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Le diagnostic de l'état de déliquescence avancé qui caractérise,
actuellement, nos hôpitaux publics, établi par le ministre de la Santé, lors de
sa rencontre avec les gestionnaires de ces établissements, le 07 juillet 2013,
est malheureusement le même constat fait par tous les ministres du secteur qui
l'ont précédé depuis plus de 30 ans. Il y va de notre système hospitalier comme
il y va de la cuisine hospitalière qui, avec les meilleurs légumes et les
meilleures viandes, ne peut garantir que l'obtention de repas innommables et
immangeables qui alimentent les poubelles.
La crise hospitalière en Algérie - pays de l'opulence financière et du grand gaspillage des deniers publics- n'est pas due à un manque de moyens financiers mais à un défaut de gouvernance. Faut- il rappeler que de part le monde, l'hôpital est une institution scientifique qui obéit à des normes sanitaires strictes, indépendamment du pays et de l'idéologie parce que tout simplement l'homme est universel et que la médecine l'est tout autant ? Et que l'hôpital moderne est une institution qui repose sur la cohérence d'un triptyque que sont en l'occurrence : les compétences médicales et paramédicales, les moyens technologiques et l'organisation ? Si un élément du triptyque vient à manquer c'est le dysfonctionnement et le risque sanitaire pour les patients. D'ailleurs, l'histoire de l'hôpital moderne en Algérie, pour des raisons historiques, commence avec la loi du 30 décembre 1958 qui a institué le plein temps hospitalier pour les médecins. Présentement, plus que jamais avec l'hyperspécialisation et le progrès fulgurant de la médecine, il est superfétatoire de démontrer l'évidence qu'un hôpital -qui est une fédération de services spécialisés- doit d'abord être investi de praticiens médicaux spécialistes permanents, d'infirmiers spécialistes et de plateaux techniques ne soufrant d'aucun défaut. Or qu'observe-t-on dans les faits? Toute la politique de notre ministère, depuis le virage libéral, est de combattre la constitution d'un corps médical spécialisé permanent qui exerce à plein temps. D'abord à travers une politique salariale rédhibitoire qui fait que malgré les meilleurs moyennes au bac, les plus longues études et les plus difficiles responsabilités tant morales que juridiques, le praticien spécialiste -même celui exerçant dans les villes des Hauts Plateaux- perçoit à peine soixante dix-sept mille (77.000) dinars! Conséquemment, il ne reste au dit praticien spécialiste qui débute sa vie professionnelle à 30 ans pour réussir sa vie familiale, se loger et acquérir une automobile que l'installation en privé ou l'émigration à l'étranger comme l'ont fait les huit mille (8.000) médecins algériens qui exercent en France et n'était-ce la féminisation grandissante du corps médical, le chiffre de ces exilés serait encore plus important! Ensuite en instituant l'activité complémentaire qui autorise les praticiens spécialistes fonctionnaires hospitalo-universitaire et de santé publique à exercer dans les structures privées tout en sachant pertinemment, dès l'origine, que cette décision allait être génératrice d'absentéisme dans les hôpitaux publics et de détournement de malades vers les cliniques privées. Enfin et comme si ces précédentes décisions ne suffisaient pas, le ministère de la Santé a institué, récemment, l'activité lucrative qui autorise les praticiens médicaux spécialistes hospitalo-universitaires et de santé publique, chef de services et chef d'unité, à exercer, eux aussi, dans les cliniques privées durant les week-ends et jours féries! L'HYGIENE HOSPITALIERE A la différence du nettoyage d'une quelconque administration, l'hygiène hospitalière, qui répond à des normes sanitaire strictes, est censée être assurée par un personnel formé, compétent et engagé. Actuellement ce personnel est composé de femmes de ménage souvent âgées et illettrées, souvent malades chroniques! Mais là aussi, ce que la majorité des Algériens ignorent et que le ministère de la Santé connaît parfaitement, c'est que le recrutement d'une femme de ménage ne peut être effectué par le directeur d'un hôpital public que si le ministère de la Santé l'autorise préalablement et lui octroie le poste budgétaire! Or des postes budgétaires pour le recrutement des personnels sont quasiment bloqués depuis des années au point où même les personnels mis à la retraite ne sont pas remplacés ce qui explique le recours aux personnes du filet social. LES PENURIES DE MEDICAMENTS Tous les professionnels, les patients, les associations de malades et les médias dénoncent, depuis plus de 30 ans, les ruptures cycliques et les pénuries récurrentes des produits pharmaceutiques qui n'épargnent même pas ceux à usage hospitalier et qui ne sont pas commercialisés par les officines privées, à l'instar des médicaments oncologiques (traitement du cancer). Cette situation qui se pérennise s'explique par des dysfonctionnements des programmes d'importation et de la distribution, relevant de la responsabilité exclusive du ministère de la Santé. LE CANCER Face au fléau du cancer il semble que notre ministère de la Santé n'a rien vu venir, depuis au moins 30 ans. N'était-ce la sortie médiatique du Pr Kamel Bouzid et des associations des malades cancéreux, il n'y aurait, peut être, pas eu la relance du plan cancer ni la programmation urgent d'acquisition d'équipements de radiothérapie, contrairement au personnes âgées dépendantes, aux malades mentaux et aux patients nécessitant des soins de longue durée pour lesquels il n'existe ni service de gériatrie, ni suffisamment de services de psychiatrie, ni de service d'hospitalisation de long séjour. Mais même pour les malades cancéreux beaucoup reste à faire parce que la prise en charge de la maladie cancéreuse exige un protocole strict depuis l'examen anatomopathologique jusqu'à la radiothérapie, en passant par la chimiothérapie et ne tolère aucune rupture dans ledit protocole. Or, combien même, notre ministère de la Santé réalisera des centres anticancéreux et qu'il importera les appareils de radiothérapie il restera le problématique recrutement des équipe médicales (chirurgiens, anatomopathologistes, oncologues, radiothérapeutes, etc.) qui font cruellement défaut, faute d'une politique d'incitation et de motivation. Croire qu'affecter de médecins anatomopathologiste nouvellement reçus à l'examen du DEMS, sans expérience, tout comme leurs consœurs et confrères oncologues dans les hôpitaux non CHU mettra fin au calvaire et à la mort programmée des malades, c'est faire preuve de naïveté, à plus forte raison quand on mesure l'importance de l'anatomie microscopique, examen fondamental, qui doit objectiver le caractère bénin ou malin de la tumeur et qui conditionne toute la chaîne qui va du diagnostic à la radiothérapie, en passant par la chirurgie et la chimiothérapie. L'expérience d'une vie professionnelle dans les villes des Hauts Plateaux enseigne que la création d'un nouveau service et son équipement dépassent de loin la durée du service civil du praticien spécialiste et que combien même, si par miracle, le service arrive à être créer, il cessera d'exister définitivement dès la fin du service civil, faute de remplaçant tant les formations par les CHU et les affectations par le ministère sont des plus aléatoires faute d'une politique de santé publique cohérente. LA BOMBE A RETARDEMENT Sans faire les cassandres, notre système hospitalier est à la veille d'une explosion de la demande, compte tenu de l'explosion démographique (nous serons 50 millions d'habitants dans 10 ans), du vieillissement de la population, de l'accroissement des maladies chroniques et du cancer et peut-être de l'émergence de nouvelles maladies! Si durant cette période d'opulence financière notre système hospitalier est en crise qu'en sera-t-il dans 10 ou 15 ans quand la rente pétrolière suffira à peine à satisfaire les besoins alimentaires? Et il faut rappeler que si l'hôpital est le reflet d'une civilisation d'un pays, il est surtout l'aboutissement d'un projet de société civile renseignant sur la valeur de la personne humaine et de son statut de citoyen. Pour nous Algériens, il semble parfaitement clair que la crise de notre système hospitalier, à l'instar de toutes les autres institutions étatiques, trouve son origine fondamentale dans le mode de gouvernance où l'autoritarisme, la cooptation et l'impunité se conjuguent depuis 50 ans. Comme il a été écrit et répété, sans cesse, depuis les années 80, la normalisation de nos institutions sanitaires exige une normalisation démocratique, à l'instar des pays où nos hommes politiques se soignent et ce n'est pas le harcèlement des syndicalistes et des associations de malades et les démentis de la presse indépendante qui redresseront notre système hospitalier en déliquescence chronique. * Docteur |
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