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Livres : écrire, c'est survivre !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

MAUVAIS SANG... Roman de Rachid Mokhtari, Chihab Editions, Alger 2012, 256 pages, 550 dinars

Ce n'est pas un simple roman. C'est bien plus. Une histoire de fils de chahid, devenu journaliste, quelques décennies plus loin, guetteur et observateur social. Aussi, une histoire de fils de veuve de chahid. Une veuve de 23 ans, donc assez «appétissante», même (et surtout) pour les frères d'armes de son défunt mari, le héros du village. Aussi, une histoire d'enfants et de veuves de chahid? par la suite abandonné (e) s, maltraité(e) s, exploité (e) s. Les deux «héros» se retrouvent seuls, ou presque, dans un monde bouleversé. Un orphelin et une veuve «solitaires» au milieu d'un pays certes libéré du colon, mais d'une société encore prisonnière de ses tabous, de ses promesses politiciennes démagogiques et de ses illusions politiques, de son machisme, de ses traditions, de ses mythes mystificateurs, des égoïsmes et des calculs de ses citoyens, de sa «Révolution», de ses errances économiques, de ses pulsions violentes et, hélas meurtrières... Noir, c'est noir, il n'a aucun espoir !? Même le vin vendu en «carton», consommé pour faire face à l'horreur des nouvelles continuelles (nous sommes dans les années 90) rapportant les tueries terroristes, a un goût de vinaigre et accélère la descente aux enfers... le pays se retrouvant entre les mains (chargés de couteaux aiguisés) des «Bijoh, Boubrite, les Klebards errants, Laqboudh, les meutes de minotaures...» que l'on retrouvera, plus tard, traités de simples «brebis égarées» et chargés de privilèges

Avis : L'auteur, un vieux routier de la réflexion et de l'écriture, raconte toutes les tragédies du pays dans un style assez déroutant, mélangeant passé et présent, dans un décor et une atmosphère assez déprimants. Un roman plus que noir. Un essai socio-politique. Désespérant ! Il faut prendre tout son temps (vous ne le perdrez pas, c'est certain) pour le lire et le terminer. C'est aussi une nouvelle écriture. Déconcertante, déroutante !

Extrait: «Des funérailles, il n'y en eut point dans l'Histoire des blessures du pays. Des enfouissements, des charniers» (p.45)

CINQ ANNEES AVEC CERVANTES...

Roman de Adriana Lassel (traduit de l'Espagnol par Yasmina Madiba), Editions Dalimen, Alger 2012, 205 pages, 500 dinars

Qui mieux qu'Adriana Lassel pouvait si bien écrire sur Miguel de Cervantès? qui a passé cinq années (mal) pleines (car en captivité) à Alger? une captivité qui l'a peut-être révélé? une réussite universelle, peut-être née de la souffrance et de l'observation d'une certaine inhumanité (généralisée à son époque? encore qu'aujourd'hui, nous ne sommes pas mieux logés?).

Un roman qui, certes, dévoile (un peu, pas beaucoup, et l'auteur nous en avertit) la personnalité du futur (grand) écrivain hispanique, mais en réalité une œuvre assez documentée qui, au passage, nous étale largement le mode de vie et les mœurs des «Algérois» de l'époque, leurs tenues, les religions qui s'y côtoyaient... en toute liberté.

Un roman qui, donc, démonte le profil psychologique d'un homme fortement croyant mais fortement compréhensif des autres, fortement décidé à se libérer des chaînes de l'esclavage (en cinq années de détention, quatre tentatives d'évasion, avec au bout, à chaque fois, le retour aux «chaînes») ?

Un roman qui nous montre, aussi, avec pudeur, que la vie à Alger, sous le cimeterre turc, n'était pas rose, et qu'Alger était beaucoup plus un repaire de «corsaires» et un refuge de «rançonneurs» qu'un haut lieu de la culture et de la liberté.

Avis : «La fiction donne l'apparence de la réalité à un fait et à un personnage». Les résultats (romancés) d'une recherche (une obsession ?) qui a duré une trentaine d'années.

Laissez-vous tenter et lisez sans hésitation. Vous y gagnerez en humanité.

Extraits: «Tout ce que nous croyons facile à faire est compliqué en politique» (p 74), «L'humanisme que le jeune captif manifesta ultérieurement dans sa littérature se forgea dans son expérience de vie dans la promiscuité d'hommes, de croyances et de races différentes, son regard d'observateur lui permettant de comprendre qu'ils n'étaient pas tellement différents les uns des autres» (p 134), «Dans l'univers algérois (de l'époque), il apprit que les coups peuvent venir de celui auquel on pense le moins, de son propre frère de religion et que la noblesse de l'âme est un bien commun à tous, sans distinction d'origine ou de religion..»(p 166)

HALIM MOKDAD.

Un grand reporter au grand cœur? Recueil d'articles présentés et commentés par Amar Belkhodja, Editions El Kalima, Alger 2011, 160 pages, 400 dinars

«Primus» ! un grand reporter au grand cœur, pour sûr. Mais, aussi et surtout, un engagement et un style à nuls autres pareils.

Halim Mokdad, pour ceux qui ne l'ont pas connu et lu, est celui qui a révolutionné l'écriture journalistique durant les années 60-70. Grâce à un style concis, précis, direct tout en étant simple et à la portée de tous les lecteurs. Grâce à une vaste culture. Un «malade de l'écriture». Un «prince du reportage». Un «roi de l'analyse». Il était apprécié par les plus grands de l'époque, en tout cas les grands qui lisaient (encore) beaucoup et qui savaient, il est vrai, (bien) lire. Pourtant, la chose n'était guère aisée à l'époque? le moindre petit mot de travers pouvant, mal «pris» par un «décideur», vous envoyer illico presto? au «placard».

Il a, aussi, fait œuvre de vulgarisateur culturel . Ses articles (de véritables analyses scientifiques pour certains, comme les articles sur la musique ou le théâtre populaire) sont, aujourd'hui encore, dignes de figurer dans le corpus des textes classiques à étudier dans les amphis.  

Avis : Articles repris, témoignages d'amis et de confrères . Très émouvant? A lire surtout par les étudiants en communication et journalisme? pour l'exemple. Mais aussi par les sexagénaires et plus qui y retrouveront les odeurs, les humeurs? et le style d'antan. Dommage, la qualité matérielle du produit n'est pas au top, surtout la reliure.

Extraits: «Eternel jeune homme, la mèche folle sur le front, les yeux tristes ou moqueurs selon les circonstances, tu portais la profession de journaliste de tout ton être. Reporter sur tous les fronts, envoyé spécial de toutes les causes, tu avais le style incisif, pertinent et le mot juste», «Ta règle grammaticale était simple à retenir : sujet, verbe, complément» (p 149, témoignages de Nadjia Bouzeghrane et de Rachid Lourdjane, El Watan, 13 mars 2001)

Ps : L'ouvrage sur «Les Intellectuels algériens» présenté dans la chronique du jeudi 30 mai 2013 est de Nouara Hocine, comme cela était signalé sur la couverture.