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Le « Printemps
arabe » a renouvelé l'intérêt de l'Allemagne pour le Maghreb. Avec deux thèmes
leaders : business et droits de l'homme.
Le tout sur fond d'une certaine rivalité franco-allemande? L'Institut français des relations internationales (IFRI) en liaison avec des think tanks allemands, vient de publier une intéressante étude, « Entre idéaux et intérêts ; les nouvelles perspectives françaises et allemandes sur le Maghreb ». L'auteur de l'article, Isabel Schäfer développe principalement deux constats. Avec le surgissement du « Printemps arabe », l'Allemagne a renforcé sa présence dans le Maghreb, notamment par des programmes d'aides visant à stabiliser les états avec la contrepartie demandée d'un accroissement des droits démocratiques. Mais les préoccupations économiques, énergétiques et sécuritaires ne sont évidemment pas absentes de la stratégie allemande, comme celles des autres pays européens voisins, notamment la France, traditionnellement fortement implantée dans cette région. L'universitaire allemande pointe d'ailleurs une certaine « concurrence » entre l'Allemagne et la France, « qui prime sur les efforts de coopération, notamment dans le domaine énergétique ». Selon Isabel Schäfer, « Face aux risques de dédoublement, un effort commun de coordination entre la France et l'Allemagne est nécessaire ». La Tunisie, principal partenaire de l'Allemagne Les medias allemands ont suivi avec beaucoup d'intérêt les débuts du Printemps arabe, multipliant les reportages en Tunisie, en Egypte, à Bahreïn, au Yémen? Guido Westervelle, le ministre allemand des Affaires étrangères allemand, fut l'un des premiers responsables européens à se rendre en Tunisie, un mois à peine après la chute de Ben Ali. Pour renforcer les grands espoirs de consolidation démocratiques dans les pays concernés, l'Allemagne initia successivement des « partenariats de transformation » avec la Tunisie, la Jordanie, le Maroc et la Libye. En Tunisie, notamment, outre le partenariat de transformation, furent signés un « partenariat de sécurité » visant pour l'essentiel le renforcement de l'état de droit, et un « partenariat énergétique ». Lors de sa seconde visite en Tunisie, Guido Westevelle signa le 9 janvier 2012, avec son homologue tunisien Rafik Abdessalem, « une déclaration d'intention commune » qui concrétisait un grand nombre de projets de coopération dans la culture, l'éducation, le renforcement des nouvelles instances gouvernementales tunisiennes. C'était la 1ère fois que l'Allemagne officialisait par des accords bilatéraux importants et coordonnés, ses relations avec un pays du Maghreb. L'Union européenne est le principal partenaire des pays du Maghreb, consolidé par des accords bilatéraux de libre-échange signé entre l'UE et la Tunisie en 1998, le Maroc en 2000, l'Algérie en 2005. Plus précisément, après la France et l'Italie, l'Allemagne est le 3ème partenaire commercial de la Tunisie. 150 entreprises allemandes sont implantées dans ce pays, certes loin encore de la présence industrielle et commerciale française (752 entreprises françaises) et l'Italie (462 entreprises). Par la signature de nombreux accords de partenariats, l'Allemagne souhaite donc intensifier sa présence économique en Tunisie et la signature de nombreux accords bilatéraux soulignait cette volonté. Optimistes quand à une transformation démocratique rapide, bâtie maladroitement sur une simple reproduction du modèle institutionnel occidental, les autorités allemandes avaient peut-être, plus que d'autres pays européens, sous-estimé le poids croissant des formations politiques islamiques dans le processus de transformation. Elles furent un peu décontenancées par les difficultés actuelles du gouvernement tunisien à trouver un mode de fonctionnement stabilisé et apaisé, tant sur le plan démocratique qu'économique. A l'inverse, le refus allemand de participer à l'opération militaire anglo-franco-américaine en Libye a désappointé les autorités tunisiennes. Mais la volonté d'une coopération renforcée germano-tunisienne reste un objectif commun entre Berlin et Tunis. Outre les échanges économiques traditionnels, il est à noter que 50 000 tunisiens vivent en Allemagne et avec 520 000 touristes allemands, l'Allemagne est le quatrième fournisseur du tourisme en Tunisie, derrière la Libye (1, 7 millions de touristes, avant les événements récents), la France (1,3 millions) et l'Algérie (1 million de touristes algériens en Tunisie). Les rivalités européennes en matière énergétique L'énergie reste une question stratégique pour les économies européennes. La stabilisation et la diversification des sources énergétiques est une préoccupation quotidienne des gouvernements et des responsables économiques. Si l'Union européenne a vu s'affermir la coopération européenne en matière agricole et industrielle, l'organisation du grand marché européen avec une libre-circulation garantie des biens et des personnes, les questions énergétiques restent surtout de l'apanage de chaque état et la volonté de construire une politique énergétique européenne commune est très modérée. L'Allemagne a ainsi très jalousement conclue une politique bilatérale avec le grand voisin russe, notamment pour le développement des gazoducs en provenance de ce pays. De leur côté, les entreprises pétrolières européennes, si elles s'entendent peut-être discrètement sur les prix à la vente, se trouvent naturellement dans une vive concurrence quand il s'agit de remporter des contrats. « Les politiques énergétiques de la France et de l'Allemagne en direction du Maghreb oscille entre concurrence et coopération » et quand la volonté de coopération existe, elle est souvent contredite par les lourdeurs de fonctionnement de l'institution européenne. Isabel Schäfer détaille ainsi dans son étude les méandres de différents projets concernant le domaine des énergies renouvelables et notamment le développement de l'énergie solaire au Maghreb. « Desertec » fut ainsi à l'origine une initiative privée où dominent des institutions et capitaux allemands : aux côtés du « Centre allemand pour l'aéronautique et l'aérospatiale », on trouve des industriels comme Siemens, la Münchener Rück ou RWE. Cette dernière entreprise du secteur énergétique a pour projet en cours de réalisation un parc solaire et éolien au Maroc et une centrale solaire en Egypte. Desertec qui a reçu l'appui du gouvernement allemand a vu surgir dans son horizon « MedGrid », d'initiative plutôt française, associant des entreprises du Sud de l'Europe et du Maghreb. Enfin, pour parachever l'ensemble, une autre nouvelle instance, européenne, celle-là, « l'Union pour la Méditerranée » impulsa le « Plan solaire méditerranéen », afin de développer « la production, le transport et l'utilisation de l'énergie solaire ». Si l'on ne peut pas parler de concurrence exacerbée, les outils de coopération sont trop nombreux, contradictoires et laborieux. Des efforts de rapprochement ont certes été initiés dans l'objectif de regrouper les forces notamment dans un « Europaan SuperGrid ». Mais dans l'attente et sur ce marché hyperconcurrentiel, d'autres acteurs économiques sont intervenus et notamment les industriels chinois qui dans le photovoltaïque, su produire des produits à bas coûts. Malgré ces difficultés initiales, l'initiative allemande Desertec a abouti à deux accords, avec les gouvernements tunisien et marocain. Mais en Allemagne même, le projet Desertec ne fait pas l'unanimité : en Allemagne même, « des critiques se sont élevées, remarque Isabel Schäfer, essentiellement à propos de l'insécurité de l'approvisionnement, en raison du caractère imprévisible des évolutions politiques ; du fait que les installations pourraient être la cible d'attaques terroristes ; de la concentration et la monopolisation de l'approvisionnement en énergie (auxquelles il faudrait préférer la décentralisation) ; du prix probablement élevé pour les consommateurs ; et enfin la prise en compte insuffisante des pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord ». Les pataquès de «l'Union pour la Méditerranée» Le « Plan solaire méditerranéen » a comme les autres cinq grands chantiers de l'UPM n'a pas su faire preuve de dynamisme, et le projet fédérateur n'a fédéré personne. A tel point que la Commission européenne s'est implique directement dans une initiative associant le Maroc, l'Allemagne, la France, l'Espagne et l'Italie visant la construction d'une centrale thermique au Maroc dont l'électricité serait exporté ensuite vers l'Europe. Mais la signature définitive de l'accord vient encore d'être renvoyée. « L'UE aimerait mettre sur pied un marché commun de l'énergie avec l'Afrique du Nord mais aucun membre de l'UE n'a intérêt à céder une part de sa souveraineté à Bruxelles, notamment dans le secteur stratégique de l'énergie » constate Isabel Schäfer. Lancée à l'initiative de Nicolas Sarkozy qui y voyait un levier pour renforcer son audience internationale mais qui s'en désintéressa bien vite, l'Union pour la Méditerranée » a rapidement sombré dans une grande apathie sous la pression de plusieurs facteurs : un intérêt parfois très mitigé des pays de la rive sud, le très grand nombre des intervenants européens (27 états-membres) et pour finir une crise économique sans précédent qui depuis 2008 a fortement limité les investissements européens. De surcroît, l'UPM venait chapeauter et/ou prendre la place d'autres institutions déjà existantes, « Processus de Barcelone » (27 états + 10 pays méditerranéens), «Projet européen de voisinage », « dispositif 5+5 » adopté en 1990 à Barcelone. L'objectif du 5+5 ? Favoriser la coopération entre 5 pays européens (Espagne, Italie, France, Portugal, Malte) et cinq pays du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Mauritanie). S'ils ne sont pas faramineux, les résultats du processus 5 + 5 sont infiniment supérieurs à ceux de l'UPM qui continue à vivoter officiellement. Lors de son première année de mandat, François Hollande par pragmatisme n'a pas caché son souhait de faire un retour au processus «5+5»comme base opérative de la coopération Europe-Maghreb. Problème, l'Allemagne ne participe pas au Processus 5 + 5 ! Du coup, à Berlin, le seul cadre institutionnel qui vaille, reste l'Union pour la Méditerranée, Processus de Barcelone et la Politique européenne de Voisinage qui associe les 27 états-membres de l'Union européenne et 16 pays riverains de la Méditerranée et de la Mer Noire ou proches, de l'Algérie à l'Ukraine. L'Allemagne a également pesé pour que la co-présidence de l'UPM soit donnée à l'Union européenne et non plus à un état-membre, la France ayant de facto, la coprésidence de l'institution depuis 2008. L'Allemagne et la France se rejoignent quand au discours général qui encadre officiellement les relations avec les pays du Maghreb, «Plus pour plus» : davantage de contribution financière pour les pays qui font plus de réformes démocratiques. « Dans les faits, on ne sait pas comment cela se traduit concrètement » pointe l'universitaire allemande. L'UE n'avait pas émis de critiques vis-à-vis des anciens régimes autoritaires, comment pourrait-elle peser aujourd'hui sur les décisions de gouvernements critiquables mais élus en Tunisie ou en Egypte ? En décembre 2011, l'UE avait décidé de lancer des pourparlers commerciaux pour la création d'une vaste zone de libre-échange associant l'Europe, le Maroc, la Tunisie, l'Egypte et la Libye. Mais la encore, les discussions piétinent. Dans le domaine des relations avec le Maghreb, les motivations européennes des deux principaux pays, la France et l'Allemagne ne sont pas contradictoires (favoriser l'intégration économique au grand marché européen, promouvoir la démocratie), mais les démarches sont souvent parallèles, parfois concurrentielles et le grand nombre des institutions (5+5, UPM, PEV?) font à tout le moins doublons. La situation n'est pas prête à se clarifier quand on connaît le très grand nombre des « tensions amicales », pour reprendre les termes de François Hollande, qui oppose aujourd'hui la France et l'Allemagne tant dans le domaine de la politique économique que de la construction politique de l'Union européenne. |
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