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Il s'appelait Ganesh Bishwakarma. Il avait seize ans et, comme 43 de ses compatriotes
népalais, il est mort l'été dernier sur le chantier de construction du futur
centre urbain de Lusail au Qatar (ce qui donne en moyenne un décès par jour).
Selon The Guardian, qui a enquêté sur les conditions de vie déplorables des
migrants asiatiques dans l'émirat, Ganesh a été emporté par une crise
cardiaque, là aussi comme nombre d'autres victimes ayant été obligées de
travailler par des températures extrêmes. Les révélations du quotidien
britannique ont fait le tour du globe et relancé les polémiques à propos du
maintien ou non de l'organisation de la Coupe du monde de football de 2022 au
Qatar.
A dire vrai, pour qui s'intéresse à la région, ces informations ne sont guère surprenantes. Dans les pays du Golfe, la main d'œuvre étrangère, surtout celle en provenance du sous-continent indien, n'a guère de droits et la communauté internationale feint à chaque fois de s'émouvoir d'une situation scandaleuse qui dure depuis quatre décennies. Ganesh Bishwakarma s'est endetté à des taux d'usurier pour pouvoir quitter son village et trouver un travail au Qatar. Comme des milliers de migrants, il a certainement été victime de ces agences de " maning ", dont l'activité est de rabattre de la main-d'œuvre vers le Golfe en lui faisant miroiter monts et merveilles. Hélas, la réalité qui a été la sienne durant deux mois avant qu'il ne meure est bien différente. Travailler sous cinquante degrés à l'ombre sans pouvoir boire, souvent avec le ventre vide. Vivre à vingt dans un taudis infesté de cafards et de rats. Se voir confisquer son passeport par son employeur et n'avoir ni le droit de changer de travail ni de quitter le pays sans son autorisation. Attendre des semaines voire des mois avant d'être payé et constater alors que son salaire n'est pas celui qui a été promis par le recruteur ou qu'il a été diminué pour des motifs fallacieux. Vivre avec la crainte d'être expulsé et de revenir au pays les poches vides et faire ainsi honte à sa famille qui s'est sacrifiée pour payer le voyage. Etre battu par des contremaîtres, parfois des compatriotes, sans pouvoir se défendre ni porter plainte. Ne pas avoir le droit de faire grève pour défendre ses droits. Vivre dans la merde et la crasse tout en travaillant à ériger des constructions somptueuses et clinquantes. Voilà ce qu'est le quotidien de centaines de milliers de Ganesh Bishwakarma soumis à ce qui n'est ni plus ni moins qu'un travail forcé, autrement dit une forme d'esclavage moderne dénoncée régulièrement par les organisations internationales de défense des droits de la personne humaine. Les défenseurs du Qatar, et ils sont nombreux, s'empressent de faire le parallèle avec la situation du bâtiment en Europe ou ailleurs. Il est vrai que toute phase d'expansion économique a son revers sombre. La France des " trente glorieuses " et sa forte croissance a aussi été celle des bidonvilles. Aujourd'hui encore, il suffit d'observer un chantier de construction dans Paris et ses environs pour comprendre que la situation est loin d'être parfaite. Travailleurs employés au noir, sécurité déficiente, cadences difficiles à suivre : tout cela mérite aussi d'être dénoncé et combattu. Mais cela rien n'à voir avec l'ignominie que subissent les migrants asiatiques dans le Golfe. Car, là-bas, il n'y a ni syndicats ni sociétés civiles capables de faire pression sur les employeurs et leurs sous-traitants (comme toujours, les premiers feignent l'ignorance et se défaussent sur les seconds). Car, là-bas, il n'y a pas d'intégration possible, pas de regroupement familial et certainement pas les mêmes droits, notamment sociaux, que les nationaux. En se portant candidat à l'organisation du mondial 2022, le Qatar a visiblement sous-estimé le fait que cela attirerait fatalement sur lui des regards indiscrets et inquisiteurs. Déjà, la Confédération syndicale internationale (CSI) avertit que les travaux gigantesques pour cette compétition (ils n'ont pas encore débuté) - soit un investissement global de 150 à 200 milliards de dollars - pourraient provoquer quatre mille décès sur les chantiers, cela si l'on se base sur le taux de mortalité actuel sur les grands sites de construction au Qatar. D'un côté, quatre mille damnés de la terre venus offrir leurs bras pour faire sortir leur famille de la misère, de l'autre 150 milliards de dollars? On devine vers où les intérêts globaux vont pencher. Que pèsent 4.000 Népalais, Bangladais, Indiens ou Pakistanais devant ces " billions of dollars " ? Dans le questionnaire adressé par The Guardian aux autorités du Qatar, l'une des questions concerne les raisons du nombre important de travailleurs népalais morts d'une crise cardiaque durant l'été. " Une question qu'il serait plus pertinent de poser aux autorités sanitaires compétentes du Népal " a répondu Doha. No comment? Ces dernières semaines, le monde du football s'est inquiété des effets dévastateurs que pourraient avoir la chaleur et la forte humidité sur les participants au mondial 2022. Des discussions divisent la Fédération internationale de football (FIFA) à propos d'un éventuel décalage de la compétition (qui s'est toujours tenue au moment de l'été dans l'hémisphère nord) à l'hiver 2021 ou 2022. A l'inverse, et c'est là toute l'indécence de la situation, le sort des travailleurs étrangers commence à peine à être évoqué. D'ores et déjà, le Qatar promet de faire des efforts et ne ménage pas sa peine en matière de communication. Il faut dire que ses difficultés actuelles font le bonheur de légions de consultants en relations publiques. A cela, il faut ajouter les foules d'obligés qui doivent la reconnaissance du ventre et du pétro-billet à l'émirat. D'éminentes personnalités des arts et de la science, des chercheurs auto-auréolés d'intégrité, nous expliquent déjà que les attaques contre le Qatar relèvent du racisme anti-arabe. Quoi de plus normal pour eux. Habitués aux palaces rutilants de Doha, ils n'ont jamais pris la peine d'aller voir où et comment vivaient les Ganesh Bishwakarma qui portent leurs valises ou nettoient leurs belles chambres? |
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