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Du bélier inabordable à la sociologie de la baguette de pain : L'Aïd, c'est pas la fête

par Yazid Alilat

Cette année, le bélier vend sa peau cher, très cher. La moyenne nationale des prix tourne globalement autour de 35.000 dinars.

C'est dire que l'Aïd El-Adha sera pour beaucoup de ménages une montagne de difficultés à gravir, à commencer par aller chercher le mouton idéal. Un fait déjà: comme il est de tradition à chaque période, les plus malins, les affairistes, font monter les prix des ovins en allant directement négocier aux éleveurs et maquignons les prix des bêtes. Cette pratique fait généralement en sorte que les prix des moutons, qui seront ensuite vendus aux abords des villes ou dans les quartiers directement, connaîtront une hausse de plus de 15.000 dinars par tête. De bouche à oreille, dans les quartiers des grandes villes, ce sera dès lors le mot d'ordre: les prix du bélier flambent. Pourtant, si dans les grandes villes les prix sont montés jusqu'à 65.000 dinars, notamment à Aïn Naadja (la bien nommée) à la périphérie d'Alger, sinon une moyenne allant de 40.000 à 55.000 DA le mouton, dans les petits villages du pays profond, les prix rasent le sol. Ainsi, dans la wilaya de Mascara, les prix, faute d'acheteurs, ne montent guère plus de 40.000 dinars la bête, et ce sont les même prix proposés du côté de Djelfa et Aïn Oussera et les villages de la région, connus pour être des zones de pâturage et d'élevage ovin. A l'Ouest pourtant, selon des milieux agricoles et des commerçants, et plus exactement à Tiaret et Sougueur, les prix flambent avec une moyenne de plus de 40.000 dinars et au-delà. De quoi refroidir les acheteurs, qui, traditionnellement, attendent les derniers jours pour faire leur choix. Bien sûr, il y a les fermes d'élevage du secteur public, comme à Birtouta près d'Alger, mais là encore les prix sont dissuasifs: 40.000 dinars en moyenne. Globalement, les prix des moutons ont augmenté cette année de plus de 30%, comparativement à l'année dernière, avec des pics de plus de 50.000 dinars.

Mais, en définitive, quel qu'en soit son prix, chacun aura son ?'kebch'', avec ou sans cornes, cher ou pas. Par contre, pour des dizaines de milliers de voyageurs, les trois derniers jours précédant la fête de l'Aïd El Adha, coïncideront avec les grands départs pour passer cette fête en famille. Le secteur des transports sera particulièrement sollicité, notamment sur le réseau des grandes distances où l'offre reste très modeste. A l'insuffisance des taxis, il y a également le manque de dessertes par autocar, et particulièrement vers certaines régions du pays, notamment les hauts plateaux et les grandes villes, mal desservies. Le transport ferroviaire sera également très sollicité, mais là encore, le train globalement n'offre que la possibilité de transit par les grandes gares vers les petites agglomérations, qui, en général, ne disposent pas de moyens de transport efficaces. Le transport aérien sera, quant à lui, peu sollicité, même si la demande reste forte, en en raison de prix dissuasifs, même si Tassili Airlines a lancé une campagne de prix discount entre les villes du nord (Alger, Oran, Annaba, Constantine) à la veille de l'Aïd.

APPROVISIONNEMENT: LA GRANDE INCONNUE

La grande inconnue pour ces deux jours de fête, les seuls avec l'Aïd El-Fitr à rassembler les familles algériennes, sera sans aucun doute le système de distribution des denrées alimentaires. Certes, il est illusoire le jour de l'Aïd de trouver des légumes frais ou des fruits, mais les boulangers et les commerces de proximité devront ouvrir normalement. Le nouveau système de veille des commerces durant les fêtes religieuses, mis en place l'été dernier par le ministre Mustapha Benbada, sera encore testé pour cet Aïd, après le ?'flop'' de l'Aïd précédent. A Alger, la wilaya a établi une liste de mille commerçants qui seront dans l'obligation d'ouvrir leurs magasins pour mettre un terme aux sempiternelles pénuries de denrées alimentaires durant les fêtes religieuses. Selon le directeur du Commerce de la wilaya d'Alger, Mimoun Bouras, les commerçants listés seront dans l'obligation d'ouvrir les deux jours de l'Aïd, et dans le cas contraire, ils seront lourdement sanctionnés, avec des amendes allant jusqu'à 300.000 dinars. Car la nouvelle loi 04-08, fixant les conditions d'exercice des activités commerciales, adoptée durant l'été dernier, prévoit des amendes allant jusqu'à 300.000 dinars pour ceux qui ne respecteront pas cette instruction. Le wali a aussi le pouvoir de faire fermer le commerce en situation illégale pendant 30 jours. Les mêmes dispositions ont été également prises au niveau de l'ensemble des wilayas du pays pour assurer un bon approvisionnement des citoyens durant ces deux jours de fête. Pour autant, des ?'hic'' sont à prévoir, notamment dans les grandes villes et particulièrement à Alger, Oran, Constantine avec des carences dans la production de pain ou de distribution de lait.

Car ce que les responsables feignent d'ignorer, c'est que les milliers de travailleurs qui font chaque jour le pain dans les grandes villes habitent l'intérieur du pays, et en pareilles circonstances, partent eux également passer l'Aïd en famille. Ces travailleurs n'ont ni logement ni attaches familiales. Ils vivent de leur salaire, et les fêtes de l'Aïd sont une occasion pour eux d'aller voir leurs familles. Une donnée sociologique qui ne peut pour le moment être résolue par une loi ou des décisions loin de la réalité sociale des grandes villes du pays.