les moyens qu'il faut pour qu'il soit opérationnel dès la fin
de cette année. L'Europe ne sort pas de sa conception policière et répressive
de lutte contre l'immigration clandestine. Pourtant, les statistiques
démontrent les limites de cette façon de contrer le phénomène. Pire, les
réseaux criminels de la traite humaine n'ont jamais été aussi florissants que
depuis le renforcement de la surveillance des frontières. L'autre aveuglement
de l'Europe dans la question migratoire est de croire régler le problème à elle
seule, sans concertation avec les pays du sud-méditerranée, dits pays «
pourvoyeurs ». Les rares fois où l'Europe s'est concertée avec les pays du Sud,
c'était pour contenir ces derniers dans le rôle de gendarme, pour ne pas dire
de supplétif de la politique sécuritaire et répressive qu'elle prône. A
Bruxelles, jeudi et vendredi, les 28 chefs d'Etats et de gouvernement se sont
séparés comme ils sont arrivés : sans accord, sans ambition et surtout sans
courage.