Vendredi matin, dans plusieurs villes de la Mitidja, un mouvement
inhabituel de véhicules et de personnes est remarqué dès le petit matin. C'est
normal, vous diront beaucoup, c'est le dernier vendredi avant l'Aïd et les gens
profitent de ce jour de repos pour acheter le mouton. Et il n'y avait qu'à
aller vers les marchés improvisés çà et là pour s'en rendre compte. Des hommes,
souvent accompagnés de leur progéniture, tiraient, poussaient, portaient sur le
dos ou dans une charrette des moutons, des gros et des maigres, des encornés et
des sans cornes, des jolis et des pas beaux, chacun ramenait ce que son
porte-monnaie a bien pu lui offrir. Quelques-uns, plutôt rares, avaient acheté
des boucs qui regardaient, l'air hagard, tous ces moutons qui changeaient de
propriétaire et qui s'en allaient vers le même destin. Pour arriver dans un
marché comme celui de L'Arba, réputé dans tout l'Algérois, il faut se lever tôt
et garer sa voiture assez loin car, pour ressortir, ce n'est pas chose aisée.
Nous avons essayé de connaître les prix des bêtes et nous avons été fortement
surpris car, comparativement à la journée d'avant (jeudi), chaque mouton a
coûté entre 5.000 et 8.000 DA en plus. En effet, un bélier de taille moyenne
qui coûtait la veille entre 32.000 et 38.000 a été cédé à pas moins de 43.000
et jusqu'à 45.000, et encore avec un vendeur en face de vous qui vous fait
sentir qu'il a été magnanime avec vous. Pour ceux qui ne peuvent pas se payer
un mouton juste ce qu'il faut, il est proposé des agneaux à partir de 30.000
DA, rachitiques et tenant à peine sur leurs pattes. Mais ceux qui ont les
moyens n'ont pas lésiné sur la dépense et se sont offert des moutons entre 6 et
8 millions de centimes, de belles bêtes certes, mais les prix étaient vraiment
trop élevés. Pourtant, à voir le nombre de personnes qui avaient acheté des
moutons, on se demande si c'est vraiment trop cher ou bien est-ce juste une
impression. Bien entendu, les revendeurs ont eu la partie belle et c'est de
haut qu'ils toisent le pauvre acheteur qui compte et recompte les billets dans
sa poche, se demandant comment il pourrait bien acheter un beau spécimen avec
le peu d'argent qu'il avait. Il faut dire aussi que le nombre effarant
d'acheteurs a poussé les maquignons et autres revendeurs à demander des prix
astronomiques pour des moutons somme toute assez dans les normes et qui ne
devraient pas dépasser les 30.000 DA en d'autres circonstances. En outre, et
une fois le mouton acheté, il fallait l'emmener jusqu'à la voiture ou jusqu'à
la maison et là, des dizaines de jeunes se sont reconvertis, l'espace de
quelques jours, en transporteurs offrant leurs services à la criée. Il y en
avait qui avait ramené des charrettes, des brouettes, des remorques pour le
transport des moutons à des prix variant entre 100 et 200 DA selon la distance
à parcourir. Pour ceux qui veulent aller plus loin, il y a des dizaines
d'autres jeunes à bord de petits camions asiatiques, qui proposent le transport
de plusieurs moutons à la fois, pourvu que tous aillent dans la même direction.
Ceci sans parler des enfants qui proposent des cordes à 20 DA le mètre ou de
petits tas de foin à 100 DA. Mais ceux qui font vraiment des affaires, ce sont
ceux qui ont investi les espaces autour des marchés et qui exigent le paiement
du ?parking', du gardiennage disent-ils, à 100 DA le véhicule, et gare à celui
qui ne veut pas payer. Beaucoup sont revenus bredouilles en décidant de revenir
le lendemain, peut-être que ?