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Autour
de quelques classiques du cinéma hollywoodien, discussions entre le célèbre
cinéaste américain par ailleurs grand cinéphile et quelques cinémaniaques
algériens. Aujourd'hui QuentinTarantino(*) et Samir Arjoum (**) à propos de Carrie de Brian De Palma (1974)
QUENTIN TARANTINO : «Les spectateurs qui n'habitaient pas New York ou Los Angeles et ne lisaient pas le New York Times, Le New Yorker ou le Village Voice ont commencé (à la fin des années 70 NDLR) à avoir peur des films modernes. Après un feu nourri de films tels que «Panique à Needle Park», «Joe, c'est aussi l'Amérique», «Lenny», «Play It as It Lays», «The Sporting club», «Les Charognards», «Dernier été», et «Dusty and Sweets McGee», les gens qui allaient au cinéma de temps en temps ont commencé à avoir peur des films américains modernes. Le côté sombre, la consommation de drogue, l'apologie des sensations fortes - la violence, le sexe et la violence sexuelle. Mais plus encore, ils ont commencé à avoir marre du cynisme anti-tout. Comme Pauline Kael l'a suggéré au début de la décennie, les meilleurs films sous-entendaient-ils tous que le seul recours raisonnable pour les Américains est de se défoncer ? (?) Et ensuite sort soudain une série de films faciles à comprendre : «La Dernière séance», «On s'fait la valise docteur», «Le Parrain», «American Graffiti», «La Barbe à papa», «Les Dents de la mer», «Carrie», «La Guerre des étoiles», «Rencontres du troisième type», visant à satisfaire le grand public - et non pas seulement le plaisir artistique du cinéaste - et imposant des approches nouvelles de vieux genres bien connus. Tous ces films étaient ceux que le public attendait. Les Movies Brats, ainsi nommés à la suite de l'étude critique du livre de Michael Pye, Les Enfants terribles du cinéma américain, étaient la première génération de jeunes réalisateurs blancs ayant fait des études de cinéma, tout en ayant regardé la télévision pendant leur enfance, à émerger et finalement à définir la décennie avec des films pop léchés. Les membres de ce mouvement étaient Francis Ford Coppola, Peter Bogdanovich, Brian De Palma, Martin Scorsese, George Lucas, John Milius, Steven Spielberg et Paul Shrader (?). Quand les Movie Brats ont à leur tour adapté des romans, ils se sont plutôt tournés vers la fiction populaire (Le Parrain, d'après Mario Puzo; Les Dents de la mer d'après Peter Benchley, Carrie d'après Stephen King?). SAMIR ARDJOUM : «Il sait. Il est encore ado et il sait que son père trompe sa mère. Il sait et va le surprendre. Il doit le surprendre. Il doit fabriquer ses images afin qu'elles deviennent autre chose que «justes», qu'elles soient «réelles». «Il» c'est Brian de Palma. Nous sommes en 1958 et à la demande de sa mère, il doit prouver l'infidélité de son père. Ce sera chose faite lors d'une soirée pluvieuse lorsqu'il «saisira» son père et sa maitresse en pleine action. Il les captera, les prendra sur le vif, puis mettra en scène. Une chose est certaine : le cinéma de De Palma prend forme à cet instant précis. 18 ans plus tard, en 1976, il y eut deux évènements majeurs. Ma naissance et celle du 10e film de De Palma, «Carrie». Il me faudra attendre ma majorité pour le découvrir. Assis, seul, dans un vieux et poussiéreux canapé et -toujours- devant la petite lucarne. La terreur s'éleva devant moi en seconde partie de soirée et surtout en Version Française ! Jamais je n'oublierais cette séquence d'ouverture. Ce long mouvement de caméra traversant, épiant, tel l'ombre du cinéphile que j'étais, au beau milieu de ces «jeunes filles en fleurs». Ces bras, ces jambes, ce nu me renversant. Jamais je n'oublierais cette entrée dans le monde interdit du vestiaire pour filles. Jamais je n'oublierais ce cadre de la caméra qui se resserrait tout en s'approchant -enfin- vers les images manquantes des ado geeks : la douche ! Jamais je n'oublierais l'actrice Sissy Spacek incarnant «Carrie» être apaisée par l'eau et puis sans prévenir, ce filet de sang qui surgit de son entre-jambe. Jamais je ne m'oublierais. Ce sang qui ouvre le bal, ce sang menstruel tel le couteau de Norman Bates déchirant le corps de Janet Leigh dans «Psycho», référence ultime chez De Palma. Ce sang «particulier» qui me transporta dans un état second, fragile, déstabilisant. Plus envie de toucher, plus envie de goûter, juste voir et très vite, envie de savoir. Quant à Carrie, il lui faudra 98 minutes de film pour qu'elle accepte son corps, ses désirs, les mouvements d'un Monde toujours difficile à cerner et pour dompter le sang lors d'une terrible et cultissime séquence de Bal. Et moi dans tout ça ? bah je sais? Et toi ?». (*)Les propos de Quentin Tarantino sont extraits de son livre «Cinéma spéculations» (Flammarion) publié cette année, un très beau recueil de textes sur les films qui ont marqué le réalisateur américain, ouvrage que tous les cinéphiles de plus de 40 ans devraient impérativement lire. (**) Cinéphile exigeant et passionné, Samir Ardjoum produit et anime sur sa chaîne Youtube l'émission «Microciné» qui donne la parole aux plus grands critiques du moment. Prochain épisode Les Dents de la mer de Steven Spielberg (1975) |
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